Économie Le 31 août 2014

Amendes punitives ou amendes lucratives ?

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Amendes punitives ou amendes lucratives ?

Si certaines activités attribuées à l’État font l’objet de débats quant à leur légitimité à être assumées par l’appareil étatique, d’autres prérogatives, en revanche, semblent évidentes; l’éducation, la sécurité, le respect de principes démocratiques fondamentaux, etc. Pour assurer ces fonctions vitales à la société, l’État détient ce que Max Weber, un politologue allemand, nomma « la violence légitime ». Cette dernière peut se comprendre comme le monopole par l’État de l’usage de la force sur un territoire défini, à la condition que celui-ci en use dans l’intérêt de ses citoyens et dans les limites de la loi.

Cependant, il semblerait qu’une tendance inexorable de l’État suisse – tant au niveau cantonal que fédéral – soit d’utiliser le droit non plus comme garant exclusif de la volonté générale, mais comme instrument budgétaire pour renflouer ses caisses et conserver ses moyens, voire ses privilèges, malgré une conjoncture économique difficile.

Pour s’en rendre compte, il suffit d’analyser les budgets de fonctionnement de l’État de Genève. Malgré une conjoncture difficile, des rentrées fiscales constantes, voire en diminution1, (République et canton de Genève 2013), la cité de Calvin s’entête à projeter des budgets en hausse. En l’occurrence, les recettes supplémentaires pour 2014, par rapport à 2013, sont estimées à 119.6 million de francs (Conseil d’État de la République et canton de Genève 2013).

En millions de francs suisses. Source : République et canton de Genève, Finances publiques

En millions de francs suisses. Source : République et canton de Genève, Finances publiques

D’où vient cet argent ?

L’État se finance à travers deux outils principaux : les taxes et les impôts. Pour prévenir l’État d’utiliser ces instruments à outrance, la population garde un pouvoir décisionnel sur le taux d’imposition ainsi que sur les taxes. Néanmoins, certains instruments tels les émoluments – dont font partie intégrante les contraventions – échappent à ce garde-fou. C’est bien là que le bât blesse.

À l’origine, les émoluments sont des prestations de services fournies par les pouvoirs publics qui sont directement facturées aux utilisateurs, car non-identiques d’une personne à l’autre. Le montant de ces émoluments n’est pas transparent. Le Conseil d’État genevois, c’est-à-dire un organe de l’exécutif, est habilité à modifier seul les tarifs ainsi que certaines dispositions du règlement sur les émoluments. Lorsque l’on sait que ce sont ces mêmes personnes qui proposent les objectifs, puis les gèrent en fonction des budgets cantonaux établis et qui finalement, disposent des outils pour y parvenir, on peut aisément voir le conflit d’intérêt qui se pose. Ceci revient à dire que l’on a concentré dans les mêmes mains ce qui ressort du législatif (l’établissement du budget), de l’exécutif (la gestion du budget) et du judiciaire (les sanctions). Par conséquent, il n’est pas étonnant de constater que ces dernières années, en plus de l’introduction de nouvelles sanctions pécuniaires, le montant ainsi que la fréquence des émoluments existants ont fortement augmenté (Rapport d’activité de la police cantonale de Genève 2013). Pour illustration, les comptes prévisionnels de l’État de Genève (République et canton de Genève 2014) prévoient une augmentation de 25 millions de francs suisses des recettes dues aux contraventions seules !

Mais, comment peut-on prévoir le nombre d’infractions qui seront commises dans le futur, sauf à biaiser la loi pour y arriver ? Budgéter un montant de contraventions en constante augmentation n’est-il pas la preuve que l’application de la mesure a pris le pas sur son but, qui est de protéger et de prévenir ?

Le code de la route avec son appareil punitif a été instauré comme un outil pédagogique, préventif et au service de la sécurité de tous. Dans cette perspective, les radars, par exemple, devraient être installés sur des tronçons dangereux, où une limitation de vitesse est nécessaire pour sauver des vies. Or aujourd’hui, les radars servent un but mercantile et se trouvent non plus dans des zones dangereuses mais surtout, et en priorité, dans des zones rentables. D’ailleurs, les chiffres sont là pour en témoigner (Rapport d’activité de la police cantonale de Genève 2013) (Département de la sécurité et de l’économie à Genève 2014): pour une augmentation de plus de 126% dans le nombre d’amendes d’ordre attribuées entre 2012 et 2013, le nombre d’accidents routiers n’a pas diminué mais s’est accru de 75% pour un parc automobile en régression. De là à conclure que les radars sont biaisés dans leur utilisation préventive, mais indispensables au revenu de l’administration, il n’y a qu’un pas…

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Même problématique en ce qui concerne les places de parking public. Les zones avec horodateur, ou bleues à temps limité (sauf avec macaron payant), ont remplacé les zones blanches illimitées sous prétexte de politique environnementale ou de lutte contre les abus. Selon un recensement fait en 2010 (Lafargue X. 2010), Genève comptait moins d’un millier de places blanches. La transition opérée vers le « payant » constitue avec la disparition concomitante des places gratuites, un exemple de plus de perversion d’un service de base en une dérive tarifaire et punitive.

En conclusion, il faut dire qu’il ne s’agit pas ici de condamner le principe des émoluments ou des amendes, mais de dénoncer une dérive qui n’a cessé de se développer depuis des années ; l’utilisation de la loi pour renflouer les caisses des administrations publiques. Il est inacceptable que les émoluments figurent dans les prévisions budgétaires des entités publiques et encore moins qu’on les revoit à la hausse annuellement ! L’État de Genève et ses fonctionnaires sont là pour servir les citoyens et non le contraire. Si la cité de Calvin n’est pas en mesure de couvrir ses frais de fonctionnement, alors son devoir est de réduire ses dépenses et non de ponctionner le contribuable indéfiniment.

 


1 Les Genevois ont par deux fois voté des diminutions d’impôts en 2010 et 2011

Travaux cités

Conseil d’État de la République et canton de Genève. Projet de budget 2014 de l’État de Genève. Genève: République et canton de Genève, 2013.

Département de la sécurité et de l’économie à Genève . Sécurité routière : bilan des actions et statistiques 2013. Genève: République et canton de Genève, 2014.

Lafargue X., Xavier. En ville, les places de parc gratuites disparaissent. Genève, 06 Juin 2010.

Rapport d’activité de la police cantonale de Genève 2013. Genève: République et canton de Genève, 2013.

République et canton de Genève. Budget 2014. Genève: République et canton de Genève, 2014.

République et canton de Genève. Statistiques cantonales. Graphiques : 13. Protection sociale. Dépenses nettes pour les prestations sociales sous condition de ressources, selon le type de prestation, dans le canton de Genève, depuis 2003. Genève, Juillet 2013.

Rousseau J-J., Jean-Jacques. Du contrat social. Paris: Flammarion, 2001.

Sit, Syndicat interprofessionnel de travailleuses et travailleurs. Attaque sans précédent contre les services publics : appels à la mobilisation. Genève, Décembre 2012.

Commentaires

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Romain

Mais le nombre de radars n'est justement pas très élevé. Une boîte vide ne peut amender personne... En effet, vous…

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Nadia

Cher Romain, Merci d'avoir initié le débat :) Pour vous répondre, je ne pense pas que le nombre limité de…

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Romain

Chère Nadia, Merci pour votre réponse! Rassurez-vous j'ai très bien compris le sens de votre article. Un radar peut avoir…

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Romain

Mais le nombre de radars n’est justement pas très élevé. Une boîte vide ne peut amender personne… En effet, vous auriez pu (du?) faire une comparaison avec les autres cantons pour savoir si nous somme si contrôlés que ça. Pour avoir vécu à Zurich plus d’un an, je peux vous dire que le nombre de boîtes chargées était assez impressionnant. Le fait-play sur la route aussi ceci dit…

Un budget est fait pour être respecté surtout au niveau des dépenses, les revenus sont avant tout des estimations basées sur de prévisions et sur les années précédente. On ne peut pas forcer les gens à payer un impôt sur le revenu plus élevé sous prétexte que cette recette est plus faible qu’au budget. De même qu’on ne peut pas envoyer des fausses amendes pour atteindre le budget. Ce que cet article (d’un grand journal d’investigation) dit c’est simplement que les budgets ont été revu à la hausse mais pas qu’un conseiller d’état en charge à explicitement demandé à ses policiers de faire en sorte d’atteindre tel chiffre de revenu (j’insiste sur revenu et pas contrôle).

Ces recettes existent depuis des années et entrent dans les caisses de l’état, il me paraît donc logique qu’elles apparaissent au budget. Ça serait de la gestion amateur que de faire comme si c’était une surprise que de l’argent arrive chaque année par ce biais. Et cet argent va dans les poches de personne, il est reversé dans les dépenses générale de l’état donc notamment les écoles, le social etc.

Pour les places de parkings, on peut débattre longtemps de la durée idéale de stationnement. Sachez cependant que plus vous prolongez le durée de stationnement autorisée, moins il y a de mouvement et donc moins il y a de places libres. Limitez-les à 10h, vous ne trouverez plus une place en ville, limitez-les à 10 minutes vous aurez plein de places libres mais inutilisables. Quel compromis trouver? Je trouve 1h30 relativement adaptés pour le centre, il s’agit de partager l’espace public. Je ne suis pas sur qu’une augmentation de ce temps de stationnement servent votre cause autant que vous le pensez, mais c’est un débat ouvert.

le macaron autorise le stationnement illimité d’un véhicule uniquement pour les habitants du quartier (avec contrôle de la carte grise et du contrat de bail). C’est donc extrêmement différent d’une place blanche que l’ensemble des genevois, vaudois, frontaliers et autres peuvent utiliser indéfiniment. Certaines communes périphériques ont d’ailleurs constaté un véritable envahissement tous les matins de leur places blanches et ont du prendre des mesures pour que leurs habitants puissent encore stationner en allant chez le coiffeur ou le boucher…

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Romain

Il me semble que vous mélangez plusieurs choses. On peut débattre su le choix de l’emplacement de certains radars (mais la loi ne doit-elle pas être appliquée partout?).
La facturation ou la limitation dans le temps de l’utilisation de l’espace public qu’est une place de parking n’a pas grand chose à voir avec le premier sujet. Il me parait légitime qu’un citoyen qui utilise 8 mètres carrés d’espace public avec un véhicule immobile soit facturé pour ceci ou tout du moins qu’il doive partager ce service s’il est gratuit.

Quand au fait que si l’état ne peut financer sont fonctionnement il doit couper ses dépenses, je suis totalement d’accord avec vous. Mais ces choix reviennent aux citoyens et force est de constater qu’ils sont loin de faire des choix cohérents sur ce point. Tous les maux de l’état ne sont pas dus au politiciens…

(Je ne suis ni élu, ni membre d’un parti et je suis propriétaire d’une voiture…)

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Nadia

Cher Romain,

Merci pour votre commentaire.

Il me semble que vous n’avez pas compris le message central de mon article. Il ne s’agit pas de dénoncer l’existence de radars ou de places de parking payantes, mais de mettre en lumière leur utilisation mercantile.
Vous dites qu’il vous paraît normal que quelqu’un se fasse amender suite à un excès de vitesse car après tout, cette personne ne respectait pas la loi. Cet argument semble néanmoins oublier les buts premiers des radars : prévention et pédagogie. Logiquement, pour atteindre ses buts, il faut que les radars soient visibles et se situent sur les axes dangereux. Or aujourd’hui, certains radars sont cachés et installés sur des tronçons massivement empruntés mais peu risqués. De plus, l’inscription de revenus « émoluments » – largement imputables aux amendes d’ordre- dans les budgets prévisionnels de l’Etat de Genève est la preuve infaillible que les radars ont été détournés de leurs objectifs premiers afin de servir de revenus supplémentaires pour les autorités publiques.

Quant aux places de parkings, la même logique s’applique.

Nadia

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Romain

Chère Nadia,

Merci pour votre réponse! Rassurez-vous j’ai très bien compris le sens de votre article.

Un radar peut avoir un but préventif en effet. Mais de part le fait qu’il constate des infractions et que celle-ci soit amendée fait qu’ils ont aussi un but répressif. Enormément de radars sont très visibles, au même endroit depuis des années et sont la plupart du temps pas chargés (la tribune en parlait récemment, il y a sauf erreur 6 ou 8 appareils chargés sur 150 boites). Il me semble que l’on peut difficilement accuser ceux-ci d’être vicieux, vous en conviendrez? Je conviens ceci dit que l’emplacement de certains est très discutable, bien que connu. Ne pensez-vous pas cependant que l’augmentation des notants encaissé pourrait aussi être du à l’augmentation du nombre d’appareils connus chargés?

Mais je fais partie de ceux qui pensent qu’il est illusoire de penser qu’une loi peut être respectée par tous sans répression. Et je ne connais pas d’autre domaine où l’on avertirait toujours les gens en avance que l’on va vérifier s’ils respectent la loi… D’où les contrôles mobiles ou « cachés ». Car si l’on sait que l’on a aucune chance d’être sanctionné en dehors de contrôles fixes connus et annoncés, je vous laisse imaginer ce que ça pourrait donner comme idées à certains. Mais là aussi, l’emplacement de ces contrôles est sujet à débat.

L’inscription de ces montants au budget n’est certainement pas une preuve infaillible. Je ne prétend pas que vous avez tort, mais il s’agit tout au plus d’un indice. Si vous pouviez démontrer qu’il est demandé à la police de faire tel montant il s’agirait d’une preuve, mais là ce n’est pas le cas.
Car on pourrait aussi conclure que l’augmentation du nombre d’accident pour un parc automobile stable est la preuve infaillible que les gens conduisent toujours plus mal. (Et un parc automobile stable ne veut pas dire circulation stable, n’oublions pas les frontaliers et les vaudois.)
La planification de l’augmentation des places de détention dans le canton est-elle la preuve infaillible que l’état prévoit de persécuter les citoyens?

Pour les places de parking, je vous invite à imaginer ce qui se passerait si le dépassement du temps limite de stationnement n’était pas amendable… Ou alors avez-vous une autre solution à proposer?

Encore une fois, je ne prétend pas que vous avez tort, j’aurais même tendance à abonder dans votre sens pour un certains nombre de cas. Mais je trouve votre argumentation insuffisante, deux lignes au budget ne font pas une politique.

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Nadia

Cher Romain,

Merci d’avoir initié le débat 🙂

Pour vous répondre, je ne pense pas que le nombre limité de radars chargés supprime la perversion du système. En effet, on peut imaginer que seuls les radars les plus lucratifs sont chargés ou simplement que le nombre de radars à Genève étant très élevé, même le fonctionnement que d’une partie d’entre eux, équivaut déjà à un nombre de contrôles considérables. Il faudrait néanmoins comparer les chiffres avec d’autres cantons pour se rendre compte si GE est sous- ou sur- équipée en radars.

Puis, je soutiens à nouveau que l’inscription de recettes issus d’amendes/contraventions au budget du canton est une preuve qu’on instrumentalise la loi à des fins économiques. Les budgets sont en effet là pour être respectés! De plus, le principe même de leur présence dans un budget doit déjà nous alerter.
Quant aux directives que la police reçoit sur les amendes à encaisser l’existence de quotas ou de sommes à atteindre existe bel et bien. Pour illustration, en 2012: http://www.lematin.ch/suisse/polices-veulent-encaisser-23-millions-amendes/story/18599280

Enfin, s’agissant des places de parking, je trouve en effet que le système de stationnement ne reflète pas les besoins des conducteurs. Pour la plupart des zones bleues ou à horodateur, le temps maximum de stationnement est de 1h30. Pensez-vous réellement que ce temps vous permet d’aller chez le médecin, en ville ou n’importe où sereinement? Moi pas du tout. Il faut revoir ces limites, car elles ne correspondent pas aux besoins de la population.
Finalement, si vous avez peur qu’en prolongeant le temps de stationnement gratuit ou qu’en réinstaurant des zones blanches, les gens commencent à parker leurs voitures des jours sur la même place, une telle possibilité est déjà offerte…avec les fameux macarons payants bien sûr!

Nadia

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