Culture Le 8 juillet 2015

Nekfeu sur vous !

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Nekfeu sur vous !

© José Geos Tippenhauer / K. Thomas

Nekfeu et la canicule 2015 partageront à jamais le fait d’avoir enflammé les foules à la même période, ‘lyricalement’ pour l’un, littéralement pour l’autre. Le jour de l’interview, c’est donc tout naturellement que le leader d’1995 et du S-Crew enchaîne les réponses en plein soleil. Souriant, il m’accueille en demandant de la part de quel média je viens. Lui indiquant avoir commencé récemment sur la radio Couleur 3, émission Downtown Boogie, il me répond : « Je connais ! Tout se passe bien pour toi ? ». Le ton est donné, le rappeur est cool et ouvert. Entretien avec le pyromane le plus en vue du paysage audiovisuel actuel, à lire en version retranscrite ci-dessous, et/ou à écouter en toute fin d’article. #FeuSurVous

© Facebook de Nekfeu

© Facebook de Nekfeu

GEOS : Première question, pourquoi le nom « Nekfeu » et pourquoi le nom de groupe « 1995 » ?

(Nekfeu s’apprête à prendre le micro, un peu étonné)

Je plaisante hein !

Ah, c’est une blague ?

Ouais, dans une de tes interviews tu disais que c’était une des questions que tu détestais, alors c’était pour briser la glace…

(Rires)

Parlons de ton album « Feu ». C’est LE succès du moment. J’ai vu et lu à plusieurs reprises que tu disais en être relativement surpris. Quand je regarde les vidéos, je vois tout de même qu’il y avait déjà des millions de vues. En toute honnêteté, tu ne t’y attendais vraiment pas ?

Pour être totalement sincère, mon album solo c’est mon dixième projet qui sort. Le sixième ou septième – si je ne dis pas de conneries – dans les bacs. Donc à chaque fois : des clips, une promo, tout ce qu’on peut faire pour que le projet marche… et jamais autant de succès tu vois ? Mais on était très contents déjà. Nos albums ont marché, notre base fan est là. On remplissait toutes les salles, surtout en tournée, on était parmi les gens qui tournaient le plus. Mais là, en termes concrets, de chiffres, etc., j’étais complètement surpris, bien sûr ! Les vues sur un clip ou sur un morceau c’est gratifiant, mais ça ne veut pas dire que les gens vont aller faire la démarche de te soutenir et d’acheter ton disque, tu le sais très bien…

Comment est-ce que tu expliques, au-delà du succès, la différence de traitement médiatique avec l’album de ton collègue Sneazzy, sorti une ou deux semaines avant le tien ?

Je vais te dire un truc. Franchement, si tu essaies de trouver une logique médiatique quand tu sors un projet, tu vas perdre ton temps et tu ne sauras jamais. Quand je sors un skeud, je ne me dis pas « quand il y aura ça, on va pouvoir faire ça », parce que je sais très bien que tu ne peux compter sur personne à part toi. Concernant l’album de Sneaz’, il a eu un très bon démarrage, les gens ont kiffé… Pareil, ça a fait de la vue et tout. Après, concrètement, je pense que c’est un truc qui va se faire plus sur la longueur. Je pense que lui-même n’avait pas envie d’être à fond dans tout le délire promo. Je sais qu’il a refusé pas mal de trucs. En tout cas, moi, c’est un album que je recommande, que je kiffe de ouf.

Là, avec les autres membres d’1995, on est un peu à fond sur le deuxième album, donc on ne prend jamais le temps de s’arrêter, savoir pourquoi ça marche ou pas, on enchaîne ! Moi, je sais que les gens ont tellement fait tourner ma musique sur cet album-là, que les médias étaient obligés d’en parler. C’est pour ça, je suis heureux qu’il y ait des journalistes qui aient kiffé, mais c’est grâce au public. Ce n’est pas les médias qui ont fait que ça vende plus, ça ce n’est pas vrai.

J’appuie un peu là-dessus quand même. Je pense que tu as lu, ou alors eu écho de l’article d’Olivier Cachin, qui parlait des différences de traitement médiatique justement. Toi-même tu le dis dans « Martin Eden », que « c’est plus facile quand t’es blanc ». Que penses-tu par rapport à ça ? Est-ce une réalité, en France en tout cas ?

Dans l’interview d’avant, j’ai dit un truc pour rigoler : c’est dommage qu’il n’y ait pas plus de journalistes arabes et noirs aussi dans le Rap français. Je le dirai à Olivier la prochaine fois que je le croiserai… Enfin, je veux dire, des journalistes plébiscités par les autres médias. Il n’y en a pas beaucoup, des mecs qui viennent vraiment du Rap.

Moi, ma phrase, elle parle surtout de la société dans laquelle on vit, c’est-à-dire : trouver un taff, appeler un taxi, quand tu loues quelque chose, le regard des gens… C’est plus facile quand t’es blanc aujourd’hui en France, point barre. Je n’ai même pas envie de débattre sur ça. Après, concernant les médias, je ne suis pas entièrement d’accord. Les mecs qui vendent et qui font beaucoup de vues, quand ils ont derrière eux un bon dispositif, une maison de disque, etc., ils sont partout, dans tous les médias. Que les mecs kiffent ou pas, comprennent ou pas, ils jouent le jeu parce qu’ils savent que ça vendra des journaux de faire parler de ces artistes. Toutes les grosses têtes d’affiches, je les ai vues à la télé, je les ai vues partout. Ce n’est pas pour dire que je mérite ce que j’ai… mais c’est juste pour remettre quand même les choses dans leur contexte. Ce qui est malheureux et ce qui est vrai, la stigmatisation, elle est dans le fait que si ça ne marche pas pour toi, quelle que soit la qualité de ton album, les médias ne parleront pas de toi. Que tu sois blanc, noir, des bas-fonds ou de Versailles. Il n’y a plus vraiment de recherche de la nouveauté. Il y a encore quelques médias spécialisés qui sont dans ce délire, mais voilà, il y a un effet boule de neige. Moi, mon truc marchait, les médias ont joué le jeu. Sinon ça aurait été comme nos projets précédents. Avec S-Crew par exemple, tous les plans qu’on a eus, je me suis démerdé moi-même, grâce à des contacts que j’ai faits. C’est un travail de fond. On se gère nous-mêmes, donc on doit aussi prendre toutes les armes qu’on peut prendre.

Je trouve donc qu’il y a une part de réalité, et un côté faux aussi. Je sais que le papier me comparait à d’autres rappeurs (Youssoupha, Disiz, entre autres, NDA). Moi c’est mon premier album. Quand tu sors un premier album, que les médias ont l’impression que tu sors de nulle part et que tu fais un succès, il y a une certaine logique qu’ils en parlent un peu comme un genre d’événement. Mais j’ai été autant surpris que Monsieur Olivier Cachin de ça. Mais je suis super content ! Franchement, soyez contents pour moi, je représente le Hip-Hop, on va faire avancer les choses…

Tu dis que vous vous gérez vous-mêmes. Dans le Rap aujourd’hui, on a toujours l’impression qu’il faut passer par les labels, majors, etc. Quel est ton point de vue sur la question ? Et peux-tu m’expliquer, concernant ton label, quel est ton rôle dedans ?

J’ai monté un label qui s’appelle Seine Zoo, sur lequel on a sorti le premier album du S-Crew, qui s’appelle « Seine Zoo » aussi. C’était un peu le point de départ. Quand on dit qu’on produit, c’est qu’on met tout notre argent dedans. On fait les clips, on gère le mix, le mastering, les gens avec qui on bosse. Une fois qu’on a un album fini entièrement, prêt à être pressé, nous on a fait le choix – ce qui n’est pas obligé – de signer une licence « améliorée » avec Universal, ce qui permet d’avoir une grande présence dans les bacs (en tout cas c’est ce que tu crois quand tu fais ça), et une promo bien assurée, que tu n’aurais pas sinon, tout simplement. Il y a un truc inévitable : les médias et les maisons de disque ont une relation quasiment consanguine. Quand tu as plus ou moins, de loin ou de près, l’aide d’une maison de skeud, ça te permet de toucher des gros médias qui sinon ne te calculeraient pas. Ça rejoint un peu ce qu’on disait sur les rappeurs et le traitement médiatique selon les sorties des albums, ça c’est un vrai problème. Nous, après, on fait avec ce qu’on a. On est jeunes, on veut que notre truc marche. Je me suis souvent posé la question. Notre premier EP, on a voulu le faire sans aucune maison de disque, même pour la distribution. C’était grave casse-pipe. J’ai réfléchi, je me suis dit : tant que j’ai le contrôle sur la musique, c’est vraiment faire la fine bouche que de ne pas accepter d’être accompagné de structures qui font les trucs mieux que toi dans certains domaines.

Après, mon but à long terme, c’est d’arriver avec quelque chose auto-géré de partout. Que ce soit la distribution, tous les trucs… avoir une puissance de frappe qui permette d’équilibrer les forces. Pour l’instant ce n’est pas encore le cas, mais on est en auto-production sur mon label. C’est le cas aussi avec Un Double Neuf Cinq. Je gère la moitié de mes éditions, une autre partie est pour l’instant avec BMG. On apprend, en fait. Je suis arrivé dans ça, et les autres aussi, on était mineurs. J’avais 17 piges. Premier contrat, je ne connaissais rien. Maintenant j’apprends…

Si on parle maintenant un peu plus du contenu de ton album, les seuls featurings de Rap hors ton entourage – L’Entourage justement, S-Crew, 1995 – sont Némir et S-Pri Noir. Ce sont des artistes que tu apprécies particulièrement ?

En fait, il n’y a que des gens de mon entourage sur l’album. Des gens avec qui humainement et artistiquement il y a une connexion. Que ce soit Némir, que j’ai rencontré il y a plusieurs années dans les open mics, etc… J’ai toujours su que ce mec allait faire parler de lui, et j’ai toujours su qu’on ferait du son ensemble. On se côtoie, il a fait des sons avec des gars de mon équipe aussi. Pareil pour S-Pri Noir, c’est un mec que j’ai rencontré vers 2007-2008. On ne se connaissait pas, mais on se croisait dans des trucs où les gens prenaient le micro pour rapper. Je le trouvais super chaud. Au fil des années, on évoluait chacun dans nos carrières, et puis… Voilà, on se voit souvent. Là on est partis ensemble à L.A. d’ailleurs pour le clip de « Ma Dope » que j’ai réalisé.

Les deux sont des mecs que je kiffe humainement, et qui montrent un peu mes goûts dans le peu-ra aussi. Le côté vrai, en même temps ouvert, technique. Ça me plaît grave.

Tu parles de L.A. J’avais une question par rapport à ça. Kendrick Lamar avait « validé » un de tes sons, et dans une interview tu disais que vous étiez en connexion avec des rappeurs de L.A. et de New York. Est-ce que je me permets d’émettre l’hypothèse que vous seriez en connexion avec TDE (label de Kendrick Lamar, NDA) ?

(Sourire aux lèvres, un peu étonné) Ouais, ouais… On a quelques connexions avec TDE, justement. C’est marrant que tu proposes ça comme choix. Pour l’instant tu sais, je n’en parle pas trop, parce que déjà ce sont des cainris, tu ne sais jamais de quoi demain est fait. Ensuite, je n’aime pas me porter l’œil… Hein ?

(Doums, collègue de Nekfeu présent lors de l’interview, lui murmure quelque chose)

Ah ouais, Doums il est pote avec Keith Murray aussi, c’est son gars sûr, de ouf !

(Cette intervention sortie de nulle part, improbable, surtout concernant un rappeur new-yorkais qu’on n’a plus entendu depuis Mathusalem, me fait éclater de rire)

Tu vois, nous on est ouverts, on ne se contente pas d’aller en festivals, de rester enfermés entre nous. On est là, boum, on rappe avec les mecs, avec les cainris, on fait des échanges de bon procédés, sur plein de trucs… (Doums fait des gestes pour signifier son implication dans lesdits échanges, ce qui fait rire Nekfeu). Et du coup, on fait des connexions de partout. L.A., c’était vraiment ça. Via des potes, on a rencontré des gens. Ils ont kiffé le délire. Faut savoir que Paris, pour les rappeurs cainris, c’est genre LA ville la plus fraîche du monde. Donc on a une carte à jouer de ce côté-là. Mon envie, c’est pareil : faire des connexions Rap avec des mecs, sans que ce soit des trucs pour le feat, pour le single, ou avoir un blaze sur ton album, pour lequel tu paies des milliers d’euros. Parce qu’il ne faut pas se mentir, la plupart des rappeurs français qui ont des feats, ils paient. Moi je n’aime pas trop cette démarche. Je préfère le faire avec des mecs qui sont talentueux et un peu connus mais pas trop, comme nous ici, du coup il y a un rapport artistique sain. C’est ce qu’on est en train de faire. Je n’en parle pas trop, c’est un projet de mon label qui est en train de grossir…

Je vais terminer avec une question qui n’est pas forcément liée au Rap. Je t’ai vu dernièrement dans les petits courts-métrages sur Canal +, avec Marion Cotillard

Les « Casting’s ».

Exactement. Et je t’ai également vu dans la vidéo de Mister V. Je me permets à nouveau d’émettre une hypothèse : par la suite, ça te tenterait de te lancer dans tout ce qui est acting, cinéma, etc. ?

Honnêtement, je bosse avec un réal’ qui s’appelle Syrine Boulanouar, avec qui on parle pas mal de cinéma, parce que j’ai des lacunes dans ce domaine justement, même si j’aime ça. Il me parlait de la relation entre Scorsese et De Niro par exemple. Ce sont des réal’ qui ont, avec la personnalité du futur acteur, écrit leur film, et ont fait un truc autour. Je trouve ça intéressant, dans le sens où, moi je ne suis pas un acteur. Je ne sais pas si je serais capable de le faire. Ça peut m’intéresser mais pas plus que ça. Je le ferai si c’est une bonne opportunité. Je suis archi-curieux, donc tout ce que je peux expérimenter pour m’amuser… C’est comme si j’étais un jeune qui ne faisait pas de Rap, que ce n’était pas ça ma carrière. J’arrive, je rencontre un acrobate, je vais lui dire : « vas-y, montre-moi des trucs, apprends-moi quelques trucs ». Ça m’intéresse, c’est sûr. Et je suis toujours comme ça, donc l’acting, pourquoi pas ? Réaliser aussi, ça me plairait grave. Mais ce sont des trucs qui ne s’improvisent pas. Je n’aime pas trop les mecs qui pensent que, parce qu’ils ont un succès dans un domaine, ils peuvent tout faire. Moi j’essaierai… Si je considère que je ne suis pas bon, je ne le ferai pas !

Nekfeu, merci beaucoup !

Merci à vous. Merci aux auditeurs, ça fait plaisir. Bang !

Nekfeu ne savait pas que l’interview serait retranscrite à l’écrit, mais je vous promets qu’il aurait aussi dit « Merci aux lecteurs » s’il avait su ! L’album « Feu » est toujours disponible. Et pour ceux qui voudraient écouter l’entretien, retrouvez ci-dessous la version audio :

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