Société Le 2 juin 2015

Je sors avec Tinder

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Je sors avec Tinder

Crédits: Line Magnanelli Moret

Une application dont tout le monde parle, que peu ose avouer avoir téléchargé et qui finalement regroupe tout un tas de (plus ou moins) célibataires dans un rayon d’action défini par des réglages relativement généraux (âge, genre, proximité géographique). Sur Tinder, on swipe à gauche si le faciès ne nous dit rien de bon, ou à droite en espérant que l’autre en ait fait de même de son côté. Si tel est le cas, cela donne un match, vous êtes compatible avec la personne dont vous venez d’approuver la photo de profil (ou de trois-quart). Tinder vous propose alors d’entamer la conversation ou de continuer à jouer.

On compare facilement l’application à un supermarché de la drague facile et trier le bon grain de l’ivraie sur les toilettes, en cachette, au boulot semble être la solution idéale au célibat. Tinder nous promet de trouver le coup d’un soir idéal, voire l’âme soeur. Sur le papier, c’est simple. Qu’en est-il de la réalité ? Comment se passe l’après-match ? Comment entame-t-on la conversation avec une personne que l’on vient, en somme, d’informer de son potentiel d’attraction sur nous-même ?

 

« J’y suis, mais seulement pour rigoler »

Ils ne sont pas nombreux, ceux qui osent admettre ouvertement qu’ils utilisent Tinder pour se trouver un one shot pas trop loin. Encore moins disent l’utiliser pour tomber sur quelqu’un avec qui construire quelque chose de sérieux. Dès lors, lorsqu’on ose commencer à converser avec un match, une sorte de retenue s’impose d’office. On fait semblant de ne pas vouloir aller boire une bière le soir même avec cette personne. On fait semblant d’être détaché de tout ce qui entoure Tinder (la rencontre facile, le sexe décomplexé). De temps en temps, lorsque le numéro de portable est échangé, l’ajout Facebook accepté, on s’aventure à demander à son match pourquoi il a téléchargé l’application. Les réponses sont diverses : la plupart sortent d’une rupture et veulent oublier l’ex dans le nombre de matches, d’autres veulent se rassurer sur leur pouvoir de séduction. Certains assument ne rechercher que le sexe.

Nombre de profils très variés se retrouvent sur cette plateforme donc, et lorsque le match est opéré, il faut séparer les conversations qui iront plus loin de celles qui stagneront à un simple « hey ».

Lorsqu’on décide de passer à la rencontre dite physique, suivant comment a évolué la conversation les jours précédant ledit rendez-vous, se dévoile alors un peu de l’hypocrisie de Tinder. On a tout misé sur l’esthétisme des photos de profil et maintenant, notre Tinder date nous verra en vrai, avec nos petits défauts, nos intonations de voix et nos manies qui ne manqueront pas d’étonner, quand on passe de l’écran à la table de bistrot. C’est là que le fait de se convaincre qu’on y est uniquement pour rigoler commence à se déliter. Pourquoi ce petit emballement cardiaque à l’approche du point de rencontre ? Y-a-t-il vraiment des personnes qui se trouvent sur Tinder et que l’application a heureusement rapprochées ?

 

Le premier rendez-vous et ses suites

Commençons tout de suite par une banalité : il y a autant de premiers rendez-vous que de Tinder matches. Mais une constante néanmoins, c’est combien chacun évite soigneusement de parler du fait originel qui les amène à partager une bière en soir de semaine. L’hypocrisie se fait alors un peu plus sentir. Rappelons-nous, la personne d’en face, la jolie rousse qui aime le vélo, le ténébreux à tatouages, on a d’abord fantasmé sur son physique avant de découvrir sa manière de s’exprimer à l’écrit. On a accepté d’aller plus loin parce que physiquement elle ou il nous faisait envie. Comme une belle pomme rouge au marché. Et maintenant qu’on a l’occasion de lui faire part de ce sentiment précis, d’en savoir plus sur ses intentions, on devient muet et on parle de tout sauf de ça.  D’ailleurs, du côté des filles comme des garçons, beaucoup précisent dans la description qu’ils mentiront sur la rencontre (« on dira à tes parents que l’on s’est rencontrés au musée »).

Parfois, on passe un moment d’extrême complicité, avec tout de même des petits rires un peu nerveux, car en arrière-plan dans la boîte crânienne, on se souvient qu’on est simplement des matches, rien de plus. Et même si notre date nous plaît beaucoup, il existe, je crois, une certaine réticence à oser le lui dire ou même à oser penser qu’il pourrait se passer quelque chose. Car le tabou, c’est la rencontre en ligne, sur une application où le physique est la matière première. Je pense que bien des gens ont moins de peine à avouer qu’ils se sont rencontrés sur Adopte un mec, où il s’agit quand même de se décrire un peu, que sur Tinder, où malgré les quelques lignes de description, il s’agit d’aimer un visage.

Et puis que faire lorsque la fin du rendez-vous approche ? Lorsque celui-ci s’est mal passé ou que la complicité qui émanait des échanges écrits semble s’être évaporée, alors la question ne se pose que rarement. Mais quid du rendez-vous où l’on a même oublié qu’il s’agissait d’une sorte de blind date ? Faut-il demander à son match s’il compte nous revoir ? Comment se passe la transition entre tinder match et crush potentiel, personne normale que l’on aurait rencontré banalement ?

J’ai l’impression que deux raisons peuvent expliquer pourquoi si peu de rencontres aboutissent à plus.

D’une part, comme dit plus haut, le lieu – si j’ose dire – de la rencontre, le tabou qui entoure Tinder, alors que lorsqu’on swipe dans un rayon de 10 kilomètres, on peut tomber sur la moitié des personnes célibataires de notre entourage (parfois même sur notre ex, moment exquis s’il en est !), empêche peut-être d’oser aller plus loin. On imagine que notre date est dans les mêmes dispositions d’esprit, qu’on a passé le cap du rendez-vous mais que la gêne reprend le dessus. On se dit poliment au revoir.

D’autre part, Tinder a indéniablement un côté egobooster qu’on ne peut nier, et je crois que dans tous les cas de figure, la facilité d’utilisation et d’obtention d’un nombre de matches (autant de potentielles rencontres sympathiques !) important font que l’on est sans cesse à l’affût du mieux, du plus. De la rencontre. Dans un domaine qui devrait, à mon sens, rester spontané et imprévu, on se met à calculer et à manœuvrer. On avance ses pions prudemment et on ne veut pas être enfermé dans une belle rencontre, aussi complice fût-elle, car dans le bus qui nous ramène à nos pénates, on remarque une trentaine de notifications qui nous rappelle à l’ordre. D’autres personnes nous parlent, des personnes que l’on a peut-être prévu de voir dans un futur proche et avec qui on est en mesure d’espérer encore mieux, alors qu’on ne se dit pas forcément cela lorsqu’on rencontre quelqu’un en soirée. Tinder nous relance en permanence ; nous sommes sur un grand marché et il y a toujours la possibilité de faire de plus beaux négoces. Difficile de s’arrêter sur un produit quand tant d’autres se trouvent dans le périmètre de chasse.

 

Petite parenthèse personnelle

Lorsque j’ai évoqué l’idée de dédramatiser l’utilisation de cette application, on m’a proposé un canevas d’article sous forme de quatre questions. Combien de matches ? Combien de rencontres ? Combien de fois a-t-on fini au lit (ou ailleurs) ? Combien de rencontres sérieuses sur la durée ?

Ces questions mettent bien en exergue toute la problématique posée par Tinder, à savoir accumuler les matches mais ne pas forcément savoir comment en tirer quelque chose. Mon expérience personnelle de Tinder m’a bien fait ressentir ses limites, souvent celles exprimées plus haut ; l’egoboost procuré par le match, chacun étant ressenti comme une petite victoire, l’impossibilité de s’arrêter de swiper et la légitimité d’une rencontre sérieuse sur une application.

Pour répondre à ces quatre questions, en à peu près six mois d’utilisation, sur plus de 650 matches , il y eut trente-quatre rendez-vous, dont pour une dizaine je placerai le carré blanc de la pudeur. Dans cette dizaine, trois relations relativement longues et une rencontre avec quelqu’un que je peux qualifier maintenant d’ami très proche. Très clairement, j’ai parfois volontairement laissé passer des occasions, profité d’être dans une ville inconnue pour un certain temps pour découvrir des endroits chouettes avec des personnes rencontrées sur l’application, sans aucune arrière-pensée de mon côté. J’ai quelque fois supprimé Tinder de mon téléphone, car j’y voyais plus une drogue qu’autre chose et le côté consommation à grande échelle me dégoûtait. Néanmoins, je ne regrette pas de l’avoir installée, pour l’expérience sociale et, n’ayons pas peur des mots, pour toutes les personnes que j’y ai rencontré. Malgré tout, je me demande souvent pourquoi accumuler autant de contacts alors que je sais pertinemment que je ne parlerai même pas à un quart des ces personnes. D’ailleurs, je ne saurai pas expliquer ce qui m’a donné envie de passer d’un premier rendez-vous à d’autres rencontres, voire à plus. Un seul point commun à tous, le lien écrit ne s’est jamais arrêté. Nous étions, après le premier rendez-vous, toujours en contact, de manière insouciante, par messages journaliers. Cela a atténué le fait que nous nous étions rencontrés sur Tinder et contribué d’une certaine manière à normaliser notre début de relation. En fait, pour résumer, je pense que dès le moment où nous avons arrêté de calculer et d’être dans la manœuvre séductrice (de manière générale), la spontanéité à repris le dessus. Pourquoi avec ceux-ci et pas d’autres, cela fait partie du grand mystère des relations humaines.

 

Des relations -parfois surprenantes- facilitées

Donc, bien qu’il existe un certain écart entre les attentes des inscrits sur l’application et la réalité des rendez-vous, ne noircissons tout de même pas le tableau. Tinder facilite les contacts, on apprend à être plus enclin à rencontrer de parfaits inconnus, et cela peut être parfois extrêmement rafraîchissant de sortir de son cercle amical habituel. Il arrive que l’on revoie ses matches, qu’il se passe quelque chose, parfois de belles rencontres, certaines aboutissent à d’autres choses que « prévues » par l’application. En débarquant dans une ville étrangère, cela peut nous aider à se sentir plus familier avec ses habitants, à se dire qu’il est possible de créer relativement facilement des liens. Et dans un pays où trois (disons quatre, pour la poésie) langues sont parlées, Tinder peut aussi aider à casser quelques barrières culturelles. Les rencontres avec des personnes d’outre-Sarine deviennent plus faciles, et bien que l’anglais reste souvent la langue commune, cela nous permet de réaliser la richesse de la Suisse et de ne pas rester de son côté de la rivière.

Mais finalement, lorsqu’on réalise la différence entre le nombre de personnes matchées et le nombre de conversations un peu plus profondes qu’un échange de politesses, ne doit-on pas se dire que la vraie relation que Tinder nous apporte est celle entre l’application et nous-mêmes ?

 

 


http://www.bilan.ch/techno-les-plus-de-la-redaction/tinder-la-revolution-sexuelle-de-la-generation-y/page/0/2

http://www.wired.com/2014/04/trust-in-the-share-economy/

Commentaires

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Nicolas

Intéressant! Et pour illustrer l'article : Stromae - Carmen

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Mat

Le côté "egobooster" est révélateur et englobe une problématique plus large de l'égocentrisme qui a explosé avec les réseaux sociaux.…

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Nicolas

Intéressant! Et pour illustrer l’article : Stromae – Carmen

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Mat

Le côté « egobooster » est révélateur et englobe une problématique plus large de l’égocentrisme qui a explosé avec les réseaux sociaux. Intéressant quoi qu’il en soit.

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