Dessin de Banksy
Ce texte est une réponse à « Boycotter Israël maintenant », un article écrit par Sylvain Thévoz et publié sur www.jetdencre.ch le 8 juillet 2014. Toujours sous la plume de Sara de Maio, une deuxième partie intitulée « Pour une neutralité militante dans le conflit israélo-palestinien » et publiée le 11 juillet 2014 vient compléter cette réponse.
La situation, les tensions en crescendo
Il est 8h30, mercredi 9 juillet, je suis à Tel Aviv, les sirènes d’alarme depuis hier ondulent pour quelques instants le long des rues. J’entends par intermittence ce son lugubre. Depuis hier, quelques heures après la Haaretz Peace Conference, le gouvernement israélien et le Hamas sont à nouveau en guerre (l’ont-ils jamais cessée..?)
Il est essentiel de faire plusieurs distinctions lorsque nous parlons de la Palestine et des Palestiniens. Je vous invite à parler de deux réalités palestiniennes, à cause des deux identités politiques, idéologiques, militaires et territoriales disjointes. La première, la Bande de Gaza, habitée par les Gazaouis, gouvernée par le Hamas, et la deuxième, la Cisjordanie (ou West Bank), habitée par les Cisjordaniens (ou West Bankers), gouvernée par le Fatah. Fatah et Hamas, malgré leurs profondes divergences, ont conscience de la nécessité d’une seule identité palestinienne incarnée par un État, qui reste virtuel mais récemment reconnu par la communauté internationale, à l’exception d’Israël et des États-Unis notamment.
Même si plusieurs roquettes ont été envoyées sur Tel Aviv cette nuit, le « Iron Dome » a bien fait son travail d’interception des missiles, la vie urbaine continue comme si de rien n’était si ce n’est la présence d’une certaine électricité dans l’air (ou peut-être est-ce dans ma tête). Plutôt confiants de la technologie militaire qui protège cette bulle ultra-occidentale, les jeunes continuent d’aller sur la plage, les voitures à rouler, les bars à accueillir les clients et les ouvriers à travailler sur les chantiers. Les autres villes d’Israël, plus proches de Gaza, comme Ashkelon, ne connaissent pas la même ambiance décontractée. Cinq soldats du Hamas ont attaqué le Kibbutz Zikim, près de cette ville. En quelques minutes, les drones se sont chargés de les faire exploser avec une précision chirurgicale. Dans la West Bank, des clashes « de routine », mais le Fatah n’est pas partie prenante dans ces échanges de roquettes.
Il y a une semaine, lors d’un événement diplomatique, j’ai entendu de vive voix les menaces du Premier ministre israélien Netanyahu adressées au Hamas, je ne suis pas surprise de voir qu’elles se réalisent. Les attaques du Hamas s’intensifient depuis plusieurs jours en Israël. Le gouvernement israélien, ayant rendu généreusement les coups par des frappes aériennes sévères, menace de lancer une offensive terrestre sur Gaza avec la mobilisation de 40’000 de ses réservistes. À Gaza, le sol tremble, la Bande recevant autant d’explosions en une nuit que ces deux dernières années réunies. Les civils gazaouis paient le prix d’un isolement et d’un blocus qui durent depuis 2006 et sont maintenant sous les bombes. Les plus téméraires vont sur les toits, invoquer Allah, servir de boucliers humains au Hamas. Beaucoup de morts sont et seront légitimes, mais beaucoup d’autres morts sont et seront injustifiables selon le droit de la guerre. Les capacités de précision de l’armée israélienne ne suffisent pas à contrôler le nombre des victimes civiles, les Gazaouis étant enfermés dans une agglomération urbaine surpeuplée, sans abris souterrains. C’est un carnage en huis-clos.
Le droit international et la neutralité
En parlant de droit, j’aimerais rappeler que pour le Hamas, tout Israélien, militaire ou civil, femme, mineur, est officiellement une cible légitime dans son discours officiel. Dans sa Charte, il appelle à la destruction pure et simple de l’État d’Israël et l’établissement d’une grande Palestine sur tout le territoire. Ne faut-il donc plus s’étonner que l’État d’Israël dresse un mur entre une entité opposée à son existence, ce qui est en contradiction avec le droit international. « Le déni de démocratie » dont les Israéliens sont accusés par Sylvain Thévoz, n’est pas le déni d’une démocratie en tant que telle, il est le rejet profond d’une entité islamiste, anti-israélienne, et terroriste en leur sens. C’est donc d’abord une réaction de sécurisation et aussi une réaction à un déni du droit international, celui de considérer que seuls les militaires sont des cibles légitimes et donc que les moyens de guerre peuvent être indiscriminés.
L’État israélien n’est pas lui-même le meilleur élève du droit international, loin de là, étant toujours un projet colonial s’étendant au-delà des frontières établies en 1948 en s’appropriant les territoires palestiniens. Il s’agit d’une démocratie imparfaite, les inégalités persistantes entre les Israéliens-juifs et les Israéliens-arabes-musulmans s’apparentent à celles de beaucoup d’autres démocraties. Les enfants ou petits-enfants d’Algériens en France ne connaissent pas la même égalité de chance que les enfants ou petits-enfants de Français. Nous rappelons souvent le respect du droit international à Israël, qui le bafoue à travers ses colonies qui pullulent depuis 67 et s’accélèrent ces dernières années, mais pour montrer que nous connaissons bien ce droit international, il faudrait aussi penser à le rappeler constamment au Hamas.
L’exercice d’objectivité dans l’analyse qui repose sur une compréhension holistique des problèmes est difficile. Ma stratégie n’est pas le boycott à l’échelle d’Israël, ma stratégie est de promouvoir la bonne foi scientifique dans la constitution des données et leur partage. L’émotionnalité est dangereusement efficace médiatiquement. Je ne veux pas tenir un discours qui soit pro-israélien ou pro-palestinien, je cherche à être proche des faits pour pouvoir reprocher de manière juste et crédible ce qu’il y a à reprocher à chacun des deux camps mais surtout à construire une base de dialogue sur les forces et les légitimités respectives.
Le boycott, un bon moyen d’action mais pas à l’échelle d’un État
Nous pouvons comprendre pourquoi de nombreuses personnes appellent au boycott, par espoir de créer une crise économique interne qui forcerait le gouvernement à réviser toutes ses politiques militaires, économiques et territoriales. Le boycott s’accompagne d’une idée d’urgence, de dernier recours de ras-le-bol total, ce conflit ayant assez duré. Mais comment demander d’ouvrir les checkpoints alors que le processus de paix est au point mort entre Israël, la West Bank et la Bande de Gaza? Non seulement c’est un chantage dangereux pour les Israéliens s’ils le refusent, mais aussi s’ils l’acceptent. Il ne suffit pas de retirer les settlements et les murs pour que le problème se résolve et que les deux peuples vivent en paix comme le BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions contre Israël jusqu’à la fin de l’apartheid et de l’occupation de la Palestine) en est pourtant convaincu. Le boycott est un outil pour cesser une violation mais insuffisant pour construire la paix.
Je suis végétarienne, je boycotte l’ensemble des industries de la viande, je ne vais pas au McDonald’s depuis que mon père a lu un article sur la déforestation, j’avais alors 10 ans. Je boycotte Nestlé et Uncle Ben’s et leurs faux airs d’humanitaires, je boycotte la Coupe du monde déficitaire. Le boycott est un moyen d’action, de vote citoyen qui fait partie de ma vie. Est-ce que pour autant je n’irais pas visiter un abattoir? Que je n’irais pas rencontrer le PDG de McDonald’s? Que je n’irais pas au Brésil si j’en avais l’occasion maintenant? Non. Le boycott éthique s’applique à l’échelle d’une entreprise, d’un produit, d’un service, pas à l’échelle d’un État, et surtout pas à l’échelle d’un peuple. Boycotter Israël c’est refuser les échanges possibles avec ses habitants. Je n’ai pas envie de fermer la porte à des gens. Je n’ai pas envie de faire ce que fait Israël à Gaza, ce qu’ont fait les Afrikaners aux Zoulous et aux Xhosas dans leurs propres banlieues.
Je suis pour le boycott sélectif, réfléchi, celui des fonds internationaux (surtout des États-Unis) offerts à l’armée israélienne, de la vente des drones à la Suisse, des excursions religieuses abrutissantes, des dattes et tomates cultivées dans les colonies illégales. Mais je ne suis pas pour le boycott du tourisme en général, des produits de la mer Morte, des restaurants et des bars de Tel Aviv, des musées, des centres archéologiques, des produits médicaux et informatiques. Et je ne suis pas pour le boycott d’Israël. Je ne peux pas, par principe et par stratégie, encourager la rupture, l’enfermement, le cloîtrement d’un pays pour lui faire changer de politique, punir un peuple au nom des aspirations de sa majorité. Je n’ai pas envie de suivre cette méthode d’action à cette échelle-là.
Au contraire, il faut promouvoir le dialogue réaliste et constructif et non pas la rupture totale avec un des peuples qui en voudra probablement encore plus à l’autre… Il faut chercher à réduire la peur et le mépris, lutter contre la « machinerie du brainwashing » déshumanisant l’autre qui remplit les gens « d’ignorance et de cruauté », comme le dit Gideon Lévy, un journaliste israélien qui est allé à la rencontre des Palestiniens dans les territoires occupés et qui cherche à créer un vrai débat public en Israël.
Je vous encourage à aller en Israël, à écouter et à donner votre avis avec respect aux Israéliens, les confronter humainement à l’incompréhension internationale, pour qu’ils vous exposent aussi comment eux voient les choses, comment eux aussi se sentent coincés. Je vous invite aussi à rencontrer des Palestiniens, d’une hospitalité que je n’ai jamais connue ailleurs, à serrer la main des gens des deux côtés, ramener et partager des informations, provoquer la réflexion chez tous, et trouver une solution basée sur l’échange, pas sur le chantage international. Noam Chomsky, linguiste et philosophe américain, s’est exprimé avec beaucoup de scepticisme sur l’analogie systématique faite avec l’Afrique du Sud, ainsi que sur la possible amélioration de la situation des victimes palestiniennes en résultat de boycott.
Je persiste à croire, à tort ou pas, que nous n’avons pas assez bien essayé, que nous nous y sommes mal pris tout ce temps, et que le boycott total d’Israël est une mauvaise bonne idée, aussi efficaces les résultats soient prophétés.
Lire la deuxième partie de la réponse intitulée « Pour une neutralité militante dans le conflit israélo-palestinien ».
Nous ne soutenons pas du tout la même cause, relis bien ton article ! Tu prends 5 paragraphes pour répondre…