Ce dimanche, la population suisse se prononcera sur l’initiative « Oui à l’interdiction de se dissimuler le visage » promue par l’UDC. Dans cet article, Meriam Mastour, fer de lance de l’association des Foulards Violets, cherche à démontrer le caractère à la fois islamophobe et sexiste de cette proposition.

Le 7 mars prochain, nous voterons sur l’interdiction de se dissimuler le visage dans l’espace public. Si le peuple est aujourd’hui appelé à se prononcer sur cela, c’est parce que l’Union démocratique du centre (UDC) a jugé la question comme prioritaire pour le vivre ensemble en Suisse, et qu’elle estime devoir libérer les femmes musulmanes de la contrainte des hommes musulmans.

Mais que disent les chiffres et les études ? En Suisse, on dénombre seulement 20 à 30 femmes portant le niqab (faussement appelée burqa¹), soit environ 0.0007% des femmes suisses². Ont-elles été forcées ? Selon Mallory Schneuwly-Purdie, sociologue des religions, et Andreas Tunger-Zanetti³, islamologue à l’Université de Lucerne, ces quelques femmes qui portent la burqa sont principalement des Suissesses converties qui choisiraient leur vêtement librement. C’est le même constat qu’a fait Agnès de Feo⁴, sociologue française, qui a suivi 200 femmes portant une burqa sur 10 ans : le niqab correspondrait à leur piété et à leurs convictions, à la façon dont elles se sentent en public par rapport à leur corps, ou même parfois c’est pour elles un atout afin de trouver un époux. Pas de contrainte, donc. Par contre, si l’initiative passe, on contraindra les femmes à se découvrir, en leur infligeant une amende. Toute l’absurdité de cette initiative jaillit : punir des victimes (réelles ou présumées), et non des bourreaux.

Dernier point intéressant : les partisan·e·s de l’initiative avancent souvent l’argument qu’il faudrait interdire la burqa en Suisse pour soutenir les femmes obligées de la porter dans certains pays. Pourtant, les femmes de ces pays le disent clairement : « Nous avons quitté nos foyers pour fuir l’oppression, notamment les persécutions fondées sur le genre. Il est donc pour le moins ironique que nous nous retrouvions aujourd’hui à lutter contre des violations de nos droits dans notre pays d’asile. Au Pakistan et en Afghanistan, et désormais en Suisse, des forces conservatrices font pression sur le gouvernement pour restreindre l’autonomie et la liberté vestimentaire des femmes. »⁵ Mais si ce n’est pas pour des motifs féministes, que cache l’initiative de l’UDC ?

À travers cette initiative, on a une vision stéréotypée des musulman·e·s de Suisse : les débats tournent autour de l’islam politique, radical, du terrorisme, du voile. On réalise alors que le sujet de la burqa (comme celui des minarets en son temps) n’est finalement qu’un prétexte pour parler de la place des musulman·e·s et de l’islam dans notre société. C’est donc une initiative clairement discriminatoire envers une population en particulier. Les causes et les conséquences de ce racisme sont nombreuses : en diabolisant les hommes arabo-musulmans, en enfermant les femmes musulmanes dans un statut de victimes incapables de penser par elles-mêmes, en faisant un parallèle direct entre burqa et violence (voir les affiches de l’UDC⁶), on légitime de facto les violences à l’égard des personnes perçues comme musulmanes dans la rue, dans les contrôles de police, les arrachages de foulard et autres injures et crachats. Les citoyen·ne·s les plus zélés se sentent ainsi légitimé·e·s de rendre justice contre une menace fantasmée.

Pourtant, les inégalités pour les femmes sont réelles en Suisse. Violences domestiques : une personne meurt chaque mois des conséquences de la violence domestique qui touche majoritairement les femmes⁷. Violences sexuelles : une femme sur cinq a déjà subi des violences sexuelles en Suisse⁸. Inégalités salariales : par rapport à celle d’un homme, la fiche de salaire d’une femme en Suisse est inférieure en moyenne de 18,3 %, par mois. Etc. Les femmes qui portent un foulard vivent toutes ces violences et inégalités, mais également des discriminations et violences supplémentaires liées au tissu qu’elles portent sur la tête, et légitimées par des politiques racistes et sexistes telle que l’initiative anti-burqa. C’est en effet les femmes qui sont les principales victimes de l’islamophobie (70% selon les chiffres français⁹). La lutte contre l’islamophobie est donc définitivement une lutte féministe à part entière.

Ceci explique l’énorme front féministe et antiraciste qui a secoué la Suisse depuis ces dernières semaines. Les collectifs de la Grève féministe, les Foulards Violets, Operation Libero, Amnesty international, Alliance F, etc., se sont clairement positionnés contre l’initiative, ont mené campagne en préparant des visuels, en organisant des tables-rondes, en décortiquant les arguments, et ont recentré les débats et dépassé les peurs infondées du comité d’initiative. Cet élan a su redonner aux musulman·e·s de Suisse un espoir en un État plus juste dans lequel la société civile ne cède pas au populisme sans résistance.

Références :

1. Niqab, hidjab, burqa : des voiles et beaucoup de confusions (lemonde.fr)

2. Andreas Zunger Zanetti, Un débat truffé de contradictions, Le Courrier, 26 février 2021 (article de Dominique Hartmann).

3. Verhüllung (Cacher son visage – le débat anti-burqa en Suisse), Andreas Tunger-Zanetti avec la collaboration de C. Niggli, A. Petrino, N. Marchon, J. Meier, L. Wurmet, éditions Hier und jetzt, 2021.

4. Derrière le niqâb. Dix ans d’enquête sur les femmes qui ont porté et enlevé le voile intégral, Agnès de Féo, éditions Armand Colin, 2020

5. https://www.swissinfo.ch/fre/-nous-refusons-que-le-gouvernement-restreigne-notre-libert%C3%A9-vestimentaire-/46396658?fbclid=IwAR0gy2b_ypfhAXKZZqoKHiZj7gpAifgLqrhskHtyizMc2bLY9mw-iaj4cBI

6. https://images.app.goo.gl/27EMGZhRnX1VSbjo8

7. https://www.rts.ch/info/suisse/11581796-une-femme-meurt-chaque-mois-en-suisse-sous-les-coups-de-son-conjoint.html

8. https://www.rts.ch/info/suisse/10449612-une-femme-sur-cinq-a-deja-subi-des-violences-sexuelles-en-suisse.html

9. Rapport 2019 du collectif contre l’islamophobie en France CCIF: https://www.islamophobie.net/wp-content/uploads/2019/03/Rapport-CCIF-2019.pdf