Genre Le 3 février 2020

Repenser juridiquement les surnoms sexistes : « Mistinguett » face au Tribunal fédéral

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Repenser juridiquement les surnoms sexistes : « Mistinguett » face au Tribunal fédéral

© RitaE, Pixabay

La créative Charlotte Teasdale nous propose une réflexion de haut niveau sur l’importance des mots et plus précisément des sobriquets utilisés dans le cadre du travail. Quand une femme se fait appeler « Mistinguett » au bureau, en plus de la moquer, quel genre de poids culturel sexiste lui met-on sur les épaules? Découvrez aujourd’hui sa fine analyse de la problématique sur Jet d’Encre, dans le cadre du dossier « Plaidoirie pour les droits humains »


 

Sujet attribué

« Mistinguett » : “De nos jours, ce terme est utilisé dans le langage courant pour désigner, de façon familière mais généralement affectueuse une jeune fille ou une jeune femme” (arrêt du Tribunal fédéral 4A_18/2018 du 21 novembre 2018). Mesdames, la loi fédérale sur l’égalité vous protège.

 

Mistinguett

Définition de Lavette : « Nom commun, féminin. Brosse dure en fils de nylon utilisée pour laver la vaisselle, carré de tissu-éponge pour essuyer la table. En Suisse : carré de tissu-éponge utilisé pour la toilette ». Lavette. Selon le Tribunal fédéral, un homme qui traite un policier, oh grand bras droit de l’Etat souverain, de lavette est pénalement répréhensible : Délit à l’honneur, insulte, article 177 du Code pénal.

…Un policier, une éponge, une insulte… Je ne comprends pas très bien le lien. Et vous ? Une é-p-onge ? Ce serait une insulte ? Pourtant, rien n’indique que l’inculpé avait l’intention de blesser qui que ce soit. Il parlait juste d’une éponge, non ? Vous y voyez une injure, vous ?

Oui ?

Et bien on ne peut vraiment plus rien dire avec vous.

Vous ne comprenez pas ce raisonnement ? Je vous rassure, moi non plus. Alors, j’ai une terrible nouvelle : nous ne raisonnons pas comme les juges du Tribunal fédéral.

En effet, quid du Mistinguett ? Dans l’arrêt mentionné précédemment, une femme, Madame A., est victime d’un environnement de travail extrêmement toxique. Elle devient rapidement le bouc émissaire de son nouveau supérieur. Ce dernier ne manque pas une occasion de la rabaisser et la surnomme : Mistinguett. Pour le Tribunal fédéral, pourtant grand défenseur des policiers-éponges, ce cas ne serait pas constitutif d’une discrimination ou de harcèlement sexuel au sens de la Loi sur l’égalité entre hommes et femmes. Les juges le justifient ainsi, de manière aussi descriptive que la lavette :

« Jeanne Florentine Bourgeois, dite Mistinguett, a vécu de 1875 à 1956. Ce n’est certes pas sa voix qui en a fait une artiste à succès – elle avait notoirement la voix éraillée, pour ne pas dire qu’elle chantait faux (..) ; » Ils insistent ensuite sur le fait : « qu’elle n’était pas que les plus belles jambes de Paris », puis persistent avec une maladroite pirouette consistant à se demander (l’audace !) si les mœurs de l’artiste auraient été suffisamment mauvaises pour que son nom soit synonyme d’insulte. Ils réfutent, puis ajoutent : « que l’artiste n’avait pas touché [Cocteau] par la brillance de son intellect, mais par sa grâce, une gouaille toute parisienne». Enfin, les juges concluent ainsi : « la recourante pourrait tout au plus s’offusquer du manque de savoir de son interlocuteur ». Et ceci en 2018.

Le sous-entendu est clair : Et bien on ne peut vraiment plus rien dire avec vous.

Alors, contradiction du Tribunal fédéral ? Reproduction du pouvoir ?

Lorsque ce dernier érige au rang de victime le policier-éponge tout en dédaignant la souffrance d’une femme: Madame A. Alors une fois de plus, il nous rappelle que le pouvoir protège le pouvoir. Alors, qui, dites-moi qui, nous protège du pouvoir ?

 

« Mesdames, la loi fédérale sur l’égalité vous protège »

La Loi sur l’Egalité entre hommes et femmes (LEg) protège, sur le lieu de travail, les travailleurs des discriminations fondées sur le sexe (art. 3 alinéa 1). Elle est, par son titre même, ainsi que par les références faites au « sexe » et non au « genre », profondément discriminatoire.

Elle omet ainsi l’évidence même du féminisme : le sexisme n’est pas la haine à l’encontre des femmes, mais la haine profonde du féminin. Et des formes plurielles de féminité.

Et dans ce contexte, l’ironie ultime ne serait-elle pas la peur profonde de voir le masculin « féminisé » ? Revenons à notre définition : « lavette, nom commun, féminin » est-ce donc là le problème ? L’injure ? On ne féminise pas un policier ?

Alors oui, le champ d’application de la LEg est bien maigre. Et, même lorsque la lettre nous sert, l’interprétation qu’en fait le Tribunal fédéral nous dessert. Nous trahit. Dans cet arrêt, Madame A. invoque l’art. 4 de la LEg protégeant du harcèlement sexuel, qui vise : «tout comportement importun (…) fondé sur l’appartenance sexuelle, qui porte atteinte à la dignité de la personne sur son lieu de travail. ». Selon la jurisprudence, les remarques sexistes entrent dans le champ d’application. Jusque là, tout va bien.

Mais la trahison du système judiciaire réside dans la marge d’interprétation accordée aux juges.

Dans la liberté qu’ielles ont de définir, au cas par cas, ce qui serait profondément sexualisant ou relevant d’une simple blague; ce qui est profondément dégradant ou de la simple ironie entre collègues

L’audace.

 

L’intention au cœur du procès

Madame A., « Certains cas individuels deviennent des symboles et définissent ce que nous sommes et ce que nous voulons être, collectivement.» a dit Assa Traore. Collectivement.

Ce procès, au lieu de commenter les jambes de Mistinguett, aurait dû être historique. Sur le banc des accusés ? Les petits mots assassins, artisans même de nos oppressions : « Louloutte, bichonette, mistinguette, … tapette ». Ces mots sont profondément infantilisants.

Messieurs les Juges, cher supérieur de Madame A. : votre dénominateur commun est le pouvoir et ce pouvoir vous aveugle. Il vous a mené à votre première erreur, fondamentale : celle de croire que l’intention justifierait l’oppression, que l’intention s’isolerait du texte et de son contexte. Ou, en d’autres termes, qu’une oppression ne serait pas oppressive si l’intention de l’oppresseur n’était pas d’oppresser…

Mais la lavette, par contre ! Attention ! Code pénal, art. 177, délit à l’honneur.

Et pourtant, cher opré’… cher Tribunal fédéral, vous aviez la réponse sous les yeux : Mistinguette. Mistingu-ette. Rajouter le suffixe « -ette » n’est jamais anodin. Il est synonyme du « petit » ou plutôt de la petite chez l’autre et donc de la grandeur de l’énonciateur, de sa domination. D’ailleurs, ce suffixe ne s’applique jamais au masculin, il vise uniquement les femmes et personnes dites ou présumées « féminines ». Le Tribunal fédéral dans son arrêt parle de « jeunes femmes et jeunes filles » Il est donc, au sens de l’art. 4 de la LEg importun et fondé sur le genre ou l’expression de genre, ou comme la loi le nomme encore à tort, l’appartenance sexuelle.

Madame A., j’ai une certitude : il existe bien des mots tentant de nous rendre « plus petites » mais il n’existe pas et il n’existera jamais de petite discrimination.

Inscrits dans un système de domination, ces mots sont à la fois la pointe de l’iceberg et le fondement même de la culture du viol et des féminicides. Quotidiennement, ils banalisent nos oppressions jusqu’à nous faire croire que, peut-être, nous mériterions d’être plus petit.e.x.s… Que peut-être, nous méritons d’avoir moins de droits… Que, peut-être, nous devrions nous taire…

 

« Jeunes filles et jeunes femmes » ?

Le deuxième argument du Tribunal fédéral, pourtant enclin à se prononcer officiellement sur la beauté des jambes de l’artiste, est de dire que ce mot ne serait pas assez sexualisant. Erreur ! Mistinguett était une femme de scène adulée, brillante ; et c’est en ce sens que son nom a été récupéré.

Messieurs, votre invisibilité se délecte de notre corporalité. Vous vous pensez puissants et invisibles tant que vous avez un groupe à pointer du doigt. Le notre, celui des femmes et personnes dites ou présumées « féminines ». Et quoi de mieux pour cela que de faire allusion à nos corps. Comme si nous étions constamment sur scène. Pour vous. Comme si nous n’existions que dans un rapport hétérosexuel : dans le regard que vous portez sur nous. Nous jugeant fécondes ou non ; assez « féminines » ou pas ; trop masculines, trop féminins, pas assez masculins ?

La sexualisation et la marginalisation de nos corps doit cesser. Le langage utilisé par la loi, le langage utilisé et permis par le Tribunal fédéral permettent cette sexualisation.

Madame A., j’ai une ultime certitude : les plus grands génocides se sont nourris des plus petits mots assassins.

« tapette »…

« youpin »…

Jusqu’à ce que ces petits mots assassins deviennent, par eux-mêmes, l’essence même de ces génocides. Crimes contre l’humanité.

Par cette décision la justice du pouvoir, ou plutôt le Tribunal fédéral, protégeant les policiers-éponges d’une main tout en nous bâillonnant de l’autre nous a… nous a, encore une fois, demandé de nous taire.

Alors, Messieurs, chers hommes cisgenres blancs, « mâles alphas » et autres policiers-éponges, aujourd’hui nous avons une bonne nouvelle pour vous :

La Loi sur l’égalité vous protège.

Commentaires

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Cousine

Des idées très bien exprimées, merci Teasdale pour ta -grande !- éloquence. Les rageux.ses ne comprennent pas qu'il ne s'agit…

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Mat

Voilà, ac un petit effort, le point goodwin est atteint tt tranquillement...

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J. Maître

Cet article est symptomatique de l'esprit vindicatif et haineux de certaines féministes. Il faut remercier l'auteur de l'avoir écrit car…

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Cousine

Des idées très bien exprimées, merci Teasdale pour ta -grande !- éloquence. Les rageux.ses ne comprennent pas qu’il ne s’agit pas simplement de simples mots affectueux, mais bien souvent du rabaissement d’une autre personne sur des critères sur lesquels elle n’a pas contrôle et qui sont, de plus, injustifiés. Des termes neutres et respectueux existent et peuvent tout autant être utilisés à la place !

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Mat

Voilà, ac un petit effort, le point goodwin est atteint tt tranquillement…

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J. Maître

Cet article est symptomatique de l’esprit vindicatif et haineux de certaines féministes. Il faut remercier l’auteur de l’avoir écrit car cet article dévoile le caractère oppsessif et répressif de la société que ces féministes voudraient imposer à tous. Cela fait réfléchir et contribue à déconsidérer le féminisme.

Bien sûr, surnommer Mistinguett une collègue de bureau peut être éventuellement une moquerie ou une attitude machiste. Tout dépend du contexte, et de l’ambiance qui règne dans cette entreprise. Cela peut être aussi un comportement affectueux, apprécié par la destinataire qui peut le prendre comme un compliment. Mistinguett était admirée de son temps comme une reine de beauté. donc c’est flatteur.

N’en déplaise à Charlotte Teasdale, c’est bien l’intention qui compte. S’il existe un climat de mobbing , le fait d’avoir donné ce surnmom peut être un élément du mobbing. Mais ce qui peut, et doit être incriminé, c’est le mobbing, pas le fait en soi de donner un petit surnom à quelqu’un.

Et si une directrice se permet de surnommer un subordonné Tarzan, ou Belmondo, par exemple, cela n’a rien de répréhensible si cela se fait dans un climat de taquinerie amicale. L’employé aura d’ailleurs la possibilité de répondre du tac au tac « à votre service Mistinguett ».

L’appel à la répression de Charlotte Teasdale, si elle parvenait à faire passer une loi pénalisant ce genre de choses, n’aurait pour seul effet que d’instaurer une sorte de police de la pensée, une inquisition des arrières pensées qui rappellerait les pires excès de certains régimes totalitaires.

Le tribunal fédéral, fort heureusement, semble avoir encore un certain bon sens. Ouf!. Il faut espérer que Charlotte Teasdale avec sa mentalité de garde rouge du féminisme, ne parvienne jamais à imposer des normes pénales qui transformeraient la vie en un enfer.

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Eva Saro

Merci de n’avoir pas… passé l’éponge sur ce cas révélateur de nos biais 😉 Et pourvu que votre réflexion encourage Madame A. à aller plus loin.

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