L'encrier Le 20 mai 2017

J’aurais aimé être journaliste

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J’aurais aimé être journaliste

 


 

J’aurais aimé écrire des mots à faire trembler les hommes.

J’aurais aimé, par la force de ces derniers, raconter le monde.

Pas uniquement comme je le perçois, moi, mais comme les autres le voient.

Avec leur histoire et leur savoir. Là où ils vivent, et s’aventurent, et se perdent.

J’aurais aimé transmettre leurs mots, les mêler aux miens, pour les transporter plus loin.

J’aurais aimé raconter ce monde avec ses incompréhensions, ses iniquités, ses inexplicables.

Le raconter, pour le comprendre.

J’aurais aimé que mes mots soient fédérateurs pour vibrer en même temps que les autres. Les faire se rejoindre en même temps, exactement. Sur ce qui leur tombe dessus. Sur ce qui les emporte. Sur ce qui les sépare, puis les rassemble.

 

J’aurais aimé utiliser ces mots pour dire, un peu plus haut et un peu plus fort, ce qui est tu, celé, à dessein ou par oubli, par manque de ressources ou de courage.

J’aurais aimé, comme tant d’autres journalistes avant moi, brandir cette parole qui est le témoignage de notre histoire, de nos semblables, de nos échecs, de nos combats.

Des plus chanceux. Des plus reculés. Des convictions les plus profondes aux velléités les plus futiles qui disent, chacune, l’état humain.

J’aurais aimé être journaliste avec presque rien si ce n’est un calepin et un stylo, l’adrénaline dans le corps et la volonté bien logée dans les tripes ; qu’avec ce presque rien ce que je vois devienne un témoin de la diversité de l’existence.

Que l’unicité d’une situation puisse rappeler, interpeller, émouvoir, révolter ; que cette unicité ne soit plus isolée, mais universelle et collective.

 

J’aurais aimé pouvoir m’élever au-dessus de ce qui, émotionnellement, politiquement, embrase les passions ; surplomber l’agonie, l’enjeu et la discorde, pour les regarder, autrement ; les ausculter, librement.

Peut-être un peu égoïstement, m’extraire du tumulte et, reconnaissante de ce privilège, le raconter avec plus d’acerbité encore.

Si les anfractuosités de ce monde oppressent, les hurler.

Si la lutte pour le pouvoir écorche, sans peur aucune la disséquer.

Sans parti pris mais mue par une curiosité béante, avaler d’une seule traite ce qui nous est donné à observer. Apprendre, s’approprier le sujet, pour ensuite mieux le questionner. Rechercher chaque parcelle d’obscurité pour en sonder la vérité, plus furieusement encore.

Peu importe que celle-ci soit belle.

Peu importe que celle-ci soit morale.

Peu importe que celle-ci soit facile.

A l’instar d’un entomologiste étudiant chaque cellule du plus petit coléoptère, gratter la carapace vermeille et en chercher l’essence.

Sans crainte de représailles.

Sans crainte de contestation.

Sans craindre la colère de celui qui n’aurait pas encore compris que c’est précisément la variété de cette myriade d’écailles qui permet d’en appréhender la véracité.

 

Un mathématicien penché sur son équation n’aurait de repos qu’après avoir observé que sa formule, confrontée à chaque situation connue, conserve sa vérité.

Il en va de même pour le journaliste qui, avide, recherche au plus juste, au plus probant, le fait originel ; les paroles authentiques ; le récit attesté.

J’aurais aimé être journaliste à la manière d’un praticien, méthodique et rigoureux, au regard froid et clinique.

J’aurais aimé être journaliste à la manière d’un écrivain, libre dans le format et lyrique dans la prose.

J’aurais aimé être journaliste à la manière d’un résistant, insoumis et belligérant, dénonciateur aux premières lignes, bien droit sur le front.

J’aurais aimé être journaliste à la manière d’un pacifiste, sage et bienveillant, mesuré dans la critique et constructif dans le dialogue.

J’aurais aimé être journaliste à ma manière, pas tout à fait celle des autres, mais d’une façon qui me fait rejoindre ceux qui m’ont précédée, et auxquels j’aurais aspiré à ressembler.

 

J’aurais aimé, oui, aimé.

 

Etre journaliste dans un monde où la vérité n’est pas l’apanage du plus fort, mais du plus informé.

Où l’information n’est pas l’exclusivité du plus fortuné, mais du plus intéressé.

Où l’intérêt du plus grand nombre n’est pas modulé par une quelconque rentabilité, mais par sa nécessité.

Où la quête du fait dépasse tout intérêt individuel, et dont le cheminement est presque sacralisé.

 

Ni exsangue, ni érodé

Aux couleurs encore vivaces

Cette profession dont les grandeurs ont bercé notre enfance

Et dont le nom douceâtre qui me poigne encore

Crie ses heures noires

Hurle sa peine

Qu’on lui passe sur le corps

et qu’on lui arrache les ailes 

Il courbe l’échine mais n’est pas mort.

 

Commentaires

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Meeaad

L'objectivité journalistique n'existe pas, cite-moi un seul journaliste objectif. C'est quoi un journaliste ? Un diplômé d'une école de journalisme…

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Michael Maccabez

Cher Meead, je crois que nous avons des conceptions radicalement différentes du journalisme. Nous sommes certes tous des blogueurs potentiels,…

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Meeaad

On est tous journalistes aujourd'hui, ce n'est plus l'apanage d'une bande de formatée des écoles de journalisme. Avoir l'espoir que…

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Meeaad

On est tous journalistes aujourd’hui, ce n’est plus l’apanage d’une bande de formatée des écoles de journalisme. Avoir l’espoir que le journalisme soit comme les mathématiques ce n’est pas comprendre la différence entre les sciences dures et les sciences humaines. Il n’y a pas de vérités absolues dans les sciences humaines, chaque vérité est décrite selon un point de vue personnel et selon l’influence de chacun (où selon l’influence de son employeur pour les journalistes patentées). Être un bon journaliste, c’est choisir un camp et combattre le camp opposé, c’est faire de l’investigation et c’est ne pas avoir peur des « qu’en va-t-on dire ». Un journaliste donne forcément son point de vue et c’est de ça qu’il ne doit pas avoir peur. La vérité sera toujours décrite selon un point de vue personnel. Depuis la création des réseaux sociaux, l’ascension du net et des blogs, le journaliste c’est démocratisé et ce n’est plus les grands groupes médiatiques qui nous informent mais tout un chacun. Je le répète, nous sommes désormais tous des journalistes en puissance.

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Michael Maccabez

Cher Meead, je crois que nous avons des conceptions radicalement différentes du journalisme. Nous sommes certes tous des blogueurs potentiels, offrant à qui veut bien le lire notre avis partisan sur les sujets qui nous touchent. Nous pouvons tous donner notre point de vue, et c’est une bonne chose –Jet d’Encre offre par exemple cette possibilité et je suis certain que cela aide à davantage de compréhension mutuelle et à un débat démocratique sain. Cela ne constitue pas pour autant du journalisme, dans la mesure où la pierre angulaire de ce concept est l’impartialité, ou en tant cas son aspiration. Tes points 1) choisir un camp, 2) combattre le camp opposé et 3) faire de l’investigation à charge (puisque 1 et 2), ne constituent pas du journalisme mais du militantisme. C’est choisir un parti pris (ton point 1) et ne pas chercher la vérité, mais la lutte (ton point 2), quitte à donner une image biaisée de la vérité (ton point 3) sans se préoccuper, comme tu dis, du qu’en-dira-t-on.
Le journalisme c’est justement l’inverse. C’est ne pas choisir de camp, examiner les preuves sans parti pris, et ne pas investiguer en partant d’une pétition de principe. C’est être honnête intellectuellement, même si certaines conclusions vont à l’encontre de ses croyances personnelles. Bien sûr, les journalistes ont des points de vue, des convictions politiques, des croyances X et Y. Mais c’est précisément leur métier de les mettre de côté afin d’arriver un peu plus près de la vérité et de pouvoir assumer leurs articles face à tous, du même bord politique/social ou non. Nous sommes tous des blogueurs en puissance, mais nous ne sommes pas tous des journalistes.

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Meeaad

L’objectivité journalistique n’existe pas, cite-moi un seul journaliste objectif. C’est quoi un journaliste ? Un diplômé d’une école de journalisme ? Qui donne la patente « journaliste objectif » ? Il n’y a pas de journaliste objectif, l’objectivité en sciences humaines n’existent pas, nous sommes tous dépendants de nous influences. Je le répète, les sciences humaines ne sont pas des sciences durs, les calculs mathématiques ont une objectivité pas la présentation d’un sujet d’actualité (sauf si vous rapportez un discours, un fait simple, du coup le journaliste ne servirait à rien).

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