Politique Le 10 avril 2016

Plaidoyer pour l’optimisme

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Plaidoyer pour l’optimisme

La Suisse idyllique, ici Lauterbrunnen, dans les Alpes bernoises © Kosala Bandara

L’autre jour, je me suis rendu à pied à la gare de Wohlen, en Argovie, depuis la tranquille maison de mes parents, nichée au cœur d’un quartier résidentiel endormi. À cette heure, dans les petites rues et chemins de traverse, résonnent des cris et des rires d’enfants se rendant à l’école maternelle. Seuls, c’est-à-dire sans leurs parents. Ces petits bouts de chou d’à peine un mètre, gambadant avec insouciance avec au dos leurs petits cartables, m’ont profondément ému. C’est à ce moment que je me suis dit : quel beau pays que la Suisse, où des enfants de cinq ans peuvent aller à l’école sans être accompagnés, sans craindre un trafic outrancier ou une violence quotidienne !

Puis, après cette période de votation agitée à propos de l’initiative pour le renvoi effectif des criminels étrangers, marquée par les chiffres de la criminalité, les exemples sordides dans les journaux et les imprécations de quelques populistes haineux, j’ai soudain compris pourquoi tant de gens craignent de mettre en péril la fragilité de cette tranquillité exceptionnelle.

Un autre exemple de notre idyllique Helvétie est par exemple la vente de fleurs le long des routes, où les automobilistes peuvent simplement s’arrêter, cueillir leur bouquet et déposer l’argent dans une caisse sans que quiconque ne surveille et sans que personne ne songe à ne pas payer. La télévision brésilienne a d’ailleurs évoqué cette curiosité suisse dans un reportage. À l’inverse de ce civisme presque naïf, je n’ai pas pu regonfler mes pneus à une station-service française il y a un mois, parce que, selon les dires du propriétaire, les gens volent l’embout de la pompe. Face à cette comparaison peu élogieuse de nos voisins, comment ne pas craindre de compromettre notre quiétude en les laissant s’installer chez nous ? Oui, nous autres Suisses avons souvent l’impression d’être des Hobbits, vivant dans la Comté, îlot de paix et de prospérité au milieu d’un monde de violence et de tourments, en pleine phase de destruction.

Sauf que cette impression, fidèle à la définition de ce mot, n’est qu’une sensation superficielle. Une construction de l’esprit, qui s’impose parfois d’elle-même dans nos cerveaux, naturellement craintifs que nous sommes. Mais la construction de notre pays de carte postale, menacé de toutes parts par des mains « colorées » (en tout cas pas blanches) se saisissant de nos richesses, est aussi véhiculée avec peu de subtilité par un certain parti politique aux affiches outrancières. Pour eux, l’extérieur est forcément corrupteur : l’étranger qui vient s’installer chez nous, le système juridique international protégeant les droits fondamentaux, l’économie européenne et son grand marché. C’est un refus catégorique de se confronter à la nouveauté et au progrès en se murant dans un conservatisme rassurant. Pourtant, comment pouvons-nous imaginer qu’il n’y a que nous pour vivre paisiblement ? Et que le monde qui nous entoure n’est que chaos, malveillance et danger ?

Idéaliser notre pays revient à nier sa part d’ombre, qui vient entacher nos sommets blancs immaculés et l’image que nous voudrions lui donner : notre paix sociale cache encore une inégalité salariale entre les sexes (sans oublier que nous n’avons accordé le vote des femmes qu’en 1971). Nous sommes encore plutôt conservateurs en ce qui concerne la politique familiale, notamment en matière de congé de paternité, d’accès aux crèches, d’adoptions par des couples homoparentaux, etc. Notre santé économique est entre autres basée sur certains secteurs à l’éthique douteuse et sur des politiques fiscales avantageuses pour les riches et les grandes entreprises. Et l’histoire de notre peuple courageux face à l’adversité, au milieu des tourmentes européennes, n’est-elle pas ternie de certains scandales, des fonds en déshérence aux Verdingkinder ? En voilà qui ne gambadaient pas joyeusement, comme les enfants de ma ville natale, sur le chemin de l’école. Tout cela n’est pas pour ôter du mérite à notre beau pays ou des raisons d’en être fier. Mais il faut savoir faire la part des choses entre la représentation que nous nous en faisons, en comparaison avec le monde extérieur, et la réalité.

Non, le monde n’est pas en train de se disloquer, n’en déplaise aux alarmistes. Il ne s’est pas disloqué lorsque nos dirigeants, dans les années 50, rivalisaient d’inventivité pour créer des armes toujours plus atroces et destructrices. Il ne s’est pas effondré lorsque les bottes nazies ont marché à sa conquête. Il a survécu aux tranchées de 14-18, à Staline, à la peste et au choléra, aux éruptions volcaniques. Pour beaucoup, le souvenir brûlant de toutes ces souffrances justifie la prudence excessive et le conservatisme, afin de se protéger des crises futures. Pour ma part, je retiens surtout que l’humain a survécu à toutes les turpitudes. Maintes fois, il a sublimé l’horreur et anobli sa condition. Il a inventé, innové, et si son génie l’a parfois conduit à produire le pire, il a souvent aussi créé le meilleur. Il n’est pas possible de se protéger de tout, mais la confiance en notre capacité à réagir face au destin a quelque chose de profondément rassurant.

Alors un peu d’optimisme, que diable! Il y a toujours eu des gens pour nous prédire notre fin prochaine ou déplorer la décadence inéluctable de la civilisation. C’est souvent cette peur, la peur du futur, la peur de l’inconnu, qui conduit les humains à commettre leurs pires erreurs. C’est une prophétie auto-réalisatrice : rencontrer les crises avec la peur et un réflexe de repli qui ne permet pas de faire avancer les choses, mais les envenime. Un peu comme un grimpeur, paralysé au milieu de la paroi : au lieu d’avancer, de se forcer à retrouver l’empire sur lui-même, il fait du sur-place, s’affaiblit, et chaque instant qu’il passe à rester crispé sur ses prises ne fait que l’affaiblir. Cette peur est la même qui aurait pu triompher à nouveau si le peuple suisse avait voté oui ce dimanche 28 février.

On ne va pas réitérer les innombrables raisons pour lesquelles cette initiative était une abomination juridique et morale, tout cela a été dit, et bien dit, par beaucoup de gens. L’essentiel est que ce genre d’attaques anti-immigration, devenues monnaie courante dans l’actualité politique de notre pays, sont autant d’expressions de cette peur destructrice, mêlée à un sentiment de supériorité mal assumé. En effet, la vraie confiance serait de ne pas craindre l’arrivée d’autres cultures. Si notre système est tellement supérieur à tous les autres, notre mode de vie si désirable, comment ne pas croire qu’il ne sera pas adopté par les nouveaux arrivants ?

Cela aussi, pourtant, serait une mauvaise piste. L’arrogance de croire en notre supériorité ne pourrait que conduire à un désir d’assimilation des étrangers, au mépris de leur héritage culturel. Oui, la Suisse est un beau pays, où les enfants sont en sécurité et les gens ne volent pas les fleurs dans les champs. Nos villes sont louées pour leur propreté, notre système ferroviaire pour sa ponctualité, notre économie pour sa santé, indécente face à la crise qui agite nombre de nos voisins. Mais croire que notre pays ne peut pas être amélioré par des apports extérieurs est par trop vaniteux.

Sans se laisser aller à des envolées humanistes pathétiques du genre « on a tant à apprendre de l’autre », force est de s’avouer que toute innovation, tout progrès ne peut que venir de la confrontation avec la nouveauté et la diversité. Ayons le courage de ne pas succomber à la simplicité ! Le courage de sublimer nos peurs et de les affronter, au lieu de nous laisser guider par elles. Cela peut sembler sentencieux de dire cela, mais face aux populistes de toutes les nations, de Donald Trump à Marine Le Pen en passant par nos Mörgeli et nos Brunner à nous, il semble important de répéter ces phrases : soyons forts. N’ayons pas peur.

 

 


Bibliographie

« Brasilianer staunen über Rheintaler Blumenfeld. »20 Minuten Ostschweiz, 04. September, 2016. http://www.20min.ch/schweiz/ostschweiz/story/Brasilianer-staunen-ueber-Rheintaler-Blumenfeld-14586977

Larousse online: « Impressions », http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/impression/41997?q=impression#41903

 

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