Sport Le 10 février 2013

La répartition des droits TV dans le championnat de football espagnol (liga BBVA): Barça et Madrid plus en tête que jamais !

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La répartition des droits TV dans le championnat de football espagnol (liga BBVA): Barça et Madrid plus en tête que jamais !

© gauche-anticapitaliste.ch (Caricature de “Subito” modifiée)

Avec l’article « Géopolitique du ballon rond » finement rédigé par notre ami Stefan Renna, nous avons pu constater la place prépondérante qu’occupe le sport roi dans notre société. A tel point qu’une récente étude menée par le cabinet d’audit Deloitte affirme que le football représente la 17ème économie mondiale avec un PIB avoisinant les 500 milliards de dollars.1

Le football est et doit avant tout rester un sport mais, dans les faits, celui-ci rime toujours plus avec business.

Le sujet que nous vous proposons de traiter concerne la répartition des droits de télévisons dans le championnat à la mode, à savoir la Liga espagnole BBVA. Un sujet qui a fait beaucoup jaser nombreux de présidents de clubs et qui risque de prendre de l’ampleur étant donné les difficultés économiques auxquelles sont confrontés plusieurs de ces clubs.

Avant d’entrer en matière, il faut savoir qu’un club de football fonctionne à l’instar d’une entreprise ; il engendre des revenus ainsi que des dépenses. A lui de faire en sorte que ces premiers soient supérieurs à ces dernières pour assurer sa viabilité. Ces revenus peuvent être séparés en deux catégories : les revenus typiques (abonnés, entrées au stade) et les revenus atypiques (publicité, sponsorship, merchandising, droits TV, etc.).2 Ces derniers ont pris une place prépondérante dans le football actuel et selon José Maria Gay de Liébana, économiste espagnol et professeur à l’Université de Barcelone ayant pour domaine de prédilection l’analyse économique du football, les revenus atypiques représenteraient aujourd’hui 76% du total contre seulement 24% pour les revenus typiques. Un phénomène nouveau quand on sait qu’il y a quelques décennies, les clubs comptaient surtout sur la billetterie. Pour ainsi dire, les revenus atypiques sont devenus de plus en plus typiques… Mais plus significative encore est la part qu’occupent les droits TV : près de 38% des revenus.3 Clairement une part considérable.

© goal.com. José Maria Gay de Liébana.

 

Une ligue à l’écossaise

Au cours de ces dernières années, la liga BBVA, qui s’auto-dénomine « La mejor liga del mundo » (« La meilleure ligue du monde »), est devenue l’affaire de deux équipes, à savoir le Real Madrid et le F.C. Barcelone. Une ligue « bipolaire » ou « à l’écossaise » comme on dit dans le jargon du foot. En effet, depuis 20 ans, seules trois autres équipes sont parvenues à rafler le titre : Atlético Madrid (95 / 96), Deportivo La Corogne (99 / 00) et F.C. Valence (01 / 02 et 03 / 04). Bientôt dix ans d’hégémonie donc pour les clubs des deux plus grandes villes d’Espagne. Rien de très étonnant puisque depuis toujours « culés » et « merengues » dominent la Liga en raison de leur masse sociale, budget, actifs, etc. Mais la différence avec les autres équipes s’accentue toujours plus. Meilleure ligue du monde ? Du moins pas en termes de compétitivité et de spectacle… Enfin pas plus que le suspens que procure le jet d’une pièce à pile ou face. Car en effet, si l’on jette un coup d’œil aux différents champions des ligues européennes ces dix dernières années, on s’aperçoit  que seul le championnat espagnol souffre de cette hégémonie. Premier League, quatre champions différents : Manchester City, Manchester United, Chelsea et Arsenal. Trois pour la Serie A : Juventus de Turin, A.C. Milan et Inter Milan. Cinq pour la Bundesliga : Borussia Dortmund, Bayern Münich, VFL Wolfsburg, VFB Stuttgart et Werder Brême. Cinq pour la Ligue 1 : Montpellier, Lille, Olympique de Marseille, Bordeaux et l’Olympique Lyonnais.

Augusto César Lendoiro, président du Deportivo La Corogne, déclare lors d’une interview au Sport (journal sportif catalan) : « Leurs revenus (se référant au Madrid et au Barça) ne viennent pas uniquement de la télévision. Leurs budgets avoisinent les 500 millions d’euros et la télé peut leur rapporter 60 ou 70 millions de plus. Même si on répartissait les droits télé équitablement, Madrid et Barça continueraient à avoir un budget nettement supérieur. »4 (Nous verrons plus tard que les montants sont en réalité nettement supérieurs)

Mais alors qu’est-ce qui explique qu’un tel fossé se soit créé entre ces deux équipes et le reste ? Ce qui nous choque, ce n’est pas tant le fait que le Barça ou le Madrid gagne le championnat année après année. Après tout, il en a toujours été ainsi. Ce qui est anormal, c’est l’énorme différence de points qu’il existe entre ces derniers et leurs poursuivants à la fin de l’année. L’un des facteurs aggravants à l’origine du problème est sans doute le thème de notre article, à savoir la mauvaise répartition des droits télé.

Il faut savoir qu’en Espagne, les modalités de négociation des droits télé diffèrent de celles qui existent dans les autres ligues majeures (Angleterre, Allemagne, France et Italie). En effet, il existe deux formes de négociation : le modèle individuel et le modèle collectif. Dans le premier cas, chaque club est responsable de la négociation de ses propres droits  avec l’agence de télévision en question; tandis que dans le second cas, ce sont tous les clubs conjointement (ou la ligue de foot du pays en question) qui négocient avec le/les opérateur(s) télé.

On voit là tout le problème : dans le modèle individuel, ceux qui possèdent un grand pouvoir de négociation parviendront à s’emparer de la plus grande part du gâteau. Le modèle collectif, lui, plus équitable, ne prendra pas tant en compte ces disparités puisque la négociation se fait conjointement ! De plus, cette position avantageuse (en effet, l’opérateur télé ne négocie plus qu’avec une seule et même entité) met en position de force les différents clubs (au lieu de chacun faire la guerre de son côté) qui négocieront un seul et même produit.

C’est pourquoi en Espagne, le Real Madrid et le F.C. Barcelone se sont partagés respectivement durant la saison 2009/2010 la bagatelle de 140 millions d’euros, soit 47% du montant total… presque rien. A titre de comparaison, les 3ème et 4ème clubs d’Espagne représentés par le Valence et l’Atlético Madrid arrivent à peine à décrocher le 30% des deux colosses. La différence entre le premier et le dernier du classement va même jusqu’à atteindre un ratio de 12. (cf. tableau)

Répartition des droits TV en millions d’euros. Saison 2009/2010.[5]

L’exemple suivant illustre à lui seul le déséquilibre existant : cette même saison, le Valence qui s’est classé 3ème de la Liga a obtenu autant de droits télé que le Wigan de la Premier League  qui a frôlé la relégation.

 

PME vs Multinationales

Difficile alors pour les « PME » de la Liga de concurrencer nos deux « multinationales » dans un tel contexte. C’est pourquoi, José Maria Del Nido, l’actuel président du F.C. Séville, a exprimé son ras-le-bol lors d’une interview au journal sportif de la capitale Marca en septembre 2011 : «  (…) Notre ligue n’est pas une ligue compétitive. Il y a deux clubs qui s’emparent de l’argent du reste. Les opérateurs (télé) feront ce que dictera la Liga. Les droits de télévision sont collectifs et n’appartiennent pas à une équipe concrète. La poule aux œufs d’or est bientôt épuisée (…) Pis encore, le leader sévillan fait un appel à la révolution : « Ce mouvement n’a plus de marche arrière ; il s’agit d’une révolution venant de la base comme la Révolution française. Au fait comment avait fini le roi qui régnait en France à cette époque ? » conclue-t-il avec la pointe d’ironie qui le caractérise.

© thefootballramble.com. José Maria Del Nido, le toujours polémique président du F. C. Séville.

José Maria Del Nido fait ici clairement référence au modèle de négociation collectif qui prévaut dans les principaux championnats tels que la Premier League, souvent montrée comme l’exemple à suivre. En effet, chez les Anglo-saxons 50% des recettes générées sont réparties équitablement entre tous les clubs (4ème colonne, cf tableau ci-dessous). Ensuite, 25% correspondent à la performance réalisée l’année précédente durant le championnat (6ème colonne : le premier du classement encaisse 20 fois plus que le dernier). Enfin, les derniers 25% sont répartis en fonction de l’audience télévisuelle ainsi que du nombre de matchs retransmis (5ème colonne).

Pour illustrer tout cela, voici un tableau représentant la répartition des droits télé durant la saison 2011/2012 de la Premier League en pounds :

Répartition des droits TV. Saison 2011/2012 de la Premier League en pounds. [6]

Pour montrer l’abîme qui sépare la politique de répartition des deux championnats voici une donnée révélatrice : le ratio entre le premier et dernier de la Liga est, rappelons-le, de 12, tandis que dans la Premier League, celui-ci n’est que de 1,54 !

Non seulement les droits télé sont mieux répartis, mais, en plus de cela, la Premier League est le championnat qui génère le plus de revenus. En effet, elle a récemment décroché un contrat record avec le groupe de télécommunications britannique BT pour une valeur de 3,97 milliards d’euros7 (soit 70% de plus que l’ancien contrat en vigueur). Car si le championnat espagnol est « La liga de las estrellas » (« La ligue des stars », slogan faisant référence aux nombreuses vedettes évoluant dans le championnat), il l’est beaucoup moins quand il s’agit de négocier les contrats télé. En effet, des ligues prétendument mineures telles que la Bundesliga ou le Calcio parviennent à décrocher de meilleurs contrats.

Ceci vient véritablement remettre en question le modèle espagnol. A ce propos, de nouveau, Jose Maria de Liébana ajoute : « Il nous faut savoir mieux vendre les droits télé ; c’est incompréhensible que la liga espagnole, la meilleure du monde, génère moins de revenus que la ligue italienne par exemple. Sans parler de la Premier League ! (…) Il devient urgent de mettre en place un plan de viabilité du foot espagnol qui passerait par la centralisation des droits télé (…) Ceci nous permettrait de décrocher de meilleurs contrats. Actuellement nous ne générons pas plus de revenus que la Ligue 1 française. »8

Il va de soi qu’avec ce nouveau contrat record, la Premier League vient de donner un coup de poing sur la table, ce qui va permettre aux clubs anglais de se trouver en position très avantageuse lors des prochains mercatos. En effet, il y a fort à parier que nous serons témoins dans les années à venir d’une migration de joueurs vers le foot anglais (davantage encore que ce à quoi nous assistons déjà). A cet égard, il serait judicieux de se demander si le football n’est pas en train de créer une bulle spéculative avec ces montants toujours plus gargantuesques, mais c’est un autre débat… Revenons à nos moutons.

 

La guillotine pour bientôt?

« Une meilleure répartition ! » semble s’écrier le prolétariat …mais est-ce vraiment la solution pour donner un renouveau à la Liga ? Certes, il ne s’agit pas là de la panacée, mais, à bien des niveaux, elle peut se révéler attractive. Pour preuve, un récent article de El Confidencial Digital,9 un quotidien online espagnol qui révèle qu’une proposition aurait été faite à la LFP pour baisser le prix des entrées au stade de moitié pour la saison 2013/2014 (elles sont de l’ordre de 45 à 60 euros actuellement). Cette initiative voit le jour en raison du manque d’affluence dans les stades espagnols loin derrière les germaniques et les anglais (cf. tableau ci-dessous) et vise donc à émuler le modèle allemand où les entrées sont à 25 euros et les stades une véritable fête, et ce quelle que soit la rencontre disputée. Mais pour ce faire, de nouveau, cela requerrait une meilleure répartition des droits télé afin de compenser ce « rabais » fait au consommateur. Il ne faut toutefois pas se le cacher : imiter le modèle allemand s’avère très compliqué. En effet, des stades flambants neufs (grâce à la Coupe du monde 2006), des clubs populaires et financièrement sains, une bonne conjoncture économique, etc, sont autant d’éléments qui donnent au modèle allemand une longueur d’avance. Cette nouvelle initiative constituerait néanmoins un pas dans cette direction. Cependant, nous voyons mal comment les deux clubs les plus puissants d’Espagne se verraient renoncer à plus de la moitié des revenus découlant des droits télé. De leur point de vue, cela reviendrait un peu à mettre un auto-goal en pleine lucarne…

Affluences totales et moyennes dans les stades européens. Saisons 2010/2011 et 2011/2012.[10]

 

© compartirpasion.com. Voilà à quoi peut ressembler l’ambiance dans les gradins du Westfalenstadion (stade du Borsussia Dortmund).

 

Pas que du mauvais…

Il serait intéressant de se demander si cette « répartition » des droits télé influence de quelque manière les stratégies des clubs espagnols. La réponse est sans doute oui. Face au manque de moyens, beaucoup de clubs n’ont d’autre choix que de se tourner vers des stratagèmes alternatifs afin de rester concurrentiels. La principale alternative qui s’offre à eux est celle de recourir aux jeunes joueurs formés au club. Hormis les cas particuliers du F.C. Barcelone et des deux clubs basques (Athletic Bilbao et la Real Sociedad) ayant tous trois une philosophie de formation très ancrée, d’autres clubs ont vu leur nombre de joueurs formés à la maison prendre plus de poids au sein des équipes. C’est le cas de deux clubs qui ont connu de grosses difficultés économiques dernièrement comme le Bétis Séville et le Celta Vigo. En raison du panorama économique, ils ont dû faire confiance aux jeunes de la maison. Aujourd’hui, ils affichent près de cinq joueurs formés au club11 dans leur onze, weekend après weekend. Cette « roue de secours » permet ainsi aux clubs d’éviter de débourser des millions pour un transfert et de devoir payer des salaires exorbitants. Et cette tendance semble se poursuivre.

 

Et après ?

Voilà venu pour nous le temps de conclure. Nous avons vu lors de la dernière cérémonie de la FIFA pour le Ballon d’Or 2012 comment le journal sportif Marca se ventait de l’écrasante victoire espagnole après que la FIFA ait élu dans le « onze d’or » cinq joueurs du Barça, cinq joueurs du Real Madrid et un de l’Atlético Madrid.

Or, ce qu’ils prétendent être une « Apothéose de la liga espagnole » (en-tête de la une) n’est en réalité que le couronnement du Real Madrid et du Barça, malgré ce qu’ils veulent nous faire croire.

Dans notre article, nous avons pu constater que la question de la mauvaise répartition des droits télé n’est pas seule à l’origine du problème, mais tient une place prépondérante dans celui-ci. Ce qui est sûr, c’est que la volonté des 18 autres équipes finira par peser plus que les intérêts des deux grands. D’ailleurs une nouvelle loi (Ley del Deporte Profesional12) ira dans ce sens en 2013 et accordera plus d’autonomie et de responsabilités à la Liga. De plus, cette loi remet en question l’actuel modèle de répartition des droits télé  dans le but de « parvenir à une répartition équilibrée et une certaine égalité concurrentielle ». Si tel est le cas, on peut espérer que dans les années à venir, La Liga devienne, à tous les effets,  la « Meilleure ligue du monde ».

© damefobal.com


[2] Vidéo youtube : http://www.youtube.com/watch?v=9QIjWTUa8UY

[3] http://futbol.as.com/futbol/2012/12/28/primera/1356698812_403169.html

[4] http://www.sport.es/es/noticias/liga-bbva/20110904/lendoiro-barca-madrid-son-tan-superiores-por-los-derechos-television/1139945.shtml

[5] http://www.diariosdefutbol.com/2010/11/19/sobre-el-reparto-de-los-derechos-televisivos/

[6] http://www.futebolfinance.com/premier-league-distribuicao-de-receitas-tv-201112

[7] http://www.adslzone.tv/2012/09/05/la-premier-league-consigue-con-la-venta-conjunta-de-derechos-un-70-mas-de-dinero-por-la-television/

[8] http://www.laopinioncoruna.es/deportivo/2012/11/23/gay-liebana-facil-cebarse-depor-atletico-debe-triple/667065.html

[9] http://elconfidencialdigital.com/vivir/080462/las-entradas-al-futbol-a-25-euros-los-clubs-aceptan-la-propuesta-de-la-liga-de-bajar-precios-para-llenar-los-estadios-a-cambio-de-un-nuevo-reparto-de-los-derechos-de-tv

[10] http://www.futebolfinance.com/evolucao-das-assistencias-nas-ligas-europeias-2012

[11] http://www.marca.com/2012/11/01/futbol/1351786554.html

[12] Loi sur le sport professionnel: http://www.marca.com/2012/12/28/mas_deportes/otros_deportes/1356707187.html

Commentaires

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L’annonce en mai 2018 de l'acquisition des droits TV de la ?Ligue 1 par Mediapro a ete retentissante dans le…

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L’annonce en mai 2018 de l’acquisition des droits TV de la ?Ligue 1 par Mediapro a ete retentissante dans le monde du football francais. Si les telespectateurs peuvent regretter la fin du contrat avec le diffuseur historique Canal +, les presidents de club ont quant a eux affiche leur satisfaction concernant ce nouveau montant de 1,153 milliard d’euros par saison pour la periode 2020-2024.

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