International Le 6 mai 2014

Le mall, cet animal

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Le mall, cet animal

Le mall, cet animal, avance. Le centre commercial rampe, il gagne du terrain, devient la ville même. Comme un chiendent, il se déploie, colonise du terrain, nul espace ne lui résiste. Il couvre, envahit les recoins, étouffe sous lui les plus petites boutiques. Ce qu’il laisse derrière lui est pré-digéré, considéré comme marginal, quantité négligeable: petits vendeurs de journaux, ou d’électro-ménagers, diseuses d’oracles pour quelques billets, brins d’encens allumés, vendeurs de fruits et légumes au virage sous le pont. Tu les entends crier longtemps derrière les vitres étanches et par-dessus le ronron de l’air conditionné. Deleuze avait raison quand il déployait les rhizomes, processus d’avancée de la pensée, en les opposant aux racines, considérées comme trop figées. Le mall à réussit à conjuguer les deux: un carottage pour faire fondation, racine pour bétonner les fondements du building qui s’élève ensuite comme du papier pour placer verre et métal au plus proche du ciel, en s’étirant. En même temps, il effectue un processus de dissémination des spores. Ses germes font bouture, bouton, puis… boutique. Les néons clignotent, s’allument, et les antennes sortent : passerelles et bras de béton s’ancrent sur l’immeuble voisin. Jonction. C’est un mouvement de reptation; le mall bouge, vit, meurt et renaît sans cesse. Le ville est à son image, elle évolue à toute vitesse. Le mall est un animal de compagnie, citadin. Les humains le nourrissent au grain ou il les colonise, c’est selon ses envies, dépend de lui.

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Le processus de digestion

Un an après, tu ne retrouveras plus l’endroit où tu as donné ton premier baiser,  il a disparu. Six mois plus tard tu ne peux plus t’asseoir sur le banc du petit parc ombragé, il a été recouvert par Esprit Chanel Burberry. Deux mois après ton dernier bol de riz, n’espère pas retrouver ce restaurant au même endroit, il a déménagé au 7e; prends l’ascenseur, les pas de porte son impayables. Il faut monter sur le dos de la bête pour espérer en sortir, bouger encore dès qu’elle bouge et aller voir ailleurs ou accepter d’être recraché, éjecté, sans autre forme de procès.
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La couveuse

Le mall, cet animal, grossit. Tu le nourris avec ton argent. Il te fait téter au parking sa chaleur douce, souffle son air congelé en te faisant frissonner de plaisir. Il t’offre une cour, le transport par élévateurs, en escaliers roulants; loisirs conditionnés, alimentations deux en un, musique d’ambiance à tous les étages. Tu peux avoir du fun sans se déplacer, suffit de boire ton jus à la paille. Du moment que c’est rentable, tu n’as qu’à gober. Tu entres dans la couveuse. Le mall est un animal utérin. Il t’accueille dans son oeuf. Tu es sous la protection ou l’emprise de la bête grégaire. Du moment que tu l’aimes, c’est bon, elle ne te lâchera pas. Si tu n’y prêtes pas attention, elle ne te remarquera pas. Il faut penser le mall animé. Il faut penser le mall aimé de tous ceux qui y restent attachés. Le mall est saint.
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L’air conditionné est dans l’oeuf

Impossible d’éviter le mall, il est partout. L’architecture est le mall, la ville est le mall. Les pensées sont des mall : bien distinctes, elles sont pourtant identiques à tous les étages, conformes. Adieu malles à souvenir, vive le neuf à tout prix. Les métros s’encastrent au mall, les passerelles s’imbriquent pour mener d’une rue à l’autre sans plus de nécessité de toucher terre. Dédale moderne. Qui est enfermé là, retenu par le minotaure? Dior, Clarins, Sloggi, Starbucks et Gucci? À moins que ce ne soient eux qui aient fait cuire la bestiole et l’apprêtent aux sons du tiroir-caisse en tournant autour de la broche qu’arrose une fontaine pour une danse rituelle autour de moi / je veux / cet objet-là / maintenant, et tout ce qui m’en empêchera sera réduit en cendre ou pire: nettoyé. On n’entrave pas impunément la liberté du commerce.
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Labyrinthe moderne                                              

Le mall a remplacé le minotaure dans le labyrinthe, il est devenu labyrinthe lui-même. Il te berce avec une douce musique d’ambiance. Tu peux tout y acheter sans avoir à traverser la ville, ni même en ressortir. Tu n’as plus à risquer le mouvement pour manger. Tout est dedans, ronronne, roucoule, les magasins sont plein à craquer, avec en prime l’air conditionné. Tu vois, je t’avais dit que cela valait la peine de faire la file pour entrer.

Le mall : un animal orwellien dont tu ne distingues ni la tête ni le cul.
Juste le ventre.

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Commentaires

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chente fou

c’ une grande ville!!

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