Sport Le 6 janvier 2015

Le Ballon d’Or, cette récompense qui ne dit plus rien

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Le Ballon d’Or, cette récompense qui ne dit plus rien

(fr.fifa.com)

C’en est devenu une rengaine. Année après année, les candidats sortent du bois de plus en plus tôt, aidés par des médias qui font de cette élection un enjeu majeur. Ils sont en campagne, donnent des interviews pour se promouvoir et lancent des pics à leurs rivaux. En plein lobbying, ils s’offusquent lorsqu’un ami prétend qu’il choisirait un autre s’il avait le droit de vote. Pire encore, certains suiveurs sont persuadés que l’autorité organisatrice favorise l’un ou l’autre. Toute déclaration, aussi naïve soit-elle, s’en finit surinterprétée et utilisée à charge. De quoi signer l’absurdité de ce raffut médiatique d’un suffrage qui n’aura finalement aucune incidence une fois celui-ci passé. Si ce n’est de nourrir les frustrations de certains et de lancer encore plus rapidement la course au futur distingué. Tel est aujourd’hui le constat navrant qu’amène la désignation du Ballon d’Or, récompense individuelle inventée au milieu du siècle dernier par France Football à laquelle s’est adjointe depuis cinq éditions maintenant la FIFA. Et dont le vainqueur pour 2014, dont le résultat est déjà acté mais sera révélé le 12 janvier prochain lors d’un Gala à Zürich, est à choisir entre Cristiano Ronaldo, Lionel Messi et Manuel Neuer.

 

Moins d’Histoire, plus de stars

Evidemment, la critique n’est pas nouvelle. L’aberration d’une récompense individuelle dans un sport collectif a été maintes fois relevée ici et là. Néanmoins, elle avait pendant longtemps pour qualité de laisser la trace, aussi personnifiée soit-elle, du palmarès d’une équipe. Notamment en années de Coupe du Monde où le Ballon d’Or venait récompenser le joueur marquant du groupe champion du monde. Les exemples sont alors légion et les seules entorses à cette règle avant 2010 s’expliquent par le caractère longtemps exclusivement européen de la récompense. Sans oublier le sacre de Cruyff en 1974, malheureux finaliste du Mondial, devançant le capitaine champion du monde Beckenbauer. Anomalie de l’histoire qui permettait aussi d’honorer à sa juste valeur le Totaalvoetbal de Rinus Michels, dont tant se sont inspirés plus tard.

Johan Cruyff, Ballon d'Or à trois reprises et digne représentant du Totalvoetbal (sport24.figaro.com)

Johan Cruyff, Ballon d’Or à trois reprises et digne représentant du Totalvoetbal (sport24.figaro.com)

En effet, le Ballon d’Or, dicté par son principe, s’est toujours réduit à un individu. Mais le recul nous permet d’utiliser ce raccourci pour se rappeler à l’importance de l’équipe à laquelle était rattaché ce joueur dans l’histoire de ce sport et de son jeu. En étant attribué jusqu’en 2009 par des journalistes, cette distinction a eu la chance de se raccrocher à de tels garde-fous. Ceux-ci évitant de sombrer dans l’heuristique de la statistique individuelle, oubliant d’autres critères prédominants. En confiant la responsabilité de choix à une « communauté » attachée à l’analyse critique, le Ballon d’Or recouvrait ainsi la crédibilité qu’il perdait en voulant ne distinguer qu’un seul joueur.

Or, avec l’inclusion des sélectionneurs et capitaines de sélection suite au mariage avec la FIFA en 2010, le recul et le bon sens ont laissé place aux calculs et au copinage. Mais, et surtout, les critères différenciés (autant le palmarès collectif qu’individuel, la personnalité ou encore la carrière), qui valaient hier ont été remplacés, implicitement, par la pure performance individuelle. Du moins pour les votants issus du « monde du football ». Puisque les journalistes ont déjà pris l’habitude, en 2010 avec Sneijder ou en 2013 avec Ribéry, de plébisciter un joueur qui ne sera finalement pas sacré. Paradoxe ultime, ce sont pourtant ces mêmes médias qui, à l’ère de l’individualisation de notre société, mettent en avant un perpétuel duel Messi-Ronaldo.

(tf1.fr)

(tf1.fr)

 

Neuer, pour espérer et laisser une trace

Loin de contester le niveau de jeu stratosphérique de ces deux joueurs, il serait peut-être quelque peu intéressant de se demander quelle trace, dans l’histoire du football, laissera le palmarès de ces dernières années. Des récompenses de Messi transparaîtra sans doute le football de possession de Guardiola et, peut-être, de celles de Ronaldo une idée de jeu tout en vitesse et explosivité. Mais ce palmarès nous rappellera aussi une période où le jeu basé sur un collectif est dominé par un autre centré sur les individualités. Une époque où les suiveurs aiment les joueurs plus que les équipes et ne sont bercés par des actions de jeu que si elles mettent en valeur leur préféré. Probablement que cette évolution va dans le sens de l’Histoire, qu’elle se fond à merveille dans le contexte sociétal qui lui sert de cadre. Mais le football, s’il s’est toujours accommodé des évolutions socio-politiques, a aussi souvent rempli son rôle d’exutoire permettant, un match durant, de faire l’impasse sur les réalités quotidiennes. Comme lorsque, en pleins totalitarismes italien ou soviétique, le peuple retrouvait sa liberté une fois parvenu dans les tribunes. Ainsi, si l’Histoire doit mettre en avant l’individu, le football peut redonner de l’importance au jeu d’équipe et consacrer ses évolutions.

C’est par cet aspect que l’attribution du futur Ballon d’Or peut revêtir une importance insoupçonnée. Là où les chiffres devraient accorder peu de place au choix et laisser le trophée dans les mains de Ronaldo, un message d’espoir pourrait être envoyé en l’attribuant à Manuel Neuer. L’espoir de considérer que le football n’est pas réduit à une interminable fuite en avant vers l’individualisation ultime. Que le football, s’il connaît une période où les individualités ont un rôle prédominant, est également capable de présenter un jeu en constante évolution. Ce que le gardien allemand incarne parfaitement.

Manuel Neuer, révolutionnant le poste de gardien de but face à l'Algérie au Mondial 2014 (www.tagesspiegel.de)

Manuel Neuer, révolutionnant le poste de gardien de but face à l’Algérie au Mondial 2014 (www.tagesspiegel.de)

En remportant le Ballon d’Or 2014, Neuer laisserait une trace indélébile dans l’Histoire du football. Ce qu’il a apporté au poste de gardien de but, et à l’influence que cela a dans le jeu, serait clairement marqué. Il est fort probable en effet que, à l’avenir, les gardiens de but soient formés sur le modèle de Neuer. Et pas forcément sur celui de Casillas, de Buffon ou de Cech, pour ne citer que les plus grands de notre temps. Car, par Neuer, c’est une vision différente du poste de gardien de but que nous avons là. On ne cherchera plus un portier capable uniquement d’être très fort sur sa ligne ainsi que dans les sorties aériennes. On voudra alors qu’il puisse relancer correctement, couper des trajectoires loin de ses buts et définir le plan de jeu de son équipe. Avec Neuer, les intentions d’une équipe sont claires : un bloc très haut pour étouffer l’adversaire et une construction par l’arrière. Soit un joueur capable tout autant que les dix autres de caractériser et d’influencer le jeu d’une équipe.

 

Récompenser les évolutions, non plus les statistiques ?

Cette année, le Ballon d’Or a donc le pouvoir de concrétiser une évolution du jeu, sans doute la plus marquante de l’année. Même si tant le Real que l’Atletico, dans des styles si différents, ont produit des choses très intéressantes. Mais qui n’avaient alors rien de très révolutionnaire, bien que leurs réalisations aient pu être stupéfiantes. Avec Neuer récompensé, le Ballon d’Or 2014 prendrait une signification très claire en distinguant un des tournants que le jeu a pris en 2014 et qui, en plus, a notamment permis à l’Allemagne de remporter la Coupe du Monde.
Surtout, il serait en rupture totale avec la tendance. On l’a vu, les multiples titres individuels de Messi et Ronaldo ne disaient plus rien, ou alors très peu, sur l’évolution récente du jeu collectif. Si tant est que le Ballon d’Or veuille continuer à mettre en exergue les apôtres des Charts, ne serait-il pas temps alors que soit mise en place une nouvelle distinction dans le monde du football ?

Une distinction qui, elle, à défaut de suivre le cours de l’Histoire, chercherait simplement à aller dans le sens du jeu et de ce qui se passe sur le terrain. Et laisser la part belle à ceux qui y réfléchissent, qui innovent, qui cherchent des solutions pour se défaire des routines et surprendre leurs adversaires. Avec la possibilité de ne sacrer pas uniquement un joueur, d’étendre cela à une équipe, à un entraîneur, voire un arbitre. Ou plusieurs joueurs. Le Barça de Guardiola aurait alors peut-être une place plus juste dans l’Histoire du football, non pas à travers les quatre Ballon d’Or de Messi mais par une seule distinction commune à Xavi et Iniesta. Qui finalement aurait signifié une fois pour toutes l’évolution du football entre la fin des années 2000 et le début de la présente décennie.

Pep Guardiola, porté en triomphe par son équipe du Barça en 2009 (www.telegraph.co.uk)

Pep Guardiola, porté en triomphe par son équipe du Barça en 2009 (www.telegraph.co.uk)

Peut-être aussi que cela rendrait les débats plus sains et plus réfléchis. Avec des véritables écoles de pensée et non plus un soutien sur la base de copinage, patriotisme ou corporatisme. Comme cela aurait pu être le cas en 2012, entre ceux militant pour l’assise défensive et la prime à l’expérience de Chelsea, ceux pour qui l’intensité avec et sans ballon de l’Athletic Bilbao de Bielsa importait, ou encore les fervents partisans du jeu de Quaterback de Pirlo. Une lutte à laquelle se seraient joints ceux qui imaginaient le football du futur par la possession à outrance avec plus ou moins d’occasions de but, à l’instar de l’Espagne championne d’Europe. Quel que fût le retenu cette année-là, il aurait caractérisé une véritable évolution du jeu qui serait restée dans un palmarès et non plus uniquement dans les souvenirs nostalgiques des plus attentifs. Au point que, en 2013, le Ballon d’Or de Ronaldo n’évoque finalement rien. Pendant que le Gegenpressing de Dortmund, qui avait si bien marché la même année en Ligue des Champions, risque de se noyer avec la saison présente et calamiteuse du club en Bundesliga. Alors qu’il aurait probablement mérité d’être distingué par une récompense qui s’éloignerait de la rationalité pure attribuée au nombre de buts mais qui consacrerait l’une des si nombreuses évolutions que ce jeu qu’est le football permet d’imaginer depuis plus de 150 ans.

 

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