Sport Le 27 juillet 2014

Yann Koby

Par Yann Koby

Le Tour du renouveau?

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Le Tour du renouveau?

De gauche à droite, Rafal Majka (maillot à pois du meilleur grimpeur), Thibaut Pinot (maillot blanc du meilleur jeune), Vincenzo Nibali (maillot jaune du leader du Tour), et Peter Sagan (maillot vert du meilleur sprinteur). © letour.fr

Cela ne fait que peu de doutes : le Tour de France 2014 qui s’est achevé dimanche sur les Champs-Élysées est un grand cru. Ce n’était pourtant pas joué, tant les traditionnelles stars du Tour ont souffert. Dans les superbes paysages de son pays natal, le Britannique Mark Cavendish est tombé lors de la première étape, coupable d’un sprint trop enjoué à Harrogate. Son compatriote et tenant du titre Chris Froome n’a pas fait beaucoup mieux : déjà à terre durant la quatrième étape, il a chuté à nouveau une première, puis une deuxième fois dans la redoutable étape des pavés, abandonnant avant même que ceux-ci ne soit atteints. Un forfait qui aura probablement fait regretter la décision du team Sky de se passer de Bradley Wiggins, vainqueur du Tour en 2012, tant Richie Porte ne s’est pas montré à la hauteur.  Puis, c’est finalement Alberto Contador qui, suite à une lourde chute dans la dixième étape et après avoir tout de même gravi un col avec un tibia fracturé, a dû abandonner.

En ajoutant à cela l’absence des Colombiens Nairo Quintana et Rigoberto Uran, respectivement premier et deuxième du Giro 2014, c’est un boulevard qui a donc été offert à l’Italien Vincenzo Nibali, qui relègue à plus de 7’50’’ son premier poursuivant. Il termine ainsi en tête de la Grande boucle avec le plus grand écart depuis 1997, et ce après avoir passé plus de 18 jours en jaune : il faut remonter quarante ans en arrière pour voir un certain Eddy Merckx faire mieux1. Mais le Requin de Messine (son surnom) n’aura certainement pas démérité : vainqueur audacieux à Sheffield, il a fait preuve d’une technique remarquable pour remporter l’étape des pavés, celle-là même qui a fait chuter Froome. Il s’est montré supérieur à ses adversaires dans tous les secteurs, se permettant même deux victoires d’étapes de prestige dans les massifs alpin et pyrénéen. Soit un total de quatre étapes remportées, ce qu’aucun autre maillot jaune n’avait réussi à faire depuis 1984. Une victoire finale, donc, que certains décrieront comme facile, mais un Tour, c’est aussi savoir rester sur son vélo jusqu’au bout. Et en ce sens, le Chinois Ji Cheng, lanterne rouge du tour, a fait mieux que les absents à la ligne d’arrivée. Sans compter qu’à l’aube de l’étape fatale pour Contador, Nibali comptait déjà plus de 2’30’’ d’avance sur ce dernier, par ailleurs bien incapable de décrocher le sicilien dans la première étape de montagne la veille.

Froome bien abîmé après sa chute. © letour.fr

Froome bien abîmé après sa deuxième chute. © letour.fr

Cette hécatombe aux premières loges a concentré l’intérêt de la course sur les deuxième et troisième places du podium, et que la lutte fut formidable ! Deux coureurs tricolores finiront par se partager les miettes laissées par Nibali, au terme d’un suspense à couper le souffle : il faut revenir trente ans en arrière pour revoir un tel résultat dans l’Hexagone. Le vétéran « Jicé » Péraud (37 ans), seulement septième avant d’attaquer les Alpes, pro depuis quatre ans et demi, s’est permis de doubler petit-à-petit tout le monde pour finir deuxième grâce à un chrono convainquant. Un résultat mérité pour l’ingénieur de formation, tant il fut le seul parmi les leaders capable de suivre quelque peu Nibali en montagne.

Péraud juste après son chrono, où il grimpe à la deuxième place du général. © A.Thomas-Commin (Twitter)

Péraud, juste après son chrono © A.Thomas-Commin (Twitter)

Mais la révélation vient surtout de Thibault Pinot (24 ans), troisième et maillot blanc du meilleur jeune. Après un Tour raté en 2013, le jeune espoir français a animé la course en altitude, se permettant même de coiffer Nibali dans le Port de Balès lors de la première étape des Pyrénées. Plus important, il a montré lors du contre-la-montre qu’il avait la maturité nécessaire pour performer dans un grand tour, ayant réussi à faire craquer Valverde, pourtant champion d’Espagne de la discipline. Il a également fait voir qu’il avait vaincu sa peur des descentes, se permettant souvent de prendre les devants dans le groupe du maillot jaune afin d’assurer le tempo.

Avec quatre autres coureurs français dans le top 20, le maillot jaune de Tony Gallopin, la victoire d’étape de ce dernier à Oyonnax et celle de Blel Kadri au-dessus de Gérardmer, ces performances n’augurent que du bon pour le cyclisme tricolore, qui peut espérer un peu plus reconquérir une Grande Boucle qui lui manque tant depuis le succès de Bernard Hinault en 1985.

Comme pour chaque Tour, la question difficile du dopage se doit d’être abordée à l’heure du bilan. Et étant donné l’histoire récente du cyclisme, nul doute qu’il soit pertinent de partir avec une présomption de culpabilité plutôt que d’innocence. Toutefois, il existe de bonnes raisons d’espérer. Bien que l’un des plus rapides de l’Histoire – même si j’ai des doutes sur une classification basée uniquement sur la vitesse moyenne, tant la difficulté, les coureurs et leur matériel ont évolué – j’ai personnellement eu l’impression de voir un Tour plus humain, peut-être en raison de la victoire de l’équipe AG2R-La Mondiale au classement par équipe, et de la bonne performance d’athlètes dignes de confiance tels que Pérault ou Bardet.

Forcément, la performance de Nibali interroge : nul part le Requin de Messine a-t-il semblé en difficulté, et certains ont émis des doutes quant aux watts produits par l’Italien dans les montées du Risoul et d’Hautacam2, bien que de nombreuses incertitudes existent sur le bien-fondé de ces mesures3. Plus rassurant, l’équipe Astana a semblé bien loin d’être invincible, laissant Nibali souvent seul en montagne, au contraire de ses adversaires, souvent bien accompagnés. Le contraste avec la feu U.S. Postal de Lance Armstrong est flagrant, à l’époque où cette dernière dynamitait les courses, ici en sprintant (!) au pied de l’Alpe d’Huez lors du Tour 2003 :

À l’image de Péraut, on a également vu des coureurs beaucoup plus calmes et maîtrisant leur effort consciencieusement, un style bien loin des attaques à renversement des années Armstrong (par exemple, voir à la 13ème minute de la vidéo ci-dessus), probablement bien plus épuisantes psychologiquement et physiquement à parcours égal. Rappelons également que jusqu’à ce jour, Nibali n’a jamais été impliqué de prêt ou de loin dans une affaire de dopage, et s’est toujours positionné en tant que porte-drapeau de la lutte antidopage4. Enfin, contrairement à Froome qui s’est révélé soudainement, Nibali possédait déjà un solide palmarès, ayant déjà remporté la Vuelta (2010, deuxième en 2013) et le Giro (2013, deuxième en 2011). Il y a donc des raisons d’espérer, et de voir ce Tour comme celui d’un renouveau, même si un devoir de réserve s’impose.

Renouveau il y a eu toutefois chez les jeunes, qui ont animés la course de part et d’autres. On a déjà mentionné Pinot (24 ans), troisième et meilleur jeune. Toujours chez les tricolores, Romain Bardet (23 ans) est sixième et a occupé la troisième place à l’entrée des Pyrénées. Il a été doublé pour deux secondes par un autre jeune, l’Américain Tejay Van Garderen (25 ans), auteur d’un remarquable chrono, tout comme le Tchèque Leopold König (27 ans), septième. Et que dire du Polonais Rafal Majka (24 ans), incontestable maillot à pois avec deux victoires et deux deuxièmes places (derrière l’intouchable Nibali) dans les arrivées en col, le tout avec un Giro encore dans les jambes ?

Les cyclistes atteignant généralement leur apogée autour de la trentaine, voilà qui est de bon augure pour les grands tours à venir – et si Froome et Contador parviennent à rester sur leurs vélos, l’édition 2015 du Tour s’annonce déjà épique. Ce d’autant plus si des coureurs comme Tony Martin, auteur de deux superbes solos lors de la neuvième étape et du contre-la-montre, peuvent démontrer à nouveau l’étendue de leur talent, et la beauté d’un sport qui a souffert pour peut-être mieux rebondir.


 

1http://www.lequipe.fr/Cyclisme-sur-route/Actualites/Nibali-l-ultra-domination/485151

2http://www.lemonde.fr/tour-de-france/article/2014/07/25/nibali-dernier-surhumain-avec-ses-417-watts_4462718_1616918.html

3http://www.lexpress.fr/actualite/sport/tour-de-france-2013-l-estimation-des-watts-c-est-de-l-enfumage_1266762.html

4http://sport24.lefigaro.fr/cyclisme/tour-de-france/fil-info/nibali-et-le-dopage-705483

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