International Le 13 mars 2016

La France racaille est partout !

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La France racaille est partout !

Couverture de la semaine du 25 février au 2 mars © Valeurs Actuelles

La France racaille est le titre provocateur qu’a choisi l’hebdomadaire Valeurs actuelles (VA), qui fait rarement dans la nuance, pour dénoncer la vulgarité et l’indécence d’un univers où foot, rap et médias constitueraient la « racaille académie ».

Le procès est pertinent. En effet, de bonne foi, on ne peut occulter, pour qui appréhende l’humus quotidien, les délires de l’insignifiance, les enthousiasmes de l’insipide et le culte de la grossièreté. S’il y a aussi de l’outrance, la controverse ne s’en formalisera pas, c’est son registre de prédilection.

Toutefois la charge m’apparaît partiale et en quelque sorte inachevée parce qu’elle épargne ici et qu’elle accable là sans percevoir la force médiocre et la cohérence d’un système qui trouve le moyen de rendre ceux qui devraient sonner le tocsin complices de la catastrophe au quotidien.

En effet, quand VA s’étonne que cette « France racaille ne suscite pas l’opprobre des médias ni les foudres de la justice », il oublie que les premiers participent très directement à ces dérives et que la seconde, gangrenée par la montée des indélicatesses, n’a plus le courage de les sanctionner.

Il est en effet confortable de s’en prendre à l’inculture, à l’ignorance, à cette inévitable arrogance qui naît de la fusion du luxe avec la bêtise et, plus globalement, de ce sentiment de toute-puissance qui habite forcément ces personnalités du sport, du rap ou d’ailleurs quand une gloire de l’instant leur est offerte par l’écho démesuré donné à ce qui les concerne.

Mais qui a fait de l’affaire de Serge Aurier, durant quelques jours, l’affaire du siècle comme si les foucades de ce joueur, le PSG et Laurent Blanc représentaient un horizon indépassable pour la France d’aujourd’hui ? Un Himalaya qui a d’ailleurs accouché d’une souris ! Les intérêts du PSG passent avant l’éthique. Il suffit d’afficher celle-ci durant quelques jours…

Mais qui se moque de la qualité du français comme d’une guigne, notamment dans les commentaires sportifs, comme si c’était bien assez bon pour les « beaufs » qui regardent comme moi les matchs de foot ?

Mais qui donne à n’importe quel propos insultant de tel ou tel politique une visibilité grotesque en utilisant trop souvent le terme « tacle » comme si le but de la vie démocratique était moins de faire réfléchir et de proposer que de fustiger et de dégrader, faute de savoir convaincre par des moyens honorables ?

Mais qui considère qu’un animateur, présentateur, histrion serait déshonoré s’il ne glissait pas dans ses interventions pire qu’une familiarité, une saleté de langage, pour bien nous faire comprendre combien il est à la page et jamais en retard d’une inélégance alors que des millions de téléspectateurs écoutent et regardent ?

Mais qui invite des personnalités non pas pour leur qualité, leur talent, leur courtoisie et leur finesse mais pour l’espérance rarement déçue de les entendre proférer le pire sans que non seulement on les contredise mais qu’au contraire on les applaudisse ?

Mais qui ne cesse de convier par exemple un Jacques Séguéla, mais il y en aurait tant d’autres à épingler, dont les provocations de mauvais aloi, loin de l’éloigner des radios et des télévisions, en font à rebours un familier courtisé ? Il peut tout se permettre parce qu’il demeurera non pas malgré ses inanités mais grâce à elles.

Mais qui s’est élevé contre la scandaleuse menace de Guy Bedos concernant le premier Ministre : « Je lui péterais bien la gueule » ? Qui a osé pourfendre cette honteuse intervention ? Personne évidemment : c’était sur Canal Plus !

Qui s’offusque de l’intolérable et en tire des conclusions drastiques en laissant les poubelles à la porte ?

Je pourrais multiplier les exemples. La France racaille est partout. Pas seulement en bas mais en haut, et celle-ci est la pire parce qu’elle valide celle du bas qui a des excuses que l’autre n’a pas. En effet, rien ne me semble plus choquant que cette condescendance, voire ce mépris « de classe » qui s’en prend aux modestes de la vie qu’une réussite fulgurante a comblés et parfois dévoyés plutôt qu’à la vulgarité chic et prisée des privilégiés.

Quand la démagogie et la dérision croient qu’elles doivent amplifier ce que l’absence d’allure et d’éducation sécrète, on n’est pas loin, quel que soit le registre, d’une République intellectuellement et humainement en perdition.

Cela, certes, n’est pas apparemment tragique mais là où les attentats tuent, cette corruption banale, ordinaire, accueillie, blesse et fait mourir la civilisation à petit feu.

Il y a encore des procès à intenter. Ils ne changeront rien mais au moins ils démontreront qu’il y a encore une France qui n’accepte pas la France racaille.

Qui est partout. Ostensible ou parfumée. Surgie des banlieues et des beaux quartiers.

 

Cet article a été ini­tia­le­ment publié sur le blog « Jus­tice au sin­gu­lier » de Phi­lippe Bilger.

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