Culture Le 1 septembre 2014

«Milky Way»: vers une issue enfin heureuse?

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«Milky Way»: vers une issue enfin heureuse?

© www.idipfilms.com

Il ne s’agit pas d’un remake du long-métrage éponyme réalisé en 1969 par Luis Buñuel, ni d’une charge contre les barres et boissons chocolatées (retirées récemment de la vente en France, en Grande-Bretagne et en Irlande à cause du soupçon quant à l’intrusion de la bactérie bacillus subtilis), mais d’une comédie «rockn’roll» réalisée par le Neuchâtelois Cyril Bron et le Lausannois Joseph Incardona, oscillant entre farce burlesque et critique sociale empreinte de gravité.

Paul Landry (Mathieu Ziegler), ouvrier dans une fabrique de cadrans pour l’horlogerie, Fredo Lorca (Antonio Buil), sans emploi depuis un accident du travail qui a endommagé sa jambe droite, et Nadia Herzog (Stéphanie Schneider) habitent ensemble dans un appartement à La Chaux-de-Fonds.


Maux et mot de passe

La jeune femme finance ses études en vendant son corps. Dégoûtée par le contact charnel avec ses clients, qu’elle recrute sur le site «Weet me» (?!?), elle refuse de consentir à une seconde rencontre avec eux. Les traces visibles sur ses bras et son cou témoignent de la rudesse de certaines séances et des brûlures de cigarettes qu’elle s’inflige. Un micheton (Lionel Frésard) sort quatre cents francs de son portefeuille et un masque en cuir de sa valisette: « Je vous donnerai les consignes et vous obéissez!». Pour se «purifier», elle nage quelques longueurs de bassin.

La généreuse escort girl prête deux mille francs à Paul, lequel, sous le coup d’un chômage technique de six mois, vient de se lancer dans une combine: Yvan (Pablo Jakob), son collègue et pote, l’a briefé sur…des courses d’escargots organisées clandestinement par Milo (Carlo Brandt). La mise de départ s’élève à trois mille francs. Chaque participant peut engager trois bestioles à chaque meeting. Mais, prévient l’oncle d’Yvan, ne sont tolérées que les espèces Helix Aspersa, le petit-gris, ainsi que Helix pomatia, le fameux Bourguignon. L’ombrageux boss, cloué dans un fauteuil roulant, ne tolère pas «les saloperies» comme le turc Helix lucorum, le géant africain Achatina fulica et la mourguette de Provence Eobania vermiculata. Ce mini-digest zoologique donne assez envie d’appréhender de plus près les gastéropodes dont le record du monde porte sur quarante-deux centimètres accomplis en moins de cinq minutes… Clin d’œil politique: le mot de passe pour le rendez-vous à la «Pointe du loup» présidant à l’acquisition des membres du dream team: «Bakounine»1.

Lors des séances «d’entraînement intensif», les phytophages ne manifestent pas un allant de nature à nourrir de légitimes ambitions sportives. Aussi, Paul et Fredo, le «coach», ajoutent des «minéraux» conseillés par le vendeur (Bastien Lambert) à la salade, aux orties, carottes et trèfles servis à Roméo, Judith et Mistinguette. Ils n’hésitent pas non plus à s’adonner à une cure d’escargots afin de s’imprégner de leur «âme». L’épreuve avec douze concurrents, sur une piste d’un mètre, se déroule le samedi soir dans un hangar en rase campagne. La cagnotte de quinze mille francs vaut le déplacement. Mistinguette gagne au sprint et Paul rafle neuf mille francs, de quoi fuir la grisaille de ce coin jurassien. Attaqué par un adversaire fou furieux et ses comparses, il menace ceux-ci avec le révolver déniché dans la voiture de l’Ibère.


Ébauche de quel avenir?

Tout s’emballe et s’enclenche alors un road movie qui conduit le trio, via la France, jusqu’à Zeebrugge (Belgique) où les ex-colocataires se séparent, non sans avoir chanté à tue-tête «I hate Switzerland» des Wampas2. Lors du dernier déjeuner en commun, la benjamine (23 ans) du trio livre deux informations importantes à ses camarades: elle se retrouve enceinte des «œuvres» du minable bourge Franck (Jérémie Pétrus), avec lequel elle n’a baisé qu’une fois («Ce n’était même pas un bon coup!»); le fric qu’elle amenait à la maison provenait de passes…

Après avoir été sauvée par ses compagnons de route d’une agression sexuelle perpétrée, dans les toilettes d’un bar, par deux représentants en matelas (Alain Bellot et Blaise Ludik), Nadia prend le train; son avenir sera-t-il aussi radieux que le sourire qu’elle arbore en jouant avec le Rubik’s cube que lui a offert le susnommé? Les regards échangés sur la banquette arrière du vieux break BMW auraient pu (dû?) laisser entrevoir l’ébauche d’une relation autre que simplement amicale. Il n’en sera rien, du moins dans le cadre du scénario. Les protagonistes d’une fiction ne poursuivent-ils pas leur existence et leur itinéraire au-delà du générique de fin?

Fredo, qui n’a pas renoncé à «recoller les morceaux» et à reconquérir Nathalie (Isabelle Fruleux), la maman de sa fille Julie (Laurianne Roueche), retourne vraisemblablement vers ses bases. Son initiative semble vouée à l’échec. Paul entamera-t-il sur les bords de la Mer du Nord un nouveau départ en postulant pour un boulot de serveur au bistro «The old barrel»? Comme il l’avait imaginé, il marche sur une plage, «réfléchit, se pose, fait un peu le point». Ces losers (sans aucune connotation péjorative en l’occurrence) désenchantés sont assez attachants. Une certaine charge contre l’univers professionnel affleure. Le cynisme et la désinvolture avec lesquels la cheffe du personnel (Joëlle Séchaud) annonce à Paul sa mise à pied temporaire («Nous sommes une grande famille. Faites-nous confiance. Nous agissons au mieux de vos intérêts et des nôtres…. Vous avez de la chance. J’ai tellement besoin de vacances! ») ne sont assurément pas une pratique spécifiquement helvétique. Avant de trinquer avec la prostituée pour fêter son divorce, puis… de se suicider dans la chambre d’hôtel, le voyageur de commerce (Jan Hammenecker) dresse un bien triste et banal bilan: «Pendant trente ans, je me suis levé à sept heures pour me rendre à un boulot qui m’emmerdait».

 

Le premier long-métrage (89 minutes) de Cyril Bron et Joseph Incardona, bouclé avec un budget d’un million deux cent mille francs et projeté notamment dans le cadre des 49èmes Journées cinématographiques de Soleure (du 23 au 30 janvier 2014), a obtenu, le 27 avril 2014, le Prix du public à l’issue du Festival international du film policier de Liège. Il sortira sur quelques écrans de Romandie, dont au Cinélux de Genève qui diffusera en avant-première le film le mercredi 3 septembre.

 


 

1. Les idées de Mikhaïl Aleksandrovitch Bakounine exercèrent une influence notoire dans la région où des militant(-e)s anarchistes créèrent des «communes». Le 12 novembre 1871 à Sonvilier, les sections locales de l’Association internationale des travailleurs (fondée le 28 septembre 1864 à Londres avant de s’intituler la «Première Internationale») s’unirent pour jeter les bases de la Fédération jurassienne. L’auteur de «Dieu et l’État» (1882) s’éteignit dans la capitale helvétique, le 1er juillet 1876.

2. Figure aussi sur la bande son la reprise, par la Bernoise Sophie Hunger, de «Le vent nous portera» du groupe français Noir désir.

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