Sport Le 14 mai 2014

Entretien avec Massimo Lorenzi, Rédacteur en chef du service des sports de la RTS

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Entretien avec Massimo Lorenzi, Rédacteur en chef du service des sports de la RTS

Le sport. Ses méandres. Et toute la confiture qui l’entoure. En 25 ans de carrière à la Radio Télévision Suisse, Massimo Lorenzi – aujourd’hui rédacteur en chef du service des sports – a tout connu ou presque. Pourtant, sa passion pour le sport, qu’il qualifie « d’art brut », reste intacte. Avec le recul de quelqu’un qui a bien roulé sa bosse et la philosophie d’un homme qui ne veut pas renoncer à ses rêves d’enfants, il nous livre, à un mois de la Coupe du monde de football, son point de vue et ses sentiments sur ce qui a toujours fonctionné comme un des fils conducteurs de sa vie : le sport.

Trois mois après la fin des Jeux olympiques, quel bilan peut-on tirer pour la délégation suisse ?

Vous allez être déçu de ma réponse, mais je trouve ce bilan vraiment bon pour un petit pays comme le nôtre, où le sport n’est pas une priorité publique. Je ne fais pas partie des obsédés du classement des médailles. Parce que ce qui compte dans le sport, ce n’est pas de gagner ou de perdre. L’important c’est de tout tenter pour gagner, la défaite n’a dès lors rien de honteux, elle est même noble. Pour moi, et indépendamment du nombre de médailles, le bilan est positif. On a vu de belles choses et un bon état d’esprit.

Au-delà du classement des médailles, n’êtesvous pas déçu des performances de Fanny Smith ou de Simon Ammann qui étaient venus aux JO avec des ambitions d’or clairement affichées ?

Oui je suis déçu, mais… je le suis pour eux, pas pour moi. Mes attentes personnelles passent au second plan. Les athlètes, eux, font ce qu’ils peuvent et je n’ai pas à juger les performances de quelqu’un qui s’est défoncé pour un objectif et qui a fait de nombreux sacrifices pour être prêt le jour J. Ce qui me dérange, ce sont les critiques faciles et réductrices à l’encontre d’un sportif qui s’est planté.

Le CIO et ses Jeux à 50 milliards ont fait couler beaucoup d’encre…

Ces olympiades étaient très bien organisées. Sur le plan sportif ce fut réussi ; la sécurité a été parfaitement maitrisée, mais ces Jeux n’avaient cependant aucune âme. Contrairement, par exemple, à Lillehammer en 1994, la magie n’a pas opéré. Il a manqué cette douce folie du lieu… Dans cinquante ans, plus personne ne s’en souviendra. J’ai vraiment eu du mal à ressentir l’esprit olympique. Plus largement, le problème est qu’aujourd’hui les Jeux sont de moins un moins un événement festif, mais plutôt un événement télévisuel. Cela devient de plus en plus un gros business. C’est dommage, vraiment.

Et au niveau des performances des athlètes ?

Sur le plan sportif je suis un peu déçu. Je pensais que les Russes iraient plus loin en hockey sur glace et j’attendais aussi un plus grand engouement populaire dans les aires d’arrivée, mais on en était très loin. Il me reste un profond sentiment d’inachevé.

Etes-vous favorable à l’organisation des Jeux olympiques en Suisse ?

UntitledOui je le suis. Sotchi a atteint le maximum du gigantisme. Cinquante milliards, une zone totalement défrichée puis reconstruite, des méfaits terribles pour l’environnement et plein d’autres folies. Tout ça pour servir la volonté de puissance d’un seul homme… Ce n’est pas comme ça que je conçois l’esprit olympique. Les Jeux doivent revenir à quelque chose de plus petit, de plus intime. La Suisse serait une bonne alternative pour retourner à une échelle plus humaine. Mais pour cela, il faudrait poser la candidature du pays tout entier et non d’une seule région. On pourrait par exemple présenter la candidature « Switzerland » et proposer quelque chose de sympa.

L’équipe suisse de hockey sur glace est arrivée à Sotchi avec beaucoup d’ambition mais les résultats n’ont pas suivi. Quelles sont les raisons de cet échec ?

Le titre de vice-champions ne leur a pas fait beaucoup de bien. Ils ont parfois fait preuve de suffisance et manquaient d’implication. Mais les médias, comme le public, y sont aussi pour quelque chose. La pression était très forte, les attentes sans doute trop importantes ; or le tournoi de hockey sur glace des Jeux olympiques est autrement plus exigeant que celui des Championnats du monde.

Au niveau national, Genève-Servette et Fribourg-Gottéron semblaient bien armés pour remporter le titre cette année. Ont-ils manqué l’occasion rêvée de décrocher le Graal?

Non, ils ne l’ont pas loupée. Se faire sortir par Kloten et Zurich ce n’est pas un échec. Ils se sont fait éliminer à la régulière face à deux équipes plus fortes qu’eux. Pour moi, c’est logique de retrouver les deux clubs zurichois en finale. Ils avaient les deux meilleures équipes du pays et ont parfaitement géré leur saison. Surtout Zurich qui a dominé la saison régulière de la tête et des épaules et qui fait un très beau champion.

Chaque année, à l’entame des play-offs, Monsieur Steinmann défraie la chronique. Est-il, aujourd’hui, un juge un peu trop unique ?

Oui, il y a trop de zones d’ombre. Les décisions sont parfois curieuses, voire choquantes, et c’est un thème récurrent à l’entame des play-offs. Il faudrait faire un collège à trois. L’idéal serait d’avoir un Tessinois, un Suisse allemand et un Romand. Quand vous êtes seul, l’erreur est impardonnable, alors qu’à trois, on peut discuter et donc limiter sa marge d’erreur.

Quel est votre rapport au sport ?

Untitled2Qui gagne ou qui perd m’intéresse assez peu. J’aime avant tout la beauté et l’intensité du spectacle. Je suis à moitié italien, mais si l’Italie perd en finale de la Coupe du monde, ma déception ne dure qu’un quart d’heure. Après je passe à autre chose. Ce qui compte c’est que la finale ait été palpitante, belle, forte, sexy même ! Je suis à un stade de ma vie où j’ai trop vu l’hystérie, le nationalisme et la connerie de certains ultras pour véritablement me sentir proche d’une équipe. Pour moi, le sport ce n’est pas insulter l’adversaire et critiquer l’arbitre. Le sport c’est avant tout une forme d’art. Ce qui compte c’est la beauté du geste, la sublimation de l’effort, le dépassement de soi et la volonté de gagner à la régulière. J’aime regarder des matchs de hockey ou de foot comme j’aime partager une bonne table avec des amis. Oui, le sport est avant tout un partage intense. La victoire et la défaite viennent après, ce qui me plaît c’est le chemin parcouru pour y parvenir et la générosité déployée.

Donc l’important c’est de participer ?

Non, parce que penser que l’important c’est de participer cela revient à dire que si on perd ce n’est pas grave. Or ce que je dis c’est qu’il faut tout faire pour gagner. Mais si on est battu, il faut l’accepter et rester digne. C’est pour ça que j’adore le rugby. Dans ce sport, on ne siffle pas l’hymne national de l’autre équipe, on ne critique pas l’arbitre et on ne simule pas. Les joueurs ne se ménagent pas pendant les matchs, mais ils se respectent. Ceux qui gagnent applaudissent ceux qui perdent. Il y a un vrai état d’esprit parce que les joueurs sont éduqués. Et malheureusement, dans certains sports, le manque d’éducation, de respect et de fair-play est réel. Sur le terrain ou sur la glace, comme sur les gradins.

Servette en Challenge League, Sion et Lausanne aux deux dernières places de Super League, pourquoi les clubs romands n’y arrivent pas ?

Je ne sais pas. Sans doute un manque de compétences, de moyen et de volonté, mais aussi un manque de travail. Peut-être aussi la mentalité. En Suisse romande, on croche moins qu’outre-Sarine. Les dirigeants romands n’ont, par ailleurs, pas toujours fait les bons choix et les investisseurs se manifestent moins chez nous qu’ils ne le font en Suisse alémanique. Aujourd’hui il n’y a pas qu’un seul coupable, c’est un ensemble ; mais les choses sont cycliques. Peut-être que dans dix ans deux clubs romands se battront à nouveau pour le titre.

Où se situe l’équipe de Suisse de football ?

Depuis le match à Wembley contre l’Angleterre l’an dernier (ndlr : match nul 2 à 2), j’ai le sentiment qu’ils ont franchi un cap. Hitzfeld dispose d’une très bonne génération de joueurs. Et si l’équipe est épargnée par les blessures, elle devrait se qualifier pour les huitièmes de finale à la Coupe du monde. Après, advienne que pourra, car tout est possible !

Les soupçons de dopage qui pèsent sur le cyclisme vous agacent-t-ils ?

Non ça ne m’agace pas, ça m’attriste et ça me navre. Mais cela n’enlève rien à mon intérêt pour cette discipline. C’est un sport monstrueusement dur qui reste malgré tout éminemment populaire. Mais les seringues, les scandales et des coureurs comme Armstrong me désolent et malheureusement on ne peut passer à côté. Ça me fait mal parce que j’aime vraiment le vélo. Gamin, j’allais voir des étapes du Tour avec mon père. Cette course est un mythe et certaines images sont à jamais gravées dans ma mémoire.

Le sport est-il le reflet de la société ?

Oui. Complètement. On triche dans le sport comme on triche ailleurs, peut-être même moins. Mais on attend des sportifs une pureté sans doute impossible. Il y a dans le sport comme dans la vie, des athlètes et des êtres humains qui sont prêts à se doper pour gagner. C’est valable pour le sport mais aussi pour la vie en entreprise. Aujourd’hui le sport est une incarnation de la mondialisation et de ses excès. Les gens sont prêts à tout pour assouvir leur soif de prestige, de puissance et de reconnaissance. Mais, malgré la tricherie à certains niveaux, le sport reste quelque chose de fondamental dans la construction de l’être humain. C’est une fantastique école de la vie, de la maîtrise et du dépassement de soi, et du respect de l’autre. Mais pour ça, on y revient, il faut avoir été éduqué.

La Confédération soutient-elle suffisamment la relève du sport suisse ?

La Suisse est un pays où le sport n’est pas une priorité. On ne considère pas que l’image d’un sportif – aussi bonne soit-elle – puisse promouvoir l’image de notre pays à travers le monde. La Norvège, elle, a compris que le rôle d’ambassadeurs que ses meilleurs athlètes pouvaient jouer est primordial. La Suisse devrait sérieusement s’en inspirer. On ne met pas assez d’argent dans le sport pour soutenir les jeunes talents, mais c’est une décision politique. Or, si les politiciens se battent pour être sur la photo avec les sportifs, ils sont beaucoup moins nombreux à pousser pour offrir un vrai soutien financier au sport en Suisse.

Propos recueillis par Julien Thorens

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