International Le 26 août 2012

Qui a peur de l’Homme perse? Déconstruction de la psychose autour du nucléaire iranien [Partie 2]

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Qui a peur de l’Homme perse? Déconstruction de la psychose autour du nucléaire iranien [Partie  2]

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PARTIE 1 : INTRODUCTION

PARTIE 2 : RÉTABLIR UNE CERTAINE VÉRITÉ

Lorsqu’on aborde une thématique aussi sensible que celle du nucléaire iranien, les passions sont inévitablement très vite attisées, d’où la nécessité absolue de distinguer les faits de la pure spéculation. Par souci d’honnêteté intellectuelle, il paraît dès lors fondamental de mettre à plat ce que l’on sait, mais aussi et surtout d’admettre ce que l’on ne sait point au sujet du programme nucléaire iranien, avant de se lancer dans toute réflexion approfondie. Un bref tour d’horizon révèle aussitôt que certains éléments cruciaux sont souvent déformés, inventés ou alors tout simplement occultés par la mémoire sélective de certains chantres d’une politique dure vis-à-vis de l’atome perse. C’est pourquoi nous souhaitons brosser ici un panorama objectif, bien qu’inévitablement non exhaustif, permettant de construire une analyse exempte de préjugés.


L’histoire méconnue de l’atome perse

D’un point de vue historique tout d’abord, certains éléments méritent d’être rappelés. Le programme nucléaire fut amorcé par le Shah d’Iran dans les années 1950 déjà, dans un but de modernisation et de progrès. A l’époque, dire que peu de voix s’élevaient en Occident pour s’indigner de ce projet relève de l’euphémisme.1 En effet, c’est avec l’aide directe des États-Unis, alors alliés de l’Iran, puis de certains États européens, que ce programme put voir le jour. Certains néonconservateurs, dont les tristement célèbres Dick Cheney, Donald Rumsfeld et Paul Wolfowitz, en étaient d’ailleurs de fervents promoteurs.2 Après la révolution iranienne de 1979 et l’avènement du régime islamiste, le nucléaire iranien connut un coup d’arrêt. C’est l’ayatollah Khomeiny lui-même qui, pour des raisons d’ordre religieux, interrompit la construction des centrales et prohiba la poursuite de toute activité nucléaire en terre iranienne.3

Ce n’est que pendant la guerre contre l’Irak (1980-1988) que l’Iran initia la reprise de son programme. Une fois l’orage de la guerre passé, le gouvernement iranien, mu par un certain pragmatisme, décida de ne pas abandonner des investissements gargantuesques en l’état et de terminer la réalisation des infrastructures nucléaires déjà entamées.4 Bien qu’on puisse légitimement concevoir qu’à l’époque les motivations iraniennes incluaient probablement des considérations militaires défensives, notamment après l’attaque à l’arme chimique par l’Irak,on constate aisément qu’on se situe très loin de la vision manichéenne d’un régime fanatique cherchant à tout prix à se doter de l’arme atomique dans un but belliqueux. C’est à partir de cette relance du programme nucléaire qu’une regrettable conjonction d’erreurs, commises tant par des Occidentaux arrogants que par des Iraniens peu transparents, conduisit à la périlleuse crise actuelle.6


Une situation incertaine

Mais alors, qu’en est-il aujourd’hui? Avant tout, un point doit impérativement être éclairci. Contrairement à ce que laissent entendre certains faussaires, il n’y a actuellement aucune preuve tangible que l’Iran poursuive un programme nucléaire de nature militaire.7 En effet, l’ensemble des services de renseignement américains, dont la CIA, le FBI et le renseignement militaire, ont conclu avec un “haut degré de certitude”, dans deux rapports (National Intelligence Estimates) publiés en 2007 et 2011, que l’Iran n’avait pas de programme d’armement nucléaire actif. Les services secrets israéliens seraient également parvenus à la même conclusion.8

Si certains éléments accréditent la thèse selon laquelle le régime iranien aurait travaillé à la mise au point de l’arme atomique avant 2003, même l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), de plus en plus critique vis-à-vis du régime des mollahs, s’est bien gardée de conclure à l’existence d’un tel programme.9 Malgré ce manque de preuve criant, certains « experts » se sont depuis longtemps lancés dans une campagne massive de désinformation, nous prédisant depuis une dizaine d’années que l’Iran est à quelques mois de posséder la bombe atomique. A force de menacer Téhéran, peut-être arriveront-ils à réaliser leur prophétie cette année…

Du coté iranien, on conteste fermement le fait que le programme nucléaire comprenne une quelconque dimension militaire. Les dirigeants perses se prévalent de l’article 4 du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) dont l’Iran est signataire, qui leur garantit le “droit inaliénable […] de développer la recherche, la production et l’utilisation de l’énergie nucléaire à des fins pacifiques”.10 La dimension non-belliqueuse du programme iranien semble d’ailleurs corroborée par la prise de position officielle du Guide suprême, l’ayatollah Khamenei, contre l’arme atomique qu’il juge contraire à l’Islam.11 Cette posture, cohérente avec celle initialement maintenue par l’ayatollah Khomeiny, est d’autant plus importante qu’il est le décideur clé en charge de la politique de sécurité du pays, et que ses fatwas ont pour beaucoup une valeur contraignante.12 Nul ne sait si ceci relève de la manipulation, mais il est certain que jouer avec la foi des croyants pourrait s’avérer très dangereux pour un régime dont la légitimité repose largement sur la religion.13

Ceci dit, le Traité de non-prolifération spécifie également dans son article 2 que les États parties au traité s’engagent à ne pas fabriquer la bombe atomique ou à se la procurer de toute autre manière.14 Or, et c’est là où le bât blesse, les activités nucléaires iraniennes ne sont pas totalement justifiables d’un point de vue civil. C’est la raison pour laquelle la République islamique d’Iran éveille nombre de soupçons. Comme l’explique bien Olli Heinonen, ex-chef des inspecteurs internationaux de l’AIEA, considéré comme l’un des meilleurs spécialistes du nucléaire iranien, la quantité d’uranium enrichi à 20% par l’Iran “dépasse ses besoin civils”.15 De surcroît, les suspicions prennent une tournure d’autant plus dramatique qu’enrichir de l’uranium à 20% constitue 90% de l’effort d’enrichissement nécessaire à obtenir de l’uranium utilisable pour une bombe. Néanmoins, construire une bombe nucléaire est un processus d’une extrême complexité technologique, et on peut douter de la capacité de l’Iran à mener à bien une telle entreprise à l’heure actuelle.


Vers une capacité nucléaire virtuelle?

Comme le souligne Georges Le Guelte, directeur de recherche et éminent spécialiste des questions nucléaires, même si aucune preuve formelle que l’Iran cherche à développer la bombe atomique n’existe à ce jour, il y a un faisceau de présomptions convergentes montrant que le nucléaire civil ne peut légitimer les activités iraniennes. Mais cela veut-il nécessairement dire que l’Iran s’est lancé dans une course effrénée à l’arme nucléaire? Non, pas forcément. Une autre explication est, selon nous, plus plausible.

S’engager dans la fabrication à proprement parler de la bombe atomique s’avèrerait particulièrement imprudent pour l’Iran, tant les risques encourus en cas de flagrant délit seraient colossaux. En effet, Pascal Boniface, directeur de l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS), estime qu’en cas de découverte de telles activités, Téhéran s’exposerait à une “frappe décapitante”.16 Il paraît donc plus probable que l’Iran cherche à se doter d’une capacité nucléaire virtuelle. Concrètement, il s’agirait en quelque sorte d’une option latente qui lui permettrait – technologiquement et matériellement – de construire une bombe nucléaire relativement vite si les dirigeants iraniens en décidaient ainsi. C’est d’ailleurs également l’intuition de Stephen Walt, professeur émérite de l’Université d’Harvard.17

En admettant que tel soit le cas, serait-ce illégal par rapport à la lettre et l’esprit du Traité de non-prolifération? Un débat fait rage à ce propos. Alors que Ahmadinejad martèle le droit de l’Iran à enrichir l’uranium à 20%18 en vertu des règles internationales, les Occidentaux, avec les États-Unis et Israël en tête de file, ne cessent pas de répéter que Téhéran contrevient à ses obligations. A priori, l’Iran a le droit d’enrichir l’uranium pour son programme nucléaire civil19 et aucun taux plafond d’enrichissement n’a été fixé.20 Toutefois, ces activités devraient impérativement être réalisées sous le contrôle stricte de l’AIEA,21 et c’est précisément sur ce point que le régime iranien a probablement le plus à se reprocher, en raison de son manque de transparence.

La semaine prochaine :

Quoiqu’il en soit en termes de légalité, et quand bien même l’existence d’un programme nucléaire militaire en Iran serait établie, il conviendrait de s’interroger sur sa rationalité d’un point de vue géostratégique. C’est à cette question que sera consacré notre épisode de la semaine prochaine. Nous verrons qu’à moult égards, les dirigeants iraniens pourraient s’avérer bien plus rationnels que ce que s’imagine communément l’opinion publique.

PARTIE 3 : NON-ALIGNÉ MAIS PAS FOU À LIER


1 VÉDRINE, Hubert, “Iran : comment éviter d’avoir à choisir entre la bombe et les bombardements”, Telos, 28 septembre 2007. Disponible sur : http://www.teloseu.com/fr/globalisation/politiqueinternationale/irancommenteviterdavoirachoisirentrelabomb.html

2 HAAS, Ed, “U.S. endorsed Iranian plans to build massive nuclear energy industry : Cheney Rumsfeld & Wolfowitz behind Iran Nuclear Program initiated during Ford Administration”, Center for Research on Globalization, 6 mars 2006. Disponible sur : http://www.globalresearch.ca/index.php?context=va&aid=2067

3 LE GUELTE, Georges, “La crise nucléaire iranienne”, geopolitis.net, p. 6. Disponible sur : http://www.geopolitis.net/EUROPE%20EN%20FORMATION/La%20crise%20nucleaire%20iranienne.pdf

4 Le Guelte, Georges, op. cit. pp. 6-9.

5 Védrine, Hubert, op. cit.

6 Cf. pour plus de details : Le Guelte, op. cit.

7 LEUPP, Gary, ““The Stupidest Idea I Ever Heard” : The Irrationality of the Case against Iran’s Nuclear Program”, Counterpunch.org, 12 avril 2012. Disponible sur : http://www.counterpunch.org/2012/04/12/theirrationalityofthecaseagainstiransnuclearprogram/

WALT, Stephen, “Top ten media failures in the Iran war debate”, Stephen Walt’s blog (walt.foreignpolicy.com), 11 mars 2012, disponible sur : http://walt.foreignpolicy.com/posts/2012/03/11/top_ten_media_failures_in_the_iran_war_debate

Le Guelte, op. cit. p. 9.

8 Leupp, Gary, op. cit.

9 COVILLE; Thierry, “La bombe nucléaire pour l’Iran : pas forcément si dangereux”, Atlantico, 4 juillet 2004. Disponible sur : http://www.atlantico.fr/decryptage/bombenucleairepouriranpasforcementdangereuxthierrycoville-409010.html

Walt, Stephen, op. cit.

10 Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), Article 4

11 Walt, Stephen, op. cit.

12 COLE, Juan, “Yes, MEMRI, there is a Fatwa from Khamenei forbidding Nukes”, Informed Comment (juancole.com), 22 avril 2012, Disponible sur : http://www.juancole.com/2012/04/yesmemrithereisafatwafromkhameneiforbiddingnukes.html

COLE, Juan, “Iran’s Forbidden Nukes and the Taqiya Lie”, Informed Comment (juancole.com), 16 avril 2012. Disponible sur : http://www.juancole.com/2012/04/iransforbiddennukesandthetaqiyalie.html

13 Walt, Stephen, op. cit.

14 TNP, Article 2

15 HEINONEN, Olli, “The 20 percent solution”, Foreign Policy, 12 janvier 2012, Disponible sur : http://www.foreignpolicy.com/articles/2012/01/11/the_20_percent_solution

16 Interview de Pascal Boniface par Henri Guirchoun et Jean-Baptiste Naudet, “Faut-il avoir peur de la bombe iranienne ?”, Le Nouvel Observateur, 18 juin 2009.

17 Walt, Stephen, op. cit.

18 “Iran: enrichir de l’uranium à 20% est un « droit », selon Ahmadinejad”, L’Express, 30 mai 2012. Disponible sur http://www.lexpress.fr/actualite/monde/procheorient/iranenrichirdeluraniuma-20-estundroitselonahmadinejad_1120652.html

19 COTTA-RAMUSINO, Paolo, HASSNER, Pierre et NORLAIN, Bernard, “Nuclaire iranien : toute attaque préventive serait une erreur fatale”, Le Monde, 18 avril 2012. Disponible sur : http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/04/18/nucleaireiranientouteattaquepreventiveseraituneerreurfatale_1687114_3232.html

20 Interview Olli Heinonen par Luis Lema, “Où en est l’enrichissement d’uranium?”, Le Temps, 4 mai 2012. Disponible sur : http://www.letemps.ch/Page/Uuid/2c8c7a72-955f-11e1-ae85-1bcf5ec975f8%7C0

21 Ibid.

Commentaires

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Amedar

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Amedar

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Stefano Gennai

la loi du plus fort est toujours la meilleure. A quoi on joue dans cette partie du monde qui n’arrive même pas a mettre fin a leur querelle interne.

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