Migrations Le 20 novembre 2016

« C’est en faisant le chemin, qu’on trouve le chemin »

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« C’est en faisant le chemin, qu’on trouve le chemin »

© Gjulzade Caperllaku


Les gens laissent des traces, parfois fortes, parfois limpides. Ce qui est bien avec les histoires, c’est qu’elles nourrissent les souvenirs. Ce qui m’inspire le plus dans la force humaine, c’est cette capacité que nous avons à nous alimenter les uns les autres, de par nos échanges.

Plus je les regarde, ces colonnes de réfugiés retenus aux frontières, plus je me vois, moi, à l’âge de trois ans, l’estomac noué et les yeux paniqués, de peur que le train ne parte sans mon père à nos côtés. Ce souvenir est toujours aussi vif. Sur le quai de la gare de Ljubljana, je tenais la main de ma petite sœur et j’avais peur. A cet âge, on ne se souvient pas, pourtant. Puis, le destin a décidé qu’on dépose nos bagages et la suite de nos vies en Suisse. Avec la chance d’être arrivés au bon moment de l’histoire, à l’aube de l’automne 1990, quelques mois avant que de violents conflits n’éclatent dans les Balkans.

Réfugiés. Souvent pour fuir un quotidien devenu trop lourd, essayer de trouver une solution, réapprendre à respirer, les gens voyagent. Ils partent, larguent et cherchent refuge. Loin à l’étranger ou bien alors au coin de ce café habituel pour narguer le temps, juste l’espace d’un instant, afin de ne plus se situer dans la société. Se fondre dans le bruit, les parfums, les voix et ne devenir plus qu’une partie du décor. Cependant, il s’agit d’une question de survie, et non plus de choix, lorsqu’ils sont chassés, pillés ou bombardés.

Désorientés. Cela me rappelle avoir lu cette phrase d’Amin Maalouf dans son roman Les Désorientés qui dit : « De la disparition du passé, on se console facilement ; c’est de la disparition de l’avenir qu’on ne se remet pas ». Mes parents ont choisi de prendre le risque de partir, quitte à ne plus revenir et ne plus retrouver les rues de leur enfance. Pour combler cet abandon, ont-ils renoué avec la perspective de voir leurs enfants grandir sous un ciel libre ? Certainement. Il faut une dose d’espoir incommensurable, et du courage surtout. Se retrouver dans une église pour prier, loin des minarets d’une mosquée, afin qu’une demande d’asile soit accordée. Prendre la route. Partir pour un pays dont on ne connaît ni la langue, ni la culture, devenir dépendants, en quelque sorte, des gens sur place pour trouver sa voie et reconstruire sa vie familiale, malgré le déracinement. Continuer malgré le mal du pays, malgré tout. S’intégrer à une nouvelle collectivité sans oublier ses racines et, surtout, ne pas faire l’erreur de les délaisser, afin qu’elles deviennent des richesses qu’on lèguera à ses enfants. Un héritage sans prix, certes, mais des valeurs qui se vivent.

Par chance, la rencontre avec des personnes d’une générosité sans mesure était au rendez-vous. D’une certaine façon, il faut se ressembler pour se rencontrer. Se rejoindre à la même jonction afin que la circonstance porte un message. Une quête de sens, d’une part. Un soutien, d’autre part. De chemins tracés en chemins confondus, c’est le clin d’œil du hasard dans le bazar des rues.

Fille d’immigrés, je suis devenue une vraie citoyenne suisse. La Suisse, ce pays dont je fais l’éloge lorsque je me retrouve avec mes amis expatriés qui sont curieux de connaître ma manière de consommer, de voter ou de trier mes déchets, sans parler de ma vision de la culture du travail. Lorsque je voyage, il m’habite. C’est de lui dont je parle en premier aux personnes qui croisent ma route. Au terme de mes virées, il suffit que mes pieds atterrissent à l’aéroport de Zurich ou de Genève, pour me sentir à la maison.

Longtemps, j’ai essayé d’expliquer ce terme de « maison ». D’où suis-je, moi, enfant de la confusion des routes, dont ni le prénom, ni le nom, ni mes traits de visage ne comportent des reflets helvétiques ? Aujourd’hui, je choisis de l’imager plus loin que les frontières, au-delà des langues que je parle et par-dessus toutes mes habitudes multiculturelles. J’ai décidé de le faire grandir, dans mes plus intimes convictions. Désormais, j’aime le définir à travers les liens, les piliers qu’on parvient à bâtir et les fondations qu’on réussit à ancrer par rapport à une identité individuelle. Construire une maison est un projet sans fin. Dès lors, cette hypothèse ne devrait-elle pas concerner nos relations aux autres par la même occasion ?

Ainsi, au lieu de diviser, séparer ou différencier, apprenons plutôt à partager, ouvrir nos portes et nous rassembler autour de la table de nos voisins pour comprendre ce qui fait de nous d’étranges étrangers. Rire de nos accents, présenter nos différences et accueillir celles d’autrui afin de mieux saisir notre monde actuel et, avant tout, cheminer, dans le but d’apercevoir la source première de notre raison d’être : notre humanité.

 

Commentaires

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G

Bravo! Ton texte est emprunt d'émotions... magnifique!

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Gjulzade

Un chaleureux et grand merci !

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G

Bravo! Ton texte est emprunt d’émotions… magnifique!

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Gjul

Merci beaucoup !

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ML

Magnifique texte qui pousse à le réflexion. Belle plume qui ne doit surtout pas s’arrêter d’écrire!

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Gjulzade

Un chaleureux et grand merci !

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cesare

Bravo Gjulzade
Ecriture limpide, encore……..

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