Jet d'ancre sur Le 23 octobre 2016

En Colombie, la démocratie passe par la défense du droit d’usage des terres contre l’expropriation

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En Colombie, la démocratie passe par la défense du droit d’usage des terres contre l’expropriation

Projection-débat autour du documentaire « Algún día es mañana » (Un jour viendra)

de Ricardo Torres et Regula Gattiker (2014)

mercredi 26 octobre à 18h00, Université de Genève (Uni-Mail, salle MR060)

 

Le film-documentaire Algún día es mañana (Un jour viendra), réalisé par Ricardo Torres et Regula Gattiker, raconte la lutte pacifiste des paysans de la communauté de Las Pavas (sud-ouest de la Colombie) contre l’activité d’une grande multinationale de l’agrobusiness. Suite au rachat des terres à des paramilitaires, la multinationale en question impose la monoculture d’huile de palme. Les agriculteurs sont ainsi expropriés des terres qu’ils et elles cultivaient depuis très longtemps. C’était leur seule forme de subsistance. Dès lors, ils engagent une lutte pour les reconquérir. La multinationale réagit par des formes diverses d’intimidation et de répression : violences, empoisonnement du bétail, mécanismes de cooptation d’une partie des paysans pour les faire travailler dans les plantations, etc. Même l’Etat exerce son pouvoir contre les agriculteurs en lutte. Dans un premier temps, sa stratégie consiste à criminaliser le mouvement de résistance paysanne. Puis, il n’hésite pas à accuser les agriculteurs en lutte d’être des guerilléros. Face à la détermination de leur lutte, l’Etat est contraint à reconnaître formellement le droit à l’usage des terres pour cette communauté. Toutefois, la réalité montre que les intimidations et l’exploitation des terres par la multinationale continuent avec la complicité tacite de l’Etat.

La question de la propriété et du droit à l’usage des terres est un enjeu très conflictuel dans l’histoire de la Colombie. L’exploitation des terres a pris plusieurs formes au cours du temps : depuis le régime féodal du latifundium (grandes propriétés terriennes) du début du XXe siècle, en passant par les grands seigneurs terriens locaux, jusqu’aux grandes entreprises multi- et trans-nationales d’aujourd’hui. Ces différents propriétaires n’ont jamais hésité à utiliser des groupes paramilitaires pour « protéger » leurs domaines, souvent en réprimant dans le sang les contestations paysannes. L’Etat colombien a toujours favorisé ces pratiques répressives. Pour ne prendre qu’un exemple, au cours des années 1960, des groupes d’autodéfense organisés par les paramilitaires sont apparus dans le contexte de la politique de terreur d’Etat, avec l’autorisation officielle (décret 3398 de 1968) et avec le soutien de secteurs du haut commandement militaire. Ces groupes ont fait leurs preuves dans la défense des intérêts des propriétaires terriens…1

Plus récemment, Dole Food ou Chiquita se sont fait connaître pour avoir fait appel aux paramilitaires, en particulier au groupe Autodéfense Unie de Colombie (AUC), dans le but de réprimer toute forme de contestation envers leurs pratiques d’expropriation de terres. Avec quel résultat ? Dole Food a été appelé en justice pour être complice de l’assassinat par les paramilitaires d’au moins 57 citoyens colombiens2! Des multinationales suisses sont aussi présentes sur le territoire colombien, et ce depuis longtemps. Xstrata-Glencore (commerce du pétrole, métaux et autres matières premières), par exemple, est accusée de contraindre des populations entières à se déplacer pour pouvoir mener à bien ses affaires. Cette « pratique » de déplacement de populations est une constante dans l’histoire colombienne. Le nombre de déplacés à l’intérieur des frontières a atteint aujourd’hui presque 6 millions d’habitants, soit un peu moins de 10% de la population, d’après le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR)3. De plus, les menaces de mort adressées aux travailleurs et travailleuses ainsi qu’à leurs représentants syndicaux sont récurrentes dans les entreprises actives dans le pays comme le montre le cas de Nestlé. Ceci dans un pays qui détient le triste record du nombre d’homicides de syndicalistes : plus de 2500 entre 1986 et 20084!

Aujourd’hui, à l’orée du grand débat sur les accords de paix signés le 26 septembre 2016 entre le gouvernement et les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), refusés lors du référendum du 2 octobre par 50,2% des votants, la question agraire assume une importance capitale. Dans une période où les terres agricoles ont permis aux transnationales actives dans la production primaire ou extractive de faire des profits élevés, les investissements et les accaparements de terre ont crû de manière exponentielle. L’un des enjeux du processus de paix concerne précisément le droit d’usage des terres actuellement sous le contrôle des FARC. D’une part, ces terres pourraient davantage faire l’objet d’une privatisation et d’une exploitation massive, comme le reste des terres agricoles, des mines, etc. D’autre part, la perspective des accords de paix pourrait ouvrir la porte à une gestion collective et démocratique des terres par ceux et celles qui les cultivent, pour qui elles représentent leur lieu de vie. Ceci impliquerait la reconnaissance de ces terres comme étant un « bien commun » dont l’usage serait voué à la satisfaction des besoins de la population locale.

La Brèche propose d’en discuter autour du documentaire de Ricardo Torres et Regula Gattiker mettant au centre de la réflexion la question du droit d’usage des terres, dont l’enjeu est le parcours de démocratisation du pays. (Cercle La brèche, 6.10.2016)

 


1. Voir l’article de Daniel Libreros et Jorge Gantiva Silva, Colombie : politique de paix et réinvention de la politique. Histoire, terre et construction du « bien commun », Revue en ligne Alencontre.org, 10 mai 2013. L’article est disponible sur ce lien : http://alencontre.org/ameriques/amelat/colombie/colombie-politique-de-paix-et-reinvention-de-la-politique-histoire-terre-et-construction-du-bien-commun.html

2. Voir l’éditorial de la Revue en ligne Alencontre.org : Des syndacalistes de Nestlé à nouveau menacés, 19 mai 2009. L’article est disponible sur ce lien : http://alencontre.org/ameriques/amelat/colombie/des-syndicalistes-de-nestle-a-nouveau-menaces.html

3. United Nations High Commissioner for Refugees (UNCHR), UNHCR Global Trends. Forced Discpalement in 2014, 2014, p. 23. Le rapport est disponible sur ce lien : http://www.unhcr.org/556725e69.html

4.  Cf. note 2.

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