Critique Médias Le 13 mars 2014

Le Röstibrücke et le Polentapass

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Le Röstibrücke et le Polentapass

© coopzeitung.ch

S’il fallait créer un lexique de vocabulaire helvète, il serait sans doute judicieux d’y inclure deux mots: Röstigraben (n.f.) et Polentaberg (n.f.). Ces deux termes, bien connus de l’Homo Helveticus sont pourtant ignorés du reste du monde. Ils saisissent subtilement et avec une touche culinaire assumée l’essence même de notre chère Confédération multilingue1. À savoir un pays uni (ni une barrière de röstis ni une montagne de polenta ne représentent un obstacle insurmontable), mais d’une pluralité culturelle marquée (à quoi bon patauger dans de la farine de maïs ou glisser sur des patates quand on peut rester entre nous?).

Tantôt véritables rideaux de fer, barrières vitales contre les dérives de ces “autres”, tantôt aussi perméables qu’une fine tranche d’Emmenthal, lointains souvenirs d’une Suisse autrefois divisée. Un dimanche soir de votations, elles servent d’étendards à tous ceux qui ne se reconnaissent plus dans cette Suisse qui se conjugue au pluriel. Un coup droit pleine ligne de Federer dans la banlieue londonienne ou une place en tête des pays les plus compétitifs et soudain ces frontières artificielles disparaissent. Drôles de démarcations n’est-ce pas? Elles apparaissent et s’évanouissent au gré des humeurs de chacun. Elles incarnent de véritables lignes imaginaires entre l’individu et ceux qu’il considère comme ses semblables d’un côté, et les “Bourbines” ou les “Welsches” de l‘autre. À la fois pratiques, indispensables et énigmatiques, ces deux sympathiques notions font partie intégrante de notre culture.

Ainsi, sans savoir si c’est grâce à elles ou malgré elles, la Suisse est une nation prospère et indépendante et c’est tant mieux. Il n’est pas question ici de débattre ni de la raison d’être ni du bienfondé de pareilles expressions, ainsi que des sentiments les accompagnant.

Cependant, là où réside, selon moi, l’opportunité de faire un tant soit peu la part belle à l’ouverture envers les autres cultures du pays, et ce indépendamment des humeurs du moment, c’est dans le paysage médiatique. En effet, à l’heure où l’on parle, les Romands sont informés par des médias romands qui parlent en priorité d’actualité romande, voire hexagonale. Cela vaut aussi pour les médias alémaniques, qui apportent un éclairage international principalement basé sur l’Allemagne. Quant aux Tessinois, j’imagine qu’ils sont aussi informés par des médias locaux sur une actualité locale2.

D’aucuns me diront que c’est tout à fait normal, qu’on ne peut pas s’intéresser à tout et qu’à bien y réfléchir, autant être informé en priorité sur des évènements du cru par des journalistes du cru. Je concède aussi volontiers qu’une bonne partie de la population, qu’il s’agisse de Suisses ou d’étrangers, maîtrisent au moins deux langues.

Oui seulement voilà: tout le monde ne maîtrise pas l’ensemble des langages nationaux et on ne peut pas non plus faire fi de ce qui se trouve de l’autre côté du Röstigraben ou sur l’autre versant du Polentaberg. Être informé régulièrement de ce qu’écrivent les médias tessinois ou alémaniques sur l’Europe et l’armée, mais aussi la politique genevoise ou neuchâteloise, le CEVA, l’affaire Legrix, etc. me paraît essentiel. Ceci afin de ne pas se réveiller un lundi matin avec une gueule de bois, distillée non pas par un délicieux Fendant valaisan, mais par une démocratie directe dont on n’accepte parfois que difficilement les verdicts.

© francismccarthy.com

© francismccarthy.com

Ce dont on a besoin, c’est d’un Polentapass et d’un Röstibrücke! Un outil d’information et de débat d’idées qui traite les sujets nationaux avec une perspective nationale, ou plutôt multicantonale.

Cela étant dit, loin de moi l’idée de considérer le paysage médiatique et, par conséquent, politique helvète à travers le seul prisme des différences linguistiques. Les clivages ville/campagne, personnes âgées/jeunes, résidents/Suisses de l’étranger, entre autres, sont autant d’outils plus ou moins fins pour analyser telle ou telle votation. Seulement voilà : à la différence du lieu de résidence ou de l’âge, voire même de l’origine ethnique, la langue est un obstacle majeur à la diffusion d’une information, d’un commentaire ou d’une interview.

D’où l’intérêt de rassembler et de synthétiser certains articles de journaux et commentaires publiés aux quatre coins du pays. Un seul et même média, par exemple sur une base hebdomadaire (un exemple à une toute autre échelle serait le Courrier international), pourrait retranscrire, traduit dans la langue de Molière, des éditoriaux, des analyses politiques et culturelles, voire même sportives, ainsi que des interviews venant d’un éventail de différents médias suisses.

L’objectif? Favoriser et encourager l’échange; et surtout le traitement de l’information, en premier lieu nationale, au sein de notre pays. Faire en sorte d’avoir un point de vue autre que mono-cantonal, mono-culturel sur un sujet qui concerne la Confédération dans son ensemble. Savoir ce que pense l’éditorialiste de la Luzerner Zeitung, le journaliste du Corriere del Ticino ou de la Bernerzeitung à propos de tel ou tel évènement concernant l’ensemble du pays ou d’importance intercantonale me semble capital.

Il faut que les « deux Suisses », pour prendre l’image résultant des dernières votations, se parlent et échangent non seulement sur des sujets politisés, mais aussi sur la culture, le sport, les modes, etc.

Je ne prétends pas que les habitants du pays ne se comprennent pas du tout. Au contraire, je fais le pari qu’un tel média aurait de bonnes chances d’intéresser le plus grand nombre, d’engager et de faire avancer les débats. De plus, il permettrait de traiter des thématiques sur le fond et au travers d’un prisme multilingue et multiculturel. Bref, ce journal contribuerait à améliorer la compréhension et l’échange entre les différentes cultures nationales.

Bien sûr, il existe déjà l’ats, dont les dépêches sont traduites dans trois langues nationales. Mais ce qui m’est cher et ce que l’ats ne fait pas, c’est de pouvoir donner accès à des articles écrits par des journalistes dans leur journal local pour la population locale. Des articles de fond, recherchés. Le but n’étant pas de chercher à sortir la prochaine breaking news, mais bien de donner la parole à chaque région, le tout articulé autour d’une thématique en particulier. Ce faisant, on obtiendrait une synthèse des avis émis en Suisse sur des sujets qui nous concernent tous.

Bien loin d’un repli nationaliste, ce projet est plutôt à voir sous l’angle de l’ouverture vers l’intérieur. L’ambition principale est certes de rapprocher les différentes cultures du pays, mais il va sans dire que ces dernières se composent de nationalités diverses et variées. Il est question d’un média pour la Suisse et non uniquement pour les Suisses.

Il va de soi que cet “embryon de début de projet” ne saura être réalisé tout seul par l’étudiant que je suis. D’où ma décision d’écrire un article destiné à être publié sur la tribune Jet d’Encre : s’il se trouve, parmi les lecteurs, des personnes intéressées par cette entreprise, n’hésitez pas à me contacter.

Je ne prétends ni avoir inventé la roue, ni être le premier à avoir pensé à un tel média. Je me veux simple porte-parole. Je lance donc un appel à tous ceux qui seraient d’avis que ce pays bénéficierait d’un tel média et qui seraient prêts à investir leur temps et leur énergie pour lui faire voir le jour.

Se tenir bien informé est aujourd’hui capital. Un tel média diversifierait l’information accessible en Romandie, tout en donnant la parole à toutes les couleurs de l’arc-en-ciel politique et surtout culturel helvétique. De plus, il contribuerait à nous aider à mieux distinguer les différences entre les régions linguistiques.

Enfin, si un tel média voit le jour, pourquoi ne pas étendre le concept aux quatre langues nationales, aux quatre régions linguistiques? Tous les fantasmes sont permis.

Pour conclure, il est à mes yeux regrettable que, dans un pays si fier de son multiculturalisme, on se réfugie derrière des clichés simplistes au moindre mécontentement. Nous devrions, au contraire, faire tomber les barrières des langues et de l’information pour arriver à encore mieux se comprendre dans le but de trouver de meilleures réponses aux difficultés auxquelles nous faisons face.

Si l’on pouvait se souvenir du 9 février, non pas comme d’une nouvelle preuve flagrante de l’existence d’une incompréhension entre ces « deux Suisses », mais comme de l’impulsion vers un pays plus uni qui se parle et se comprend, alors cette votation aura eu le mérite d’avoir un effet secondaire dont on peut se réjouir.


1. http://www.rts.ch/info/suisse/4013244-la-suisse-reste-championne-du-multilinguisme.html

2. Afin d’épargner au lecteur une énumération fastidieuse, je laisse volontairement les localités parlant exclusivement le romanche en dehors de ma réflexion. Il va bien entendu sans dire que le romanche ne doit pas être oublié et, si le projet se concrétise, il aura sa place au même titre que les autres langues nationales.

Commentaires

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Dafflon Sophie

Hello! Belle idée! J'imagine un comité de "rédacteurs" représentant les 4coins de la suisse! J'ai compris qu'il faut traduire les…

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Dafflon Sophie

Hello! Belle idée! J’imagine un comité de « rédacteurs » représentant les 4coins de la suisse! J’ai compris qu’il faut traduire les articles d’autres régions, mais pas seulement en français! La réciprocité, c’est tout le monde et dans les deux sens.

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chente fou

intéressant article

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