Société Le 25 février 2014

Le cas Dieudonné ou comment faire taire sans faire trop de bruit

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Le cas Dieudonné ou comment faire taire sans faire trop de bruit

© Dieudosphere.com

Il y a quelques jours, alors que la polémique autour du « cas Dieudonné » faisait rage, un article paru sur Jet d’Encre écrit par Nicolas Tavaglione, intitulé « Antisystème ? », a suscité de nombreuses réactions. Philippe Nussbaum et Kareem Khan ont alors demandé un droit de réponse. Afin de faire vivre le débat public et promouvoir le pluralisme qui est au cœur de sa démarche, Jet d’Encre accueille aujourd’hui leur contribution.


 

 

Cet article s’inscrit dans toute la polémique qui entoure la figure controversée de Dieudonné. Il ne s’agit pas de juger si ce type d’humour est bon ou mauvais, ni d’un procès d’intention. Nous nous poserons ici la question des éventuelles possibilités de restriction à l’égard de ses spectacles, de la supposée légitimité de certains mécanismes de censure et de l’aspect contre-productif de certains d’entre eux.

 

Notre réflexion s’inscrit dans un cadre légal déjà établi et s’inspire d’un principe profondément ancré dans la conception des démocraties modernes : le pluralisme. Certains propos de l’humoriste ont été condamnés et sanctionnés par la loi1 ; mais d’un point de vue juridique, une étape décisive a été franchie avec l’annulation préalable de son spectacle. Le 9 janvier 2014, « Le Mur » a en effet été annulé par le Conseil d’État français2, conformément à une procédure administrative extrêmement rare, voire inédite pour un tel cas. Force est de constater qu’aujourd’hui, cette mesure radicale scinde la société entre ceux qui la jugent nécessaire ou légitime et d’autres qui estiment qu’il s’agit d’une grave entrave à la liberté d’expression.

La ligne directrice de notre réflexion s’articule autour de plusieurs questions auxquelles nous serons engagés à fournir quelques éléments de réponse. La première nous amène à nous demander : l’interdiction du spectacle de Dieudonné est-elle légitime? Légalement, une telle restriction peut exister sous certaines conditions. Nous ne nous attribuerons pas le rôle délicat des juges quant à la justification d’une telle restriction. En revanche, nous pouvons rappeler que la ville de Genève avait fait interdire un spectacle de l’humoriste en 2010 avant que le Tribunal Fédéral ne sanctionne cette mesure3. Le cas n’a pas été réexaminé depuis et, par conséquent, nous ne pouvons pas nous prononcer sur le fond et les éventuelles transgressions pénales contenues dans le spectacle. Néanmoins, rien ne nous empêche de remettre en question la légitimité normative d’une décision d’interdiction.

Il va de soi que la liberté d’expression est considérée comme sacrée par notre pays, mais également par toutes les démocraties dans le monde. L’idée fondamentale sur laquelle s’appuie la liberté d’expression est le pluralisme, comme mentionné au tout début de ce texte. À partir de là, deux pistes de réflexion s’offrent à nous. Soit l’on décide de considérer les spectacles de Dieudonné comme de l’humour, soit comme des « meetings politiques », comme l’avancent certaines associations4.

Dans le premier cas, il est très délicat d’opposer des limites à l’humour, puisque le rire est quelque chose de très subjectif et personnel. On pourrait d’ailleurs raisonnablement prétendre qu’il est impossible d’obtenir un consensus sur ce qui fait rire et ce qui est moins drôle. En revanche, si l’on juge les propos de l’humoriste comme relevant de la sphère politique, alors on pourrait plus raisonnablement concevoir des limites aux propos exprimés. Pour des raisons que nous serons conduits à évoquer par la suite, nous pensons que le seul moyen efficace pour réfuter des idées jugées potentiellement néfastes pour la société est le débat public. En effet, la confrontation des idées par le débat permet de combattre certains discours « dangereux », voire même des opinions qui dérangent, pour reprendre les propos tenus par Manuel Valls5. Il s’agit là de la meilleure manière pour sensibiliser et informer sans se discréditer ; cela représente surtout la mesure démocratique par excellence, car lors d’un débat, l’ensemble des idées en présence sont exposées. A fortiori, cela nous permet d’éviter de faire appel au pouvoir de l’appareil étatique pour empêcher physiquement des milliers de personnes d’aller à ce type de manifestation.

Dans le cas où une interdiction devait avoir lieu, quelles en seraient les conséquences ? Dans cette partie de l’analyse, il s’agira pour nous d’évaluer l’efficacité d’une telle mesure par rapport au but visé. Il va de soi que l’objectif qui consiste à empêcher les représentations de ces spectacles serait atteint. En revanche, le spectacle serait-il réellement inaccessible et l’artiste marginalisé comme souhaité ? Force est de constater qu’Internet et les réseaux sociaux offriront toujours, et à qui le souhaite, la possibilité d’avoir accès aux spectacles de Dieudonné, avec ou sans interdiction de le jouer.

De plus, l’exemple de la France illustre précisément certains effets pervers d’une telle restriction. En effet, malgré la volonté non-dissimulée de faire taire l’humoriste, les mesures prises par les instances politiques françaises et le déchaînement médiatique qui a suivi ont en réalité eu des effets contre-productifs. D’une part, la polémique a permis de faire une promo phénoménale du spectacle, et d’autre part, celle-ci a également éveiller la curiosité de certaines personnes somme toute pas très intéressées par l’affaire auparavant ! Comme il est rappelé sans cesse dans la presse6, l’humoriste n’a en effet jamais été autant suivi que depuis l’interdiction de ses spectacles. Par ailleurs, en décidant d’une mesure aussi radicale et en ayant fait de l’humoriste une priorité dans l’agenda politique, le gouvernement perd en crédibilité chez une partie de la population. Une partie du peuple qui estime, à tort ou à raison, que l’heure est grave en ce qui concerne leur avenir socio-économique et que s’occuper de manière aussi accentuée du cas d’un humoriste est disproportionné. Enfin, on pourrait ajouter une idée sous-jacente à toute la problématique, incarnée par la question de la concurrence mémorielle. En effet, pour la majorité des personnes qui soutiennent l’humoriste, il y a un deux poids deux mesures qui existe au sein des discours considérés comme politiquement corrects. Une interdiction pourrait conforter cette impression qui, pour certains, devient insupportable et risque d’augmenter les tensions communautaires au sein de la société.

Pour conclure cette réflexion, on pourrait se poser une question un peu plus idéologique. Dans le cas particulier de la Suisse – où les citoyens sont habilités à se prononcer par le biais des instruments de la démocratie directe sur des enjeux décisifs –, en quoi le peuple ne serait-il pas compétent pour choisir le type d’humour auquel celui-ci voudrait assister ? L’idée n’est pas de faire du populisme primaire, mais d’amener à une réflexion personnelle sur les limites volontairement floues de la loi et la marge d’appréciation autour de la liberté d’expression. Les personnes qui veulent assister à l’humour proposé par Dieudonné sont plus que jamais au courant du contenu de ses spectacles grâce aux médias et à la politique. Le contenu de ses spectacles est très largement exposé et bien connu. Dès lors, le devoir des autorités qui consiste à informer et prévenir le peuple est donc rempli. Mais devraient-elles aller jusqu’à décider pour les citoyens ?

Toujours est-il que la question est désormais posée et le débat reste ouvert.


3. Arrêt du Tribunal fédéral du 8 décembre 2010, cause 1C_312/2010 disponible sur www.polyreg.ch

Commentaires

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Glenn

Je crois que l'église a été remise au milieu du village! Merci.

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Amir

"Dans le cas par­ti­cu­lier de la Suisse – où les citoyens sont habi­li­tés à se pro­non­cer par le biais des…

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Glenn

Je crois que l’église a été remise au milieu du village! Merci.

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Amir

« Dans le cas par­ti­cu­lier de la Suisse – où les citoyens sont habi­li­tés à se pro­non­cer par le biais des ins­tru­ments de la démo­cra­tie directe sur des enjeux déci­sifs –, en quoi le peuple ne serait-il pas com­pé­tent pour choi­sir le type d’humour auquel celui-ci vou­drait assis­ter ? »

Cette phrase résume tout. Merci à vous!

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