Migrations Le 26 avril 2017

La détention offshore des requérants d’asile: une pratique australienne qui déteint sur l’Europe

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La détention offshore des requérants d’asile: une pratique australienne qui déteint sur l’Europe

© Dessin d’Hani Abbas

Un article récent du Daily Telegraph est passé presque inaperçu. Ellen Whinnet du News Corp Australia Network y expliquait qu’au moins six pays européens auraient récemment demandé conseil à l’Australie pour stopper les traversées en Méditerranée. Les discussions privées ont eu lieu malgré les dénonciations répétées de l’Union européenne contre les refoulement systématiques des requérants d’asile arrivant par bateau en Australie et contre leur détention offshore sur l’île de la République indépendante de Nauru et de celle de Manus en Papouasie Nouvelle Guinée1.

En novembre 2016, l’Australie aurait même envoyé des membres hauts-placés de la Force frontalière (Border Force) à Varsovie en Pologne afin de discuter avec des “agences européennes de protection des frontières” et trouver des solutions pour bloquer les arrivée de bateaux en Italie et en Grèce. Peter Dutton, Ministre australien de l’Immigration et de la protection des frontières, a confirmé des contacts sur ce sujet avec le Royaume-Uni, l’Autriche et d’autres gouvernements qui voient dans la méthode australienne la meilleure solution pour arrêter les arrivées des personnes migrantes en Europe.

 

La CPI peut empêcher l’exportation du modèle australien

L’Australie ignore depuis longtemps les condamnations des différentes instances de l’ONU2. Ce pays fait aujourd’hui l’objet d’une plainte à la Cour pénale internationale (CPI) pour crime contre l’humanité. Soumise en février 2017 par des juristes de la Faculté de droit de Stanford et du Global Legal Action Network, il faudra probablement attendre un an avant de savoir si le procureur décide d’ouvrir une enquête. La plainte est très détaillée sur les abus physiques et sexuels commis à l’encontre des requérants enfermés dans ces centres depuis plusieurs années. Elle précise le caractère systématique et arbitraire des détentions et insiste sur la violation par l’Australie du principe de non-refoulement des réfugiés.

Un expert juridique constatait récemment que cette plainte représentait “un enjeu d’opportunité pour la CPI qui pour l’instant s’est concentrée sur les pays africains”. Mais en choisissant de donner suite à cette saisine, la CPI lancerait aussi un signal fort vers les Etats européens qui utilisent, de plus en plus, la détention comme outil de contrôle de la migration.

 

L’Europe se ferme et enferme

A l’inverse de l’Australie, l’Europe peut compter sur un cadre juridique fort en ce qui concerne la protection des droits fondamentaux des requérants d’asile grâce au pouvoir contraignant de la Cour européenne des droits de l’homme. C’est un barrage important contre les abus mais les partis populistes en Europe ont le vent en poupe et font des allusions régulières en faveur d’une sortie de l’Union européenne et en faveur d’une dénonciation de la Convention européenne des droits de l’homme.

De son côté, l’Union européenne a pris trois mesures importantes pour gérer la crise migratoire: elle a donné plus de pouvoir à l’Agence Frontex3, elle a encouragé la détention des requérants d’asile en Italie et en Grèce et elle a signé des accords contestés avec des pays non-européens (Turquie et Libye) pour contrer les arrivées de personnes migrantes.

L’ouverture de centres Hotspots sur les îles grecques et en Italie a, sans aucun doute, lancé l’ère de la détention en Europe. Et les mauvaises nouvelles dans d’autres pays s’accumulent depuis le début de l’année. La Pologne qui pratique depuis novembre 2015 la détention des requérants d’asile sans papiers souhaite suivre les traces de la Hongrie qui vient de décider la détention systématique des requérants d’asile dans des camps fermés à la frontière serbe, à Röszke et à Tompa.

En décembre 2016, des rapports confidentiels obtenus par le Financial Times  accusaient les ONG privées chargées des sauvetages en Mer Méditerranée, de collusion avec les passeurs. Accusées à nouveau en février 2017 d’être responsables d’encourager les trafiquants, il est probable que ces organisations soient bientôt limitées dans leurs actions de sauvetage. Enfin, l’Union européenne vient de promettre un soutien financier aux autorités libyennes pour la gestion des centres de détention et la formation des gardes-côtes libyens. Ces derniers sont régulièrement accusés de collusions avec les trafiquants et de mauvais traitements envers les personnes migrantes interceptées au large des côtes.

Ainsi tout porte à croire que l’Europe est inspirée par l’Australie. Sa stratégie s’apparente de plus en plus aux procédés australiens et inquiète les institutions onusiennes qui craignent des refoulements automatiques de requérants d’asile vers la Libye puis vers leur pays d’origine. Heureusement, la protection des droits fondamentaux des requérants d’asile en Europe est assurée par la Cour européenne des droits de l’homme dont la jurisprudence récente a fermement condamné la détention prolongée des personnes migrantes, leur mauvais traitement et leur refoulement forcés.

On peut rappeler deux affaires importantes: l’Affaire Ilias et Ahmed c. Hongrie (14 mars 2017) qui a condamné la détention abusive de deux requérants d’asile en zone de transit et l’Affaire Hirsi Jamaa et autres c. l’Italie (23 février 2012) qui concernait l’interception et le refoulement de migrants en haute mer et dans laquelle la Cour a précisé que la Méditerranée n’était pas une zone de non droit.

Mais la jurisprudence de la Cour ne s’applique qu’aux Etats parties et ceux qui décideraient de dénoncer la Convention européenne des droits de l’homme ne seraient plus soumis aux arrêts de la Cour. C’est pour cela que l’ouverture d’une enquête de la CPI pour examiner les conditions de détention à Nauru et Manus serait un signal de mise en garde à l’encontre de pays comme la Hongrie ou la Turquie qui ont émis le souhait de dénoncer la Convention européenne des droits de l’homme.

 

Cet article a été initialement publié sur Le temps des réfugiés, le blog de Jasmine Caye.

 


Références:

1. Depuis 2013, toutes les personnes interceptées sur mer sont déportées sur les îles de Manus (Papouasie Nouvelle Guinée) et de Nauru et n’ont aucun espoir d’être réinstallés sur le continent. Les centres regorgent d’enfants dont l’état médical et psychique est alarmant, les adultes s’immolent ou font la grève de la faim. La seule porte de sortie est le retour vers le pays d’origine ou vers le Cambodge qui a signé un accord de réinstallation avec l’Australie en 2015. La situation des réfugiés détenus dans ces centres a fait l’objet de nombreuse dénonciations de différentes instances de l’ONU et plusieurs enquêtes australiennes ont révélé les abus physiques et sexuels commis à l’encontre, de femmes, d’enfants et d’hommes dont la grande majorité, 70 à 80 %, obtiennent le statut de réfugiés. Le documentaire “Chasing Asylum” (Eva Orner) qui a été présenté au Festival du Film et Forum International sur les Droits Humains (FIFDH) montre l’horreur de la détention offshore et dénonce le caractère secret et inaccessible des centres.

2. L’Australie est partie à un nombre important de traités internationaux qui protègent les droits humains, notamment la Convention des réfugiés, la Convention contre la torture, la Convention internationale sur les droits civils et politiques, la Convention sur les droits de l’enfant parmi tant d’autres. Plusieurs instances de l’ONU ont condamné les refoulements systématiques et la détention offshore: le Haut Commissariat des Nations Unies pour les droits de l’homme,  le Comité des Nations Unies contre la torture, the le Rapporteur Spécial des Nations Unies contre la torture, le Rapporteur spécial des Nations Unies pour les droits humains des migrants et le HCR.

3. Le règlement adopté le 14 septembre 2016 transforme celle qui est chargée de la « gestion intégrée des frontières extérieures de l’Union » en Agence européenne de garde-côtes et de garde-frontières.

4. Dessin de Hani Abbas exclusivement pour cet article.

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