Si certaines activités attribuées à l’État font l’objet de débats quant à leur légitimité à être assumées par l’appareil étatique, d’autres prérogatives, en revanche, semblent évidentes; l’éducation, la sécurité, le respect de principes démocratiques fondamentaux, etc. Pour assurer ces fonctions vitales à la société, l’État détient ce que Max Weber, un politologue allemand, nomma « la violence légitime ». Cette dernière peut se comprendre comme le monopole par l’État de l’usage de la force sur un territoire défini, à la condition que celui-ci en use dans l’intérêt de ses citoyens et dans les limites de la loi.
Cependant, il semblerait qu’une tendance inexorable de l’État suisse – tant au niveau cantonal que fédéral – soit d’utiliser le droit non plus comme garant exclusif de la volonté générale, mais comme instrument budgétaire pour renflouer ses caisses et conserver ses moyens, voire ses privilèges, malgré une conjoncture économique difficile.
Pour s’en rendre compte, il suffit d’analyser les budgets de fonctionnement de l’État de Genève. Malgré une conjoncture difficile, des rentrées fiscales constantes, voire en diminution1, (République et canton de Genève 2013), la cité de Calvin s’entête à projeter des budgets en hausse. En l’occurrence, les recettes supplémentaires pour 2014, par rapport à 2013, sont estimées à 119.6 million de francs (Conseil d’État de la République et canton de Genève 2013).
D’où vient cet argent ?
L’État se finance à travers deux outils principaux : les taxes et les impôts. Pour prévenir l’État d’utiliser ces instruments à outrance, la population garde un pouvoir décisionnel sur le taux d’imposition ainsi que sur les taxes. Néanmoins, certains instruments tels les émoluments – dont font partie intégrante les contraventions – échappent à ce garde-fou. C’est bien là que le bât blesse.
À l’origine, les émoluments sont des prestations de services fournies par les pouvoirs publics qui sont directement facturées aux utilisateurs, car non-identiques d’une personne à l’autre. Le montant de ces émoluments n’est pas transparent. Le Conseil d’État genevois, c’est-à-dire un organe de l’exécutif, est habilité à modifier seul les tarifs ainsi que certaines dispositions du règlement sur les émoluments. Lorsque l’on sait que ce sont ces mêmes personnes qui proposent les objectifs, puis les gèrent en fonction des budgets cantonaux établis et qui finalement, disposent des outils pour y parvenir, on peut aisément voir le conflit d’intérêt qui se pose. Ceci revient à dire que l’on a concentré dans les mêmes mains ce qui ressort du législatif (l’établissement du budget), de l’exécutif (la gestion du budget) et du judiciaire (les sanctions). Par conséquent, il n’est pas étonnant de constater que ces dernières années, en plus de l’introduction de nouvelles sanctions pécuniaires, le montant ainsi que la fréquence des émoluments existants ont fortement augmenté (Rapport d’activité de la police cantonale de Genève 2013). Pour illustration, les comptes prévisionnels de l’État de Genève (République et canton de Genève 2014) prévoient une augmentation de 25 millions de francs suisses des recettes dues aux contraventions seules !
Mais, comment peut-on prévoir le nombre d’infractions qui seront commises dans le futur, sauf à biaiser la loi pour y arriver ? Budgéter un montant de contraventions en constante augmentation n’est-il pas la preuve que l’application de la mesure a pris le pas sur son but, qui est de protéger et de prévenir ?
Le code de la route avec son appareil punitif a été instauré comme un outil pédagogique, préventif et au service de la sécurité de tous. Dans cette perspective, les radars, par exemple, devraient être installés sur des tronçons dangereux, où une limitation de vitesse est nécessaire pour sauver des vies. Or aujourd’hui, les radars servent un but mercantile et se trouvent non plus dans des zones dangereuses mais surtout, et en priorité, dans des zones rentables. D’ailleurs, les chiffres sont là pour en témoigner (Rapport d’activité de la police cantonale de Genève 2013) (Département de la sécurité et de l’économie à Genève 2014): pour une augmentation de plus de 126% dans le nombre d’amendes d’ordre attribuées entre 2012 et 2013, le nombre d’accidents routiers n’a pas diminué mais s’est accru de 75% pour un parc automobile en régression. De là à conclure que les radars sont biaisés dans leur utilisation préventive, mais indispensables au revenu de l’administration, il n’y a qu’un pas…
Même problématique en ce qui concerne les places de parking public. Les zones avec horodateur, ou bleues à temps limité (sauf avec macaron payant), ont remplacé les zones blanches illimitées sous prétexte de politique environnementale ou de lutte contre les abus. Selon un recensement fait en 2010 (Lafargue X. 2010), Genève comptait moins d’un millier de places blanches. La transition opérée vers le « payant » constitue avec la disparition concomitante des places gratuites, un exemple de plus de perversion d’un service de base en une dérive tarifaire et punitive.
En conclusion, il faut dire qu’il ne s’agit pas ici de condamner le principe des émoluments ou des amendes, mais de dénoncer une dérive qui n’a cessé de se développer depuis des années ; l’utilisation de la loi pour renflouer les caisses des administrations publiques. Il est inacceptable que les émoluments figurent dans les prévisions budgétaires des entités publiques et encore moins qu’on les revoit à la hausse annuellement ! L’État de Genève et ses fonctionnaires sont là pour servir les citoyens et non le contraire. Si la cité de Calvin n’est pas en mesure de couvrir ses frais de fonctionnement, alors son devoir est de réduire ses dépenses et non de ponctionner le contribuable indéfiniment.
1 Les Genevois ont par deux fois voté des diminutions d’impôts en 2010 et 2011
Travaux cités
Conseil d’État de la République et canton de Genève. Projet de budget 2014 de l’État de Genève. Genève: République et canton de Genève, 2013.
Département de la sécurité et de l’économie à Genève . Sécurité routière : bilan des actions et statistiques 2013. Genève: République et canton de Genève, 2014.
Lafargue X., Xavier. En ville, les places de parc gratuites disparaissent. Genève, 06 Juin 2010.
Rapport d’activité de la police cantonale de Genève 2013. Genève: République et canton de Genève, 2013.
République et canton de Genève. Budget 2014. Genève: République et canton de Genève, 2014.
République et canton de Genève. Statistiques cantonales. Graphiques : 13. Protection sociale. Dépenses nettes pour les prestations sociales sous condition de ressources, selon le type de prestation, dans le canton de Genève, depuis 2003. Genève, Juillet 2013.
Rousseau J-J., Jean-Jacques. Du contrat social. Paris: Flammarion, 2001.
Sit, Syndicat interprofessionnel de travailleuses et travailleurs. Attaque sans précédent contre les services publics : appels à la mobilisation. Genève, Décembre 2012.
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