
Dans leur récit de l’anecdote des bévues orthographiques de Ferney, la plupart des commentateurs laissent entendre qu’il s’agit avant tout d’un camouflet envers un auteur prestigieux de notre langue.
Certes, ces nombreuses coquilles sont regrettables, ridicules peut-être, mais elles n’insultent en aucun cas la mémoire du génial Voltaire, car, à l’évidence, son orthographe française valait à peine celle d’un collégien moyen.
Il faut dire que la confusion entre la maîtrise de l’orthographe et celle de la langue est relativement récente. C’est en effet au XIXe siècle que l’apprentissage et l’application de règles extrêmement complexes comportant de nombreux illogismes érigés en vérités indiscutables a permis de distinguer la caste de ceux qui les maîtrisaient sans génie de la classe de ceux qui ne pouvaient pas se permettre le luxe de les faire apprendre à leur enfants.
La qualité de l’orthographe est donc devenue un marqueur social, que la bourgeoisie de l’époque s’est empressée de transformer en marqueur culturel, voire intellectuel. Et l’école républicaine de Jules Ferry est tombée dans le panneau, puisqu’elle a gaspillé des millions d’heures à faire apprendre aux petits francophones des règles et conventions souvent inutiles et parfois absurdes plutôt que de les édifier dans des domaines plus intéressants et de réformer de fond en comble l’orthographe française.
Contrairement à ce qu’on entend parfois, une telle réforme n’aurait généré aucun déficit culturel. Preuves en sont les phonétisations de l’italien, du turc ou du tchèque, langues dont on ne peut nier qu’elles demeurent les vecteurs d’œuvres culturelles de haut niveau, tout en acceptant sans scrupule étymologique « farmacia », « kuaför » ou « bižuterie ».
Aujourd’hui encore, l’insistance sur l’importance sociale de l’orthographe « pour trouver un bon métier », lors même que la plupart des patrons ignorent tout des accords du participe passé, est un cliché familial et scolaire.
Dommage, car, pour en revenir à Voltaire, une rapide « correction » de ses manuscrits (ici, la page 2 de Candide, disponible sur le site de la BNF) confirme qu’être un génie de la langue et de l’écriture n’empêche pas de confondre la 2e et la 3e personne de l’imparfait, ni d’opter pour des graphies courantes à l’époque, mais aujourd’hui choquantes pour ceux qui s’érigent en puristes.
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Vous feriez bien de prendre des cours de paléographie avant de souligner en rouge des fautes qui n'existent pas !…