Critique Médias Le 9 août 2016

Un article du Temps discrédite les opposants à l’abattage des oliviers du Salento

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Un article du Temps discrédite les opposants à l’abattage des oliviers du Salento

[S. Renna]

Dans un article publié vendredi dernier sur le site internet du journal Le Temps, le journaliste Fabien Goubet revient sur la maladie touchant les oliviers du Salento, dans le sud de l’Italie. À l’heure actuelle, des milliers d’arbres risquent toujours d’être abattus dans cette région. En effet, selon le principe de précaution et afin d’éviter une propagation de l’épidémie au reste de la Péninsule et du continent, les autorités – italiennes et européennes – préconisent l’éradication complète des oliviers atteints par la bactérie Xylella fastidiosa, à l’origine du « complexe de dessèchement rapide ». Une solution loin de faire l’unanimité au niveau local.

L’auteur présente dans son texte deux arguments censés expliquer les réactions – lesquelles ont manifestement l’air de lui déplaire – de la population et des associations qui luttent pour la sauvegarde des oliviers : il existerait chez elles un « double scepticisme, anti-Europe et anti-science ». Un article dont le ton me paraît quelque peu péremptoire.

 

« Contre l’Europe »

Tout d’abord, concernant la prétendue « europhobie » des anti-abattage d’oliviers, on se demande comment une telle assertion a pu être écrite. Il ne s’agit même pas ici d’entrer dans un débat d’ordre idéologique, un élément économique suffit à prendre la mesure des enjeux. La région, et le « Mezzogiorno »1 en général, bénéficie des aides européennes, lesquelles assurent en grande partie sa survie économique. À l’inverse, les différents gouvernements italiens qui se sont succédé au pouvoir ont systématiquement essuyé des critiques pour avoir abandonné le Sud à son sort, notamment en termes d’emplois et d’infrastructures. De fait, si la manne financière européenne n’est pas obligatoirement synonyme de sympathie à l’égard de l’UE, elle donne au minimum l’impression aux habitants du sud de l’Italie d’être davantage soutenus par Bruxelles que par Rome.

Voilà pour ce qui est du contexte, mais revenons sur la question des oliviers plus précisément, car c’est ce point qui nous intéresse ici. Il est utile de rappeler que ce n’est pas Bruxelles qui se retrouve au centre des critiques et des déceptions dans ce dossier, mais bien les autorités nationales et régionales : le ministère italien des Politiques agricoles d’une part et la Regione Puglia2 de l’autre.

Le premier est pointé du doigt pour son immobilisme dans la gestion de cette crise et son manque de soutien au tissu local. Parallèlement, on reproche à la seconde3 de ne pas communiquer aux autorités sanitaires européennes certains résultats positifs obtenus sur le terrain concernant la guérison de nombreux oliviers dans le Salento. Des critiques dont découle la prétendue « grave crise de confiance envers le discours scientifique » que l’article prête aux défenseurs des oliviers.

 

Et la Justice ?

La décision de la Cour de justice européenne du 9 juin dernier a confirmé la légalité du plan de la Commission européenne prévoyant l’abattage de tous les arbres potentiellement infectés par la bactérie Xylella fastidiosa, rappelle l’auteur. Mais il y a un « mais ». Car le plan de la Commission européenne ne s’appuie sur aucune nouvelle donnée scientifique.

En effet, les rapports de l’EFSA (l’Autorité européenne de sécurité des aliments), sur lesquels se base la Commission pour prendre ses décisions, sont fondés sur des études menées par le Conseil italien de la recherche (Cnr) de Bari4. Et comme l’article du Temps l’indique plus loin, une dizaine de membres de cet institut sont actuellement mis en examen par le Parquet de Lecce dans une enquête sur la Xylella (au menu des charges retenues contre eux : « diffusion d’une maladie des végétaux, présentation de fausses informations et de faux éléments matériels auprès de personnes publiques, pollution environnementale, destruction de paysages remarquables, etc. »). Ce n’est donc pas tant du discours scientifique que les Salentini se méfient, mais plutôt de ceux qui en sont à l’origine.

Alors bien entendu la présomption d’innocence prévaut à ce stade, mais pourquoi n’avoir pas au moins présenté aux lecteurs ce lien entre la décision de la justice européenne et l’enquête en cours ? En outre, pourquoi ne pas avoir rappelé l’existence de deux décisions de justice qui ont suspendu l’extirpation des oliviers dans la province de Lecce ? L’une a été rendue par le Conseil d’État italien le 11 février dernier5, l’autre par le Tribunal administratif de la région du Lazio et court jusqu’en octobre. Il n’y a donc pas, pour l’heure en tout cas, de transposition dans le droit italien des décisions européennes quant à l’éradication de milliers d’oliviers infectés ou potentiellement infectés par le « complexe de dessèchement rapide » (CoDiRo en italien).

L’article parle d’un « mépris des connaissances scientifiques », lequel témoignerait d’une « profonde défiance envers le monde de la recherche », alors que l’« ahurissant blocage » [concernant le début des travaux de déracinement des oliviers] que dénonce avec véhémence l’auteur s’explique en réalité par… des décisions de justice !

 

Des certitudes basées sur des… incertitudes

Présenté comme le « directeur de l’unité Biologie du fruit et pathologie à l’Institut national français de la recherche agronomique (INRA) à Bordeaux », le spécialiste Thierry Candresse, interviewé dans l’article, déplore de son côté l’« érosion de la position de l’expertise scientifique ». Curieuse déclaration venant d’un des co-auteurs  du rapport de l’EFSA sur les risques liés à la Xylella, publié le 6 janvier 2015. Il n’aurait pas été inutile de mentionner ce point laissant entendre que le scientifique n’est pas tout à fait neutre dans cette affaire. Dans ce document, il est écrit noir sur blanc que « l’éradication n’est pas une solution couronnée de succès quand la maladie a été établie dans une zone déterminée »6. Mais quand cet argument sort de la bouche des partisans de la conservation des oliviers, ces derniers sont dépeints comme des individus récalcitrants à la « sainte » parole des experts.

Il faut dire que les études scientifiques sur la question de la maladie des oliviers du Salento se succèdent depuis maintenant deux ans, l’EFSA en ayant elle-même publié plusieurs. Certaines, parmi les plus récentes, reconnaissent que des traitements permettant de réduire les symptômes de la maladie existent, bien que ces derniers n’éliminent pas la Xylella des arbres étudiés. D’autres indiquent que cette bactérie est bel et bien responsable du dessèchement des oliviers, mais que des « lacunes » doivent encore être comblées quant à la connaissance de la « gamme d’hôtes », « l’épidémiologie de cette souche des Pouilles » et les « risques de propagation du foyer épidémique » depuis cette région. Le chantier (scientifique) reste ouvert, en somme.

Et c’est cette incertitude qui fait monter au créneau le « front d’opposition locale » qui ne peut pas accepter, en l’état actuel des choses, que l’on porte aussi drastiquement atteinte à ses oliviers. Ainsi, accuser des personnes d’être « anti-science » alors qu’elles se battent pour la sauvegarde de ces arbres, vitaux pour la région, me semble peu respectueux. Cela discrédite leur lutte et leurs revendications aux yeux des lecteurs. De la même manière, présenter l’arrachage des oliviers malades comme la « seule option face à ce mal incurable » s’avère plutôt péremptoire étant donné la prudence affichée jusqu’à présent par les scientifiques.

 


1. Terme italien pour parler de l’ensemble du sud de la Péninsule.

2. L’Italie est divisée en trois niveaux administratifs au niveau des régions : la Région, la Province et la Commune. La Regione Puglia représente donc la plus haute autorité politique régionale.

3. Qui fut la première à donner l’alerte en octobre 2013, comme je l’indiquais en avril 2015 sur Jet d’Encre : https://www.jetdencre.ch/les-oliviers-du-salento-au-coeur-dune-psychose-aux-interets-multiples-8557#_ftnref5

4. http://www.efsa.europa.eu/fr/topics/topic/xylellafastidiosa

5. Cet organe constitutionnel a approuvé un recours présenté par dix propriétaires d’oliviers des environs de Trepuzzi, à Lecce, qui dénonçait des vices de formes d’une part, et le manque de résultats univoques parmi les analyses concernant les agents pathogènes responsables de la diffusion de la maladie des oliviers d’autre part.

6. Rapport consultable ici : http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.2903/j.efsa.2015.3989/epdf (page 5)

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