Politique Le 15 octobre 2014

Le PS: parti de bobos, de pédés et de blacks ?

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Le PS: parti de bobos, de pédés et de blacks ?

Peut-on être socialiste et travailler au MacDo ? Être socialiste et œuvrer dans une banque ? Être un petit patron et s’engager au parti ? Ou, plus précisément, peut-on être socialiste et travailler au WEF (World Economic Forum) ? C’est la question que Jérôme Béguin, journaliste à Gauchebdo, pose d’une manière péremptoire dans un édito intitulé « Il faut le dire » en date du 10 octobre1.

Avis avec œillères

Pour lui, non, ce n’est pas possible. Le PS ne peut pas « se croire permis d’offrir aux suffrages des électeurs de gauche une senior manager employée du WEF » (sur 33 candidat-e-s). Car le WEF, c’est le mal absolu; donc tous ceux qui y travaillent sont diaboliques, quoi qu’ils y fassent et quelle que soit leur vie en dehors du boulot. Il est toutefois piquant de constater que Gauchebdo publie en page 5 du même journal un excellent article d’Emmanuel Deonna, candidat PS au conseil municipal (!). Démonstration faite que virulence ne rime pas toujours avec cohérence2.

Une extrême gauche de façade

Je souhaite réfléchir un peu sur cet édito de Gauchebdo, car il illustre une dérive des positions d’extrême gauche vers l’extrême droite. Voulant figer les identités, avec des jugements manichéens, il se donne le beau rôle, omettant de voir que les marges de résistance et de manœuvres sont multiples. Ce journaliste se mue en inquisiteur, pointant du doigt les socialistes coupables d’apostasie. Quoi ?! Être de gauche et occuper le cerveau de la bête ? C’est pourtant ce que Che Guevara recommandait à Jean Ziegler: mener la lutte sur tous les terrains, dans tous les milieux, et avant toute chose là où le pouvoir réside. Ce n’est pas en se mettant une médaille de bonne conduite, en se congratulant d’être « bien de gauche », que l’on gagnera le combat, mais dans la lutte pour plus de justice sociale, où que l’on soit, avec qui que ce soit. Critiquer la liste des candidat-e-s du Parti socialiste parce qu’elle serait, selon ce journaliste, majoritairement composée de gens ayant fait des études, fonctionnaires, ou engagés dans des associations, et non « pas de gens d’en bas travaillant plus de 40 heures », est un avis de droite. Il fait complètement jonction avec les discours les plus virulents de membres du Parti libéral-radical comme Adrien Genecand, ou du Mouvement citoyen genevois type Carlos Medeiros, affichant un mépris pour la fonction publique et enquillant les préjugés et les fantasmes sur une réalité qu’ils n’éprouvent pas.

Ni de gauche ni d’extrême gauche, mais de droite

Campé dans une pseudo-posture d’extrême gauche, c’est en fait dans une position très confortable imbibée de l’air du temps, où se mêlent mépris des gens qui ont fait des études et méconnaissance de ceux qui travaillent sans être estampillés « prolo », que ce journaliste caricature des catégories dépassées. Cela illustre parfaitement ce que Luc Boltanski et Arnaud Esquerre décrivent dans leur livre « Vers l’extrême, extension des domaines de la droite »: une pensée conservatrice et dénigrante de tout ce qui ne lui ressemble pas3. Cet ouvrage décrypte les discours d’extrême droite, critique, entre autre, la notion de « bobo » (catégorie fourre-tout permettant de dégommer tout ce qui est contestataire et différent) et met l’accent sur le renforcement de caractéristiques identitaires magnifiées : l’ouvrier, le paysan, le peuple, etc.

Il est temps de faire reset camarades

Cette vision complètement creuse de ce qu’est un ouvrier aujourd’hui n’aide pas à comprendre les situations précaires du quotidien. Qu’a-t-il à envier, l’ouvrier, à la femme monoparentale qui enquille deux boulots ? Au père divorcé qui est un col blanc mais n’a plus de logement et doit payer une pension alimentaire ? Aux travailleurs précaires dans le domaine de la culture qui font leurs 80 heures par semaine pour des clopinettes ? À l’expatriée qui n’a aucune sécurité de l’emploi, un contrat précaire, et se fait harceler au travail ? À l’enseignant qui se fait quatre établissements scolaires en simultané, et est au bord du burn-out ? Cette liste n’est pas exhaustive.

Pavlovisme racoleur

Ce réflexe pavlovien d’extrémiste « de gauche », figeant toutes les catégories dans le temps, est stupide et stérile. La gauche a pour ambition de secouer les catégories, découper le réel autrement, réveiller la pensée, pas de s’y vautrer. Pour ma part, je suis heureux que des membres du PS occupent, aient occupé et occuperont encore longtemps j’espère des emplois dans les domaines les plus variés, à n’importe quel niveau. C’est de l’intelligence collective, des ressources multiples pour comprendre la société et le monde d’aujourd’hui dont nous avons besoin. Ce qui compte, c’est ce que sert le cœur, les actes concrets d’engagements, pas les poses de révolutionnaires de salon.

Penser pour après

Heureusement, la vie est toujours plus souple et dynamique que les fantasmes des extrémistes. Telle camarade qui est passée au WEF travaille maintenant à la promotion du sport pour toutes et tous, et dans le cinéma. Telle autre a rejoint une organisation luttant contre la mortalité infantile dans les pays du Sud, due à des maladies considérées bénignes au Nord. Sorties du WEF, seraient-elles suffisamment socialistes pour Béguin maintenant ? Pourtant leur engagement est le même ! Le Parti socialiste n’est pas sectaire, il a l’intelligence de s’intéresser à ce que les gens pensent et à leurs actions, pas à leur pedigree. Tant mieux si des personnes socialement responsables entrent en résistance là où ils sont. Je préfère des irrévérencieux engagés à des pédants, fussent-ils « de gauche ».

Diversité maximale

Je suis fier d’être au Parti socialiste. Parce que ce parti accueille des gens de tous horizons, tout milieu social. Parce que ce parti n’est pas un club fermé. Il ne dicte ni les comportements, ni les modes de vie, n’édicte pas de directives sur les emplois occupés. Il n’y a pas de test de « crédibilité socialiste » à l’entrée pour les personnes qui s’engagent dans ce parti composé de patrons, d’étudiant-e-s, de chômeurs, de fonctionnaires, d’ouvrières, de syndicalistes, de femmes, de migrants, de Suisses, de vieux, de plus vieux encore, d’homosexuelles, d’hétérosexuels, de croyants, d’athées, d’anarchistes, de frontaliers, de retraités, de jeunes fous; de bobos, de pédés et de blacks. Ce qui compte, au final, c’est la posture politique, l’engagement collectif, pas le pedigree essentialiste que certains, à droite comme à l’extrême droite veulent coller sur les gens. Il est inquiétant qu’à « l’extrême gauche », ce courant prenne désormais racine; avec le fantasme de faire rentrer dans la réalité des modes de pensée nostalgiques et dépassés.

Marx sans Engels n’aurait pas été Marx

D’ailleurs, c’est sans surprise que Pascal Décaillet rejoint cette « extrême » là et reprend sur son blog4 cet édito « délicieusement assassin de Jérôme Béguin sur l’embourgeoisement des socialistes en Ville de Genève », faisant l’éloge des océans de nostalgie que soulève pour lui ce journal. Bourgeoisie? Marx n’aurait jamais été Marx sans Engels. Le manifeste du Parti communiste n’aurait pas vu le jour sans ce fils d’industriel et mécène de Karl Marx. Ces catégories de bourgeois et de prolo sont aujourd’hui à reformuler. Il serait intellectuellement honnête, du côté de Gauchebdo, de venir voir sur le terrain qui sont les candidat-e-s du PS, ce qu’ils ont dans la tronche et le bide, pas se contenter vite fait de lister leurs emplois, leurs passe-temps, ou leur genre uniquement. Il serait surtout politiquement salvateur de saisir, à l’extrême gauche, que c’est contre l’extrême droite que se réaliseront les changements sociaux progressistes, pas avec elle.

 


1. http://gauchebdo.ch/pdfs/GH41.14.pdf

2. À toutes fins utiles, il convient de préciser aussi que la candidate en question s’est retirée de la liste. Une belle preuve de la précision du travail de journalisme mené par Gauchebdo. Faites ce que je dis pas ce que je fais!

3. Luc Boltanski, Arnaud Esquerre, « Vers l’extrême, extension des domaines de la droite ». Éditions dehors, 2014.

4. http://pascaldecaillet.blog.tdg.ch/archive/2014/10/10/la-solitude-la-petite-mort-le-partage-de-la-joie-260619.html

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