Sport Le 2 mars 2016

Gianni Infantino, l’homme qui tombe à pic pour la FIFA?

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Gianni Infantino, l’homme qui tombe à pic pour la FIFA?

L’Italo-Suisse Gianni Infantino, surtout connu jusqu’à vendredi passé pour être l’homme des tirages au sort de l’UEFA. [Piotr Drabik/Flickr]

La Une était vite trouvée vendredi soir. Les chefs d’édition des divers quotidiens romands, suisses voire internationaux n’ont pas dû hésiter longtemps. Faire du crâne chauve de Gianni Infantino la tête d’affiche du jour allait de soi pour beaucoup d’entre eux. Forcément, il y a ceux qui jouent avec les concepts d’identité pour susciter l’adhésion, la confiance, la proximité ou la vente. Infantino est valaisan pour Le Nouvelliste, suisse pour Le Temps ou même « italien » pour La Gazzetta dello Sport (il possède la double nationalité). Il y a aussi ceux qui n’hésitent pas à cacher leur emballement. Quand Le Matin parle d’ « espoir», le Blick, qui avait clairement pris parti pour lui la veille, titre « FIFAntino, un bon choix pour le football et pour la Suisse ». Soit.

Sauf que, au jour d’aujourd’hui, l’élection du Haut-Valaisan paraît s’assimiler à un concours de circonstances parfaitement maîtrisé. Et, surtout, son incidence sur la réhabilitation de la FIFA demeure un flou dont la moindre trace de netteté reste discutable. Au milieu donc des commentaires plus ou moins positifs (et motivés), il s’agit de trouver des indices concrets qui permettent de se positionner face à ce nouveau boss que le football s’est choisi.

 

Le moins pire

Dans un premier temps, et il est important de le signaler, Gianni Infantino président de la FIFA, c’est un véritable « ouf » de soulagement. Un salutaire amalgame entre idées acceptables et respect des pronostics. Car si tous les candidats ou presque se rejoignaient sur des principes communs (transparence, ouverture, développement, etc.), avec le seul Jérôme Champagne à avoir élaboré un réel programme détaillé, ils n’étaient que deux à pouvoir réellement briguer le poste. Infantino d’un côté, le cheik bahreïni Salman Bin Ibrahim Al-Khalifa, président de l’AFC (Confédération asiatique de football), de l’autre. Et à ce petit jeu-là, bien que le second nommé ait jusqu’au dernier moment eu les faveurs des bookmakers, le Suisse paraissait le seul acceptable. Ne serait-ce que d’un point de vue éthique. En effet, en 2011, lorsque le vent du « Printemps arabe » a soufflé brièvement jusqu’à Bahreïn, plusieurs athlètes contestataires du pouvoir se sont retrouvés derrière les barreaux1. Salman était alors secrétaire général du ministère des Sports de son pays. S’il a toujours réfuté être à l’origine des arrestations, évincer tout soupçon de complicité reste compliqué.

Et c’est sans doute ce qui a pu jouer un rôle décisif dans l’élection du 26 février. L’idée de voir un personnage à l’intégrité discutable présider la FIFA a refroidi de nombreux électeurs dans le money time. Face à ce profil, il est vrai que celui d’Infantino paraissait beaucoup plus lisse. On lui a trouvé bien peu de casseroles, si ce n’est d’être un proche de Michel Platini. Ou encore le fait d’avoir pu jouir d’une enveloppe d’un demi-million d’euros mise à disposition par l’instance européenne pour faire campagne, et notamment pour louer un jet privé qui lui a permis de traverser le monde avec ses conseillers2. Une attitude tout de même un peu plus fidèle aux règles de la démocratie que celle du membre de la famille royale bahreïnie.

 

Un réformateur ?

L’élection acquise, le trône habité, se posent dorénavant des questions quant à la ligne que va chercher à imposer Gianni Infantino. On le dit plutôt réformateur. Il faisait notamment partie de la commission externe menée par Me François Carrard qui a élaboré un paquet de réformes. Ce dernier a été accepté lors du même Congrès de la FIFA, quelques heures avant l’élection. Quoiqu’il en soit, il n’aura d’autres choix que de les implémenter rapidement.

Notons toutefois que si ces mesures tranchent avec les habitudes prises à la FIFA, ils sont beaucoup à estimer qu’elles ne vont pas assez loin. Le président et les membres du Comité exécutif (désormais appelé Conseil) n’auront désormais droit plus qu’à trois mandats de quatre ans. Leurs salaires seront publics et ils devront se soumettre à des tests d’intégrité renforcés. Ajoutons une plus grande représentation des acteurs du football et une séparation entre les pouvoirs politiques et ceux ayant trait à l’administration et aux finances, et on a plus ou moins le compte. Une base théorique à laquelle Infantino devra donc rapidement se soumettre, et il a assuré qu’il le fera. À voir s’il sera capable d’aller encore plus loin.

 

Infantino fait du Blatter

Durant sa campagne, celui qui est désormais l’ex-secrétaire général de l’UEFA a également fait d’autres promesses. Parmi elles, une concerne le développement. Les plus petites fédérations devraient voir leurs aides allouées augmenter sensiblement. Un engagement qui n’est pas sans rappeler ceux de João Havelange (qui avait tout simplement racheté les cotisations de treize associations africaines afin qu’elles votent pour lui en 19743), mais surtout de Sepp Blatter. Le président aujourd’hui déchu s’était spécialisé dans le soutien aux plus mineures fédérations pour parfaire sa popularité et se maintenir à son poste. Infantino, considéré initialement comme européo-centré et pantin de l’UEFA, a rapidement assimilé la combine, parfaitement louable au demeurant dans la visée d’un football égalitaire et universel.

Mais les liens entre l’ex et le nouveau ne s’arrêtent pas à ça, ni aux quelques kilomètres qui séparent leurs communes respectives de Viège et de Brigue. Nombreux sont depuis le week-end passé les journalistes proches des affaires de la FIFA à évoquer le soutien secret de Blatter à Infantino. Envisager que Blatter ait pu discrètement souffler le nom de son compatriote à quelques votants et amis de longue date ne semble pas être qu’un fantasme aux allures complotistes.

Car, c’est un fait, Infantino sait plutôt bien s’entourer. Très bien même. On lui prête le soutien de Vitaly Mutko, membre du Conseil de la FIFA, président du comité d’organisation de la Coupe du monde 2018 en Russie et ministre des Sports de son pays (et accessoirement directement impliqué dans les affaires de dopage qui ont touché la Fédération russe d’athlétisme ces derniers mois). Autre proche influent, le président de l’US Soccer (la Fédération des Etats-Unis de football) Sunil Gulati. Le média américain Sports Illustrated a révélé le rôle central tenu par ce dernier dans l’élection4. Dans un premier temps, Gulati, également membre du Comité exécutif de la FIFA, avait affirmé soutenir le Prince Ali de Jordanie, ce qu’il a fait lors du premier tour de vote. Mais il s’est rapidement tourné vers Infantino pour le second tour décisif. Et a profité de l’entre-deux-tours pour persuader de nombreuses autres fédérations à faire de même, comme l’explique Reuters5.

 

Les USA au pouvoir ?

Un allié de fortune et de circonstance pour Infantino ? Certes. Sauf que, dans ce monde-là, aucune amitié n’est profondément innocente. Et si Gulati était absolument ravi vendredi du dénouement de la journée, c’est qu’il est bien conscient qu’il a tout à y gagner. Les deux hommes se sont rencontrés à de très nombreuses reprises durant la campagne. Le processus de l’élection ne devait pas être le seul point discuté. Ainsi, s’il se refuse encore à l’exprimer clairement, Gulati sait que les Etats-Unis sont aujourd’hui en position de force (et c’est un euphémisme) pour accueillir la Coupe du monde 2026. Rappelons à cet égard que les USA étaient candidats et favoris pour accueillir l’édition 2022. C’était avant que le Qatar ne recoure à un tour de passe-passe et récupère l’organisation. Et que le FBI se penche sérieusement sur le fonctionnement de la FIFA.

Nul besoin de beaucoup plus d’exemples pour démontrer l’importance croissante que prennent les Etats-Unis au sein de l’organisation d’un sport qu’ils ont longtemps négligé. Une ère révolue. Mais avec quelles implications ? D’aucuns affirment craindre une « NBAsation » du football, qu’évoquait notamment le candidat Jérôme Champagne dans son discours au Congrès. C’est une éventualité à prendre en compte. La vision du sport à l’américaine n’est pas celle européenne. Mais la puissance économique et géopolitique du Vieux Continent est loin de celle accordée à l’Oncle Sam. En disposant désormais d’un allié de choix à la FIFA, les USA ont de quoi mettre à profit leur influence. Avec le risque d’allouer un pouvoir certain aux sponsors qui dicteraient à l’avenir les codes du football ? On en est encore loin, mais c’est une piste à considérer. Cela dépendra aussi de la ligne politique que compte insuffler Infantino.

 

Plongée dans l’incertitude

Finalement, plutôt que de considérer l’élection d’Infantino comme porteuse d’espoir ou, au contraire, révélatrice d’un statu quo, il s’agit simplement de temporiser avant de chercher une interprétation définitive quant au nouveau président de la FIFA. Des pistes, on arrive en effet à en dégager quelques-unes. Mais aucune n’est vraiment concrète et révélatrice de ce que sera la FIFA d’Infantino. Le brouillard est si dense que l’on s’y enfile en espérant simplement qu’il ne cache pas de mauvaises surprises. Mais sans savoir vraiment où l’on va.

Les premiers choix d’Infantino seront les plus importants, notamment en termes de personnes. Qui sera son secrétaire général ? On l’a dit, dans le nouveau paquet de réformes, ce dernier se voit arroger un pouvoir certain et séparé des décisions politiques conférées au président. Les finances notamment seront contrôlées de très près, surtout après que le secrétaire général ad interim Markus Kattner a révélé lors du Congrès un retard de 550 millions de dollars sur ses objectifs financiers d’ici à 2018. Infantino dit ne pas vouloir choisir un Européen pour le poste. A-t-il promis une place de choix en cas d’élection à un autre candidat ? Peu probable. À une fédération ? Envisageable. L’enjeu est en tout cas à prendre très au sérieux. Il donnera des indices précis sur la suite.

En épilogue et en résumé, Gianni Infantino incarne surtout, jusqu’ici, un choix par défaut. Bien aidé au bon moment par des personnages-clés, le fidèle lieutenant se retrouve au plus haut grade, là où personne ne l’aurait jamais imaginé. Peut-être prend-il même la place d’un autre. Mais, au fond, existait-il vraiment un profil-type pour que cette FIFA du siècle dernier réalise son « aggiornamento » ? En ce sens, Infantino incarne peut-être la meilleure solution. Ou la pire.

 


[1] http://www.lemonde.fr/football/article/2015/11/09/fifa-le-cheikh-salman-mis-en-cause-pour-son-role-dans-la-repression-de-2011_4805878_1616938.html

[2] Lire France Football du 23 février.

[3] Voir La Planète FIFA, http://www.rts.ch/play/tv/doc-du-lundi/video/la-planete-fifa?id=7516258

[4] http://www.si.com/planet-futbol/2016/02/26/gianni-infantino-fifa-president-sunil-gulati-usa#

[5] http://uk.mobile.reuters.com/article/idUKKCN0VZ2UD?irpc=932

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