Sport Le 10 avril 2014

L’arbitre, cet éternel incompris du football

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L’arbitre, cet éternel incompris du football

Urs Meier, ex-arbitre international suisse, lors de Portugal-Angleterre à l’Euro 2004. Ses décisions lui vaudront des menaces de mort outre-Manche. © www.sportbild.bild.de

© www.theguardian.com

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« De la discussion jaillit la lumière », affirme ce proverbe indien. D’un optimisme cinglant, l’auteur de ce dernier ne s’était sans doute jamais confronté au football. Si tel avait été le cas, les mots auraient été vraisemblablement différents. Dès lors que le dialogue dériverait sur l’arbitrage du moins. Et sur les déconvenues qu’on lui assignerait. Il faut dire que la facilité réside en se réfugiant derrière ce « mal ». Nombreux sont ceux qui le voient même comme l’un des pires fléaux du football. Avec, au cœur de celui-ci, une impartialité qui, au goût du supporter, aurait disparu.

Par le manque de recul que génère la passion liée au football, les critiques à l’égard de cet arbitre – devenu pour certains esprits l’incarnation vivante de l’incompétence, voire, pour quelques radicaux, de la triche – peuvent se comprendre. Mais il serait ingénieux d’y adjoindre parfois une réflexion. Par exemple, sur les conditions de travail des directeurs de jeu, sur leur approche générale de l’arbitrage ou encore sur leur statut (rares sont les professionnels). D’où l’idée que, avec un minimum de recul et parfois un gros travail sur sa propre personne, le fléau n’est pas l’arbitrage, mais la discussion sur les décisions arbitrales.

Notre postulat ne peut alors être autre que le suivant : les décisions de l’arbitre ne se discutent pas. Cela, en plus d’être insignifiant, ne permet pas la réflexion. Au contraire, elle l’arrête et plonge l’amateur de foot dans un abrutissement qui ne lui permettra jamais de penser correctement un match.

L’arbitrage en football, comme dans quelques autres sports où le directeur de jeu n’est pas uniquement dans la logique binaire « avant ou après la ligne » (référence au tennis par exemple), est un domaine particulier et compliqué non seulement à pratiquer, mais également à juger. Il est du ressort de l’interprétation. La règle, telle qu’édictée par l’International Board, l’instance de la FIFA qui décide des règlements, est une chose, l’application en est une autre.

Le trailer du documentaire « Kill the Referee », réalisé en 2009 par Yves Hinant, Delphine Lehericey et Eric Cardot:

Entre règle et interprétation

Juger une faute est compliqué. Preuve en est, les avis tendent à diverger le plus souvent. Un nombre important de paramètres entre constamment en jeu et évolue de seconde en seconde. Où se trouve le joueur sur le terrain ? Qu’est-ce qu’il s’apprête à faire ? Y a-t-il une situation d’action de but ou est-ce une action anodine ? Les questions qui se trament en une fraction de seconde dans l’esprit de cet homme au sifflet sont abondantes et prétendre en donner une liste exhaustive serait illusoire. Avec le maximum d’informations dont il peut disposer à cet instant, il se doit d’interpréter l’action pour décider ensuite. À l’instar de n’importe quel spectateur au stade ou devant son écran (la décision en moins).

L’interprétation s’affirme comme la notion-clé de cet argumentaire. Chacun de nous s’y inscrit quand il émet un jugement sur une décision arbitrale. Chacun avec sa palette d’informations. L’arbitre ayant de plus que les autres la connaissance étendue des règles.

Une du quotidien madrilène AS, lundi 24 mars, qui qualifie le dernier Real Madrid-FC Barcelone d’une « Tempête de football », pour ses décisions arbitrales entre autres, et qui affiche l’opinion de Ronaldo, considérant que l’arbitre « n’avait pas le niveau pour une telle affiche ». © www.as.com

Une du quotidien madrilène AS, lundi 24 mars, qui qualifie le dernier Real Madrid-FC Barcelone d’une « Tempête de football », pour ses décisions arbitrales entre autres, et qui affiche l’opinion de Ronaldo, considérant que l’arbitre « n’avait pas le niveau pour une telle affiche ». © www.as.com

Car l’ignorance face aux lois du jeu est un fait, tant pour le suiveur lambda que pour le commentateur, tant pour le joueur que pour l’entraîneur ou le président. La « règle » dite du « dernier défenseur » (tant entendue et répétée) en est un merveilleux exemple, avec un carton rouge assigné au joueur qui commet une faute en position de dernier défenseur.
Lorsque la plupart avance cette donnée, il conviendrait de consulter de plus près la loi 12 du jeu. Celle-ci précise que, dans un tel cas, l’expulsion doit être donnée uniquement si l’arbitre considère que le joueur « annihile une occasion de but manifeste d’un adversaire se dirigeant vers son but en commettant une faute passible d’un coup franc ou d’un coup de pied de réparation ».1 La nuance est évidente, s’en imprégner écourterait les grandes condamnations de l’arbitre.

L’arbitre peut évidemment commettre des erreurs. Il n’empêche que cela n’arrive pas si régulièrement. En effet, dur de parler d’erreur de l’arbitre quand celui-ci ne fait qu’interpréter ce qu’il voit. Ce serait faire un procès de conscience.

La vidéo, l’erreur ultime

Ce qui m’amène à la seconde partie de cet exposé. Avec le sujet aisé, presque consensuel de la vidéo.

Il est vrai qu’il est facile de réclamer son introduction. On se voit tous, derrière son écran, après quatre ralentis, émettre son opinion dont la justesse nous semble indiscutable. On se dit que l’arbitre, avec cet outil, ne pourrait donc se tromper. Pourtant, il n’est pas rare d’être confronté à des situations où notre collègue a le même ressentiment avec un avis totalement différent. Cela semble fictif, or, la scène se renouvèle match après match. Et le biais partisan n’est pas la seule explication à cette divergence.

L’interprétation d’une situation de jeu ne constitue pas la vérité absolue, simplement la vérité du moment pour l’arbitre ou quiconque jugeant une action de jeu. Et elle diffère pour tous. Vidéo ou non, ralentis avec tous les angles possibles ou non. Une faute ne s’inscrit justement pas dans la logique binaire évoquée plus haut, il n’y a pas une seule vérité qui s’impose. La vidéo n’apporterait donc rien dans un cas pareil; référons-nous à la décision de l’arbitre, suivons-là ou rejetons-là, mais ne la contestons pas.

D’autant plus que la vidéo et ses ralentis ne diffusent pas des faits incontestables, avec une conclusion unique qui s’impose. Notamment parce que beaucoup de composants sont fréquemment bâclés. Les révélateurs de hors-jeu en sont la plus belle incarnation.
Là où il s’agit d’arrêter un ralenti au départ même du ballon, on se rend compte de la quasi-impossibilité de le faire au bon moment.2 Ou, avec un peu d’attention, on en arrive à s’apercevoir que la parallèle avec le terrain censée représenter la ligne du hors-jeu n’est pas respectée3, qu’elle n’est pas placée sur le dernier défenseur4 ou encore que l’angle de vue de la caméra est simplement inadapté pour émettre un jugement5.

Non, les images ne disent pas tout. Pire, il arrive qu’elles soient horriblement trompeuses. Comment se fier  à une technologie approximative donc ? On nous assure que la vidéo limiterait les erreurs, cela paraît bien prétentieux.

Comment s’attacher aux images transmises, mais surtout aux jugements des commentateurs ? Commenter les faits et gestes d’un joueur est une chose, commenter les décisions d’un arbitre en est une autre. La parole d’un journaliste-expert dans ce domaine n’a aucune valeur, pas plus que celle de Monsieur Tout-le-monde au stade ou dans son salon. Quelle légitimité y a-t-il à discuter des décisions arbitrales quand on n’est pas soi-même arbitre, sur le terrain, à un moment précis ? Une légitimité aussi élevée que discuter les décisions de justice quand on n’a pas à sa disposition tous les éléments de l’affaire, ni les compétences requises. L’arbitre est un acteur à part et le fait de jeu ne peut être discuté. Ce dernier est très rarement erroné et presque jamais complètement juste.

Qualifier un arbitre de bon ou mauvais sur la simple (si ce n’est simpliste) étude de ses décisions ne semble donc faire aucun sens. L’expression des qualités d’un directeur de jeu repose sur la maîtrise totale des paramètres de jeu (connaître les joueurs, se placer correctement, prendre en compte le déroulement de la rencontre entre autres). Il faut savoir aller plus loin que le jugement manifeste pour s’intéresser à des éléments plus abstraits, mais qui ont une réelle influence sur le jeu. Ainsi, discuter d’une façon d’arbitrer (laisser jouer par exemple) serait beaucoup plus pertinent et permettrait de développer une réflexion cohérente.

Des concessions nécessaires

Finalement, le seul élément pour lequel on pourrait admettre une critique d’une décision arbitrale est si le ballon a passé la ligne de but ou non ; le but même, la nature de ce sport en dépend. Comme au tennis où il faut marquer des points en restant entre les lignes, il faut, au football, inscrire des buts en franchissant une ligne de but. Et, sur cet aspect, et uniquement celui-ci, on peut donc comprendre que l’on cherche à minimiser les erreurs en augmentant le nombre d’arbitres ou en mettant au point certaines technologies, en s’assurant qu’elles soient réellement fiables (la vidéo n’apportant presque rien ici).

Un autre débat se lance alors sur la mise en place et l’intégration au sein du jeu de la technologie (système de challenge comme au tennis ou interruption du jeu par l’arbitre, avec toutes les conséquences que cela peut engendrer dans le rythme d’un match).

La technologie du Hawk-Eye, déjà utilisée en tennis, est installée depuis cette saison en Premier League. © www.theguardian.com

La technologie du Hawk-Eye, déjà utilisée en tennis, est installée depuis cette saison en Premier League. © www.theguardian.com

Mais, en attendant une technologie vraiment efficiente sur ce point-là (qui semble d’ailleurs être désormais arrivée), essayons quand même de conserver une certaine grandeur d’esprit et ne critiquons pas les décisions arbitrales. Pensons à étayer notre réflexion sur le jeu en soi, sur les équipes sur le terrain et leurs dispositions, sur les attitudes. Car, au fond, si on aime le football, ce n’est pas pour ce que fait l’arbitre de son sifflet mais plutôt ce que font des joueurs du ballon.


Bonus :

Kill the Referee, le documentaire en intégralité: https://www.youtube.com/watch?v=tpo6JS6RX2M

Dossier « Les règles et l’arbitrage », Les Cahiers du Football: http://www.cahiersdufootball.net/articles.php?id_article_theme=21

1. http://fr.fifa.com/mm/document/afdeveloping/refereeing/law_12_fouls_misconduct_fr_47380.pdf

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