Au gré des publications antérieures, je vous ai invités à réfléchir à ce qui se passe en Syrie, à découvrir ce magnifique pays et à rencontrer certaines personnes touchantes. Vous l’avez bien saisi, ce pays est avant tout une terre d’accueil, d’hospitalité, d’histoire et de solidarité, malgré les affrontements sanglants de ces derniers mois.
C’est en hommage à toutes ces personnes généreuses, victimes de la guerre, que je souhaite conclure sur une note d’action et d’espoir. Ce cinquième et dernier article présentera des projets menés sur le terrain (opérations très difficiles), par une association honnête, efficace et engagée qui mérite largement d’être soutenue : Life for Syria. Je remercie ici mon ami Octave pour cet article et pour son engagement. Après avoir parcouru certains côtés obscurs ou frappants de cette guerre, nous pouvons apporter une graine positive et concrète. Cela ne fera pas seulement du bien à la population civile syrienne, mais surtout à nos cœurs et à nos consciences, qui se sentent souvent dépassés et impuissants face à l’ampleur de certaines catastrophes. Nous n’allons pas continuer à déplorer la situation, nous essaierons de la changer modestement* ! La goutte d’eau… S’informer, prendre conscience, et passer à l’acte.
* Car il ne s’agit pas de s’attaquer aux énormes problèmes mondiaux, mais de changer ce qui est à notre portée. C’est ainsi que nous pouvons changer le monde. Et oui. Appelez cela utopie, je dirai plutôt conscience et impact mesurable.
Présentation de l’association Life for Syria
La « crise syrienne », comme certains l’appellent encore pudiquement, dure depuis maintenant plus de deux ans. Il est vrai qu’il est difficile de donner un nom à ce conflit qui, depuis mars 2011, a causé plus de 100 000 morts1, plus de quatre millions de déplacés internes et près de deux millions de réfugiés2, sur une population totale de 22 millions d’habitants. Ni guerre civile « à la libanaise », ni conflit traditionnel impliquant plusieurs États ou structures équivalentes, la situation s’est complexifiée à mesure que la protestation au départ pacifique dirigée contre le président Bachar al-Assad s’est transformée en résistance armée composite face à la répression forcenée menée par les forces gouvernementales. Composite, car dans les forces « rebelles » se mêlent les troupes hétéroclites de l’Armée syrienne libre, au départ composée de déserteurs de l’armée gouvernementale, des groupes islamistes au recrutement plus international, et enfin une multitude de petites brigades incontrôlables qui s’illustrent par leur tendance au pillage et aux exactions contre les populations locales dans les zones où elles sévissent.
En Syrie, plus encore que dans le cadre de conflits mieux encadrés par les règles internationales de la guerre, les populations civiles pâtissent durement du conflit. Les zones et villages rebelles ont subi, et subissent encore, des bombardements incessants, causant de nombreuses victimes et entraînant le déplacement des familles épargnées, dont les logements ont été détruits ou qui ne peuvent plus rester dans des zones désormais sinistrées. Près de deux millions de Syriens sont aujourd’hui réfugiés, dans des conditions précaires, dans les pays environnants (Liban, Jordanie, Turquie et Irak). Leur quotidien est relaté, sous la forme d’interviews et de portraits, sur le site Focus on Syria (http://www.focusonsyria.org/fr/).
Outre les réfugiés, le nombre de déplacés internes dépasse quatre millions, et de nombreuses familles ont subi plusieurs déplacements successifs, dus au bombardement des zones où elles avaient trouvé refuge. Ces familles sont démunies, souvent privées de revenus par la perte du père, tué, détenu ou ayant dû s’enfuir pour échapper à une arrestation ; elles rassemblent de nombreuses personnes vulnérables, enfants en bas âge, personnes âgées, femmes sans activité professionnelle, adolescents ayant assisté à des scènes de violence, à la mort d’un proche, de voisins, ayant subi bombardements ou siège de leur ville. Quant aux Syriens qui résident dans des zones moins directement affectées par les combats, ils souffrent également de la détérioration générale de la situation sécuritaire et économique. Le coût de la vie a en effet terriblement augmenté en Syrie, le prix de certaines denrées de base ayant été multiplié par plus de dix : aujourd’hui, un sachet de dix galettes de pain coûte 300 livres syriennes (environ deux euros) contre 20 à 25 livres au début du conflit. De plus, dans bien des villes, le pain manque, et il faut faire la queue plusieurs heures avant de pouvoir en acquérir une petite ration ; parfois, les boulangeries se contentent, lorsqu’il y en a, de vendre de la farine et les familles font le pain elles-mêmes. Ce sont tous les secteurs de la vie quotidienne qui sont affectés : les déplacements sont devenus très lents et dangereux en raison des très nombreux check-points assortis de risques d’arrestation ou de tirs croisés, l’accès aux soins est presque impossible pour les familles de déplacés, toujours suspectées d’être favorables aux rebelles, les stocks de médicaments s’épuisent, le lait maternisé et les couches pour enfants sont très chers et même introuvables dans certaines villes. Les rapports du World Food Program (WFP) et de la Food Aid Organization (FAO) indiquent que quatre millions de Syriens se trouvent, aujourd’hui, en situation de précarité alimentaire3.
Dans ce contexte humanitaire dramatique, le gouvernement syrien s’obstine à interdire l’accès au territoire à la plupart des ONG, y compris à celles travaillant dans les secours d’urgence. Quant aux agences des Nations Unies et aux quelques organisations internationales munies d’une autorisation de travailler en Syrie, elles voient leurs actions systématiquement entravées4. Le Croissant-Rouge syrien, en charge de coordonner et distribuer l’aide, travaille sous étroite surveillance gouvernementale. Il n’est donc pas perçu comme neutre et de nombreuses familles de déplacés ont peur de s’enregistrer auprès de lui pour obtenir de l’aide. En conséquence, dans de très nombreuses régions, les seuls acteurs humanitaires fiables sont les organisations de la société civile syrienne. Ces organisations sont la plupart du temps nées comme petits réseaux informels d’aide, en réponse aux besoins des blessés et des déplacés. Dans les zones contrôlées par l’Armée syrienne libre, elles peuvent agir au grand jour, à condition d’être enregistrées auprès des structures de la Coalition. Dans les zones gouvernementales, en revanche, elles doivent agir dans la clandestinité, au péril de la vie de ses membres car elles sont officiellement considérées comme des soutiens aux « forces terroristes » rebelles. Les nombreux médecins syriens qui ont choisi de soigner clandestinement les blessés et les déplacés font aussi l’objet d’une répression féroce. Aujourd’hui, en Syrie, se déplacer avec un sac de médicaments, acheter plusieurs couvertures l’hiver, tenter d’acquérir des denrées alimentaires en quantité suspecte, tous ces gestes en théorie anodins sont devenus dangereux, car interprétés comme un soutien aux forces anti-gouvernementales. Ce sont pourtant ces groupes de citoyens qui assurent la plus grande partie de l’aide humanitaire de base auprès des familles touchées par la guerre.
Depuis novembre 2011, l’association Life for Syria soutient de tels réseaux, les aidant à mener à bien leurs activités de secours auprès des populations civiles. Les besoins d’urgence sont énormes : paniers alimentaires, lait et couches pour les enfants, aide aux loyers pour les familles de déplacés sans revenus, couvertures et fuel domestique pour le chauffage pendant les mois d’hiver (si les températures estivales sont très élevées en Syrie, les hivers y sont très rigoureux), médicaments et accès aux soins pour les maladies chroniques (diabète, hyper-tension, parasites) et saisonnières (diarrhée, déshydratation, grippe hivernale) et les accouchements, produits d’hygiène et de première nécessité…
Le fonctionnement de Life for Syria découle de son histoire et est particulièrement adapté à la situation sur le terrain. L’association est née en Syrie à l’automne 2011, tout d’abord sous l’aspect d’un réseau informel d’entraide entre des membres syriens et européens. Elle s’est ensuite constituée en association française loi 1901 depuis novembre 2012, dans un souci de légalité, d’efficacité et de transparence financière. Elle réunit aujourd’hui des membres syriens présents à l’intérieur du territoire et des membres européens présents dans les pays limitrophes (Liban et Jordanie) et en Europe. Le but de l’association est de venir en aide aux populations civiles victimes de la guerre et de la répression en Syrie, et en particulier aux plus vulnérables d’entre elles : les blessés et les familles déplacées. Life for Syria apporte son aide uniquement à des personnes se trouvant sur le territoire syrien, là où les ONG traditionnelles ne peuvent pas agir pour les raisons exposées plus haut. L’action à l’intérieur du pays est relayée par les réseaux syriens avec lesquels l’association travaille, au nombre d’une douzaine : l’association leur fait parvenir l’aide sous forme financière, ils la convertissent en aide matérielle et l’acheminent auprès des familles de déplacés. Ces réseaux sont de taille variée : certains aident une vingtaine de familles tandis que d’autres interviennent auprès de plusieurs milliers d’individus. Ils sont indépendants les uns des autres, mais tous sont en relation plus ou moins directe avec des comités de médecins, des comités locaux et fonds de secours divers, et surtout avec les bénévoles qui travaillent à aider les plus démunis. Détail important, les réseaux locaux soutenus par Life for Syria sont des réseaux multi-confessionnels, qui contribuent à lutter contre la communautarisation de la Syrie – une communautarisation orchestrée par le gouvernement syrien en réponse à la protestation politique, et non confessionnelle, qui lui était adressée. Par leur action, destinée à toutes les familles démunies, sans distinction d’appartenance ethnique, géographique ou confessionnelle, ces réseaux œuvrent aussi à assurer au quotidien une solidarité interconfessionnelle et donc à maintenir, malgré les efforts du régime pour créer et aggraver la fracture communautaire, l’horizon d’un avenir commun pour les Syriens de toutes appartenances ethniques ou confessionnelles.
Outre l’aide aux familles telle que détaillée ci-dessus, Life for Syria soutient enfin des projets de plus long terme, comme la formation professionnelle des femmes qui ont perdu leur mari et se trouvent en position de soutien de famille, le suivi psychologique des enfants et adolescents déplacés ayant parfois vécu des situations de violence extrême, l’aide aux artisans syriens traditionnels afin que la guerre ne fasse pas définitivement disparaître leur savoir-faire déjà rare, etc. L’association intervient aussi ponctuellement dans des cas particuliers d’urgence : soins médicaux à apporter à des enfants malades ou à des femmes devant accoucher par exemple. Elle achemine aussi, à partir des pays voisins de la Syrie, vêtements et médicaments à destination des familles de déplacés. Les chiffres exacts des personnes aidées fluctuent en fonction des ressources financières que l’association est en mesure de mobiliser, et des situations locales elles-mêmes changeantes ; à l’heure actuelle (juillet 2013), Life for Syria fait parvenir une aide mensuelle de manière régulière à environ 4 000 familles, soit près de 26 000 personnes, et ce dans presque toutes les régions de la Syrie. Depuis novembre 2011, c’est ainsi plus de 500 000 dollars d’aide aux civils syriens qui ont été distribués, et seules des ressources financières limitées empêchent l’association de venir en aide à un nombre beaucoup plus important de personnes en situation de très grande précarité. Les activités de Life for Syria, ainsi que des points d’actualité sur la situation humanitaire en Syrie, sont détaillées sur le blog de l’association (www.life4syria.wordpress.com) et sur sa page Facebook (https://www.facebook.com/pages/Life4Syria/133772043449038), à consulter pour plus d’informations.
Si Life for Syria reçoit ponctuellement l’appui de bailleurs internationaux ou le soutien financier ou matériel d’ONG reconnues, depuis sa fondation, l’association fonctionne en grande partie grâce aux donations de particuliers. Chaque euro compte : trois euros permettent d’acheter les antibiotiques nécessaires pour soigner une personne souffrant d’une maladie saisonnière ; trente euros sont le prix d’un panier alimentaire complémentaire pour une famille de 5-7 personnes pour un mois ; avec soixante euros, on assure à un nouveau-né lait maternisé et couches pendant un mois ; avec cent euros, on aide une famille entière à acquitter le prix de son loyer mensuel. Les dons peuvent se faire par chèque ou virement bancaire, et donnent lieu à un reçu de l’association. Tous les membres de l’association sont bénévoles et prennent en charge les petits frais de fonctionnement, ce qui nous permet de garantir à nos donateurs et bailleurs que 100% des dons qu’ils accordent à Life for Syria parviennent en Syrie. L’association produit régulièrement des rapports financiers sur l’utilisation des fonds qui lui sont octroyés.
Aujourd’hui, en Syrie, faire société procède en premier lieu de la solidarité au quotidien entre les populations, entre celles qui disposent encore de quelques ressources et celles qui sont soumises aux aléas de la violence. Plus que tout autre rapport politique, c’est la pratique humanitaire qui soude les Syriens en un peuple qui, dans le présent partagé, peut envisager un avenir commun ; et cela, en dépit des efforts répétés du régime pour briser les liens multiséculaires qui cimentent la mosaïque ethnique et confessionnelle syrienne. Le régime syrien criminalise le secours humanitaire parce qu’aider les Syriens en souffrance constitue un acte qui renforce sur le terrain la cohésion nationale et les relations solidaires entre les composantes humaines du pays. Grâce au soutien des femmes et hommes de bonne volonté partout dans le monde, la Syrie de demain, pays multiconfessionnel et démocratique, se relevant dans la dignité de ses périodes sombres, naît dès maintenant de la fraternité du quotidien entre Syriens, celle qui fonde les grandes nations !
Télécharger le dépliant Life for Syria
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26150 Die
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[1] Déclaration de M. Ban Ki-Moon, secrétaire général des Nations Unies, 25 juillet 2013.
[2] UN Office for the Coordination of Humanitarian Affairs, Issue 29, Syria Humanitarian Bulletin (2 au 15 juillet 2013), p. 1.
[3] Joint Crop and Food Security Assessment Mission (CFSAM), publié par WFP et FAO, 5 juillet 2013.
[4] Depuis avril 2013 et les premiers avertissements de John Ging, Directeur des opérations d’OCHA, ces organisation dénoncent régulièrement l’obstruction gouvernementale envers l’aide, déjà réduite, qu’ils peuvent apporter (source: ReliefWeb, déclarations des dirigeants UN, etc.).
*Les photos ont été mises à disposition par Life For Syria. Elles ont été prises Lens Young Hamawi, Lens Young Homsi, Lens Young Halabi, Nino Fezza et Aleppo Media Center (AMC), qui ont accepté de les céder pour L4S afin d’illustrer la situation sur le terrain.
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