Sport Le 15 avril 2021

HC Ajoie : « Més que un club »

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HC Ajoie : « Més que un club »

Les joueurs du HCA fêtent leur ascension en première ligue en 1978. (Archives privée de Jean-Claude Barras)

Le HC Ajoie, c’est plus qu’un « simple » club de hockey sur glace, selon Philippe Vonnard. L’historien du sport nous décortique un ouvrage écrit par deux chercheurs de l’UNIL – Quentin Tonnerre et Jérôme Berthoud –, lequel retrace notamment les liens entre le club ajoulot et la construction d’une identité jurassienne. 


 

Marcel « Nénès » Aubry, Daniel Métivier, Christian « Kiki » Crétin ou plus récemment, Steven Barras, ces noms rappelleront aux fans du HC Ajoie – mais aussi aux suiveurs assidus du hockey sur glace suisse – des souvenirs. Si l’histoire du HC Ajoie s’écrit sur la glace, elle dépasse largement le cadre du champ de jeu. Identité jurassienne, enjeux économiques, professionnalisation croissante des structures du club et adaptation des infrastructures ont rythmé l’histoire du HCA comme le montre un récent ouvrage écrit par deux chercheurs de l’UNIL, Quentin Tonnerre et Jérôme Berthoud.

 

18 Novembre 2020, le HC Ajoie (HCA) griffe la glace de sa nouvelle patinoire : la Raiffeisen Arena. Dotée de 4850 places (dont 2150 places assises et 10 loges VIP), elle est accompagnée d’une patinoire d’entrainement de type NHL. Le nouveau complexe offre au HCA un outil de travail adapté aux exigences contemporaines du hockey sur glace suisse de haut niveau. Rappelons ici pour les profanes que l’équipe fanion du HCA milite dans le haut du tableau de la deuxième division, la Swiss League Hockey, dont le club a été champion en 2016 et elle a remporté la Coupe de Suisse 2019/2020. Principal club de hockey sur glace du canton du Jura, le HCA est solidement établi (au niveau de l’élite mais aussi du mouvement junior) dans le paysage du hockey suisse.

Prenant pour prétexte l’inauguration de la nouvelle patinoire du club ajoulot, deux chercheurs de l’Université de Lausanne, l’historien Quentin Tonnerre et le sociologue Jérôme Berthoud, ont pris sur leur temps libre durant quatre ans (cette recherche étant conduite à côté de leur domaine de recherche habituel) pour rédiger un livre intitulé HC Ajoie. Une histoire sportive, économique et politique d’un club jurassien (1973-2020). La tâche n’était pas aisée puisqu’outre le fastidieux travail de récoltes et d’analyses de données (le livre est construit sur un corpus étoffé de sources qui va des archives du club à la collecte de documents personnels, tout en recourant à des articles de la presse locale), ainsi que d’écriture, il fallait faire face à trois écueils initiaux : convaincre les dirigeants du club de la pertinence de la démarche ; réaliser un livre qui oscille entre rigueur de l’écriture scientifique et attrait pour le grand public ; enfin, que les deux auteurs parviennent à prendre une distance suffisante vis-à-vis d’un club cher à leur cœur – tous deux sont originaires de la région de Porrentruy – tout en conservant une certaine passion dans l’écriture qui correspond à ce que peut procurer une rencontre de hockey sur glace.

Exercice délicat donc, mais exercice réussi ! Au fil de près de 200 pages, écrites sur un ton accessible (et parfois un brin taquin) et qui bénéficient d’un riche corpus de photos (pour toute la période traitée, il faut le souligner) et d’illustrations (graphiques, tableaux) forts utiles, le lecteur est plongé dans le quotidien complexe d’un club de hockey, auxquels ont dû faire face dirigeant.e.s, joueurs mais aussi supporters tout au long des six décennies d’existence du HCA.

Les auteurs se sont attelés à aborder cinq thématiques :

  • Chapitre 1: la question des infrastructures ;
  • Chapitre 2: le HCA et l’identité jurassienne ;
  • Chapitre 3: les enjeux économiques du club ;
  • Chapitre 4: la professionnalisation du HCA ;
  • Chapitre 5: un bref historique du parcours sportif du club.

Charly Corbat s’entretient avec Claude Riat, cadre à la Banque cantonale du Jura, lors d’une soirée organisée le 25 mars 1982 chez Burrus, à Boncourt, après l’ascension du HCA en LNB (Archives privée de la famille Corbat).

Choix judicieux car ces entrées permettent de ne pas perdre le lecteur tout en lui laissant l’opportunité de commencer le livre au début, au milieu ou par… la fin. En outre, ces thématiques donnent des éclairages sur des aspects cruciaux de la vie d’un club (en particulier le côté économique), rappellent quelques souvenirs aux fans du HCA, tout en n’occultant pas la thématique de l’identité jurassienne ô combien importante dans le cas de ce club.

En effet, si l’on se remémore la finale de la Coupe de Suisse 2019 où des milliers de Jurassiens avaient investi les gradins de la Vaudoise Arena de Lausanne, faisant du chef-lieu vaudois la capitale de leur canton pour quelques heures, cette filiation semble logique. Cependant, ce lien n’a rien d’évident au départ quand, en 1973, le HC Ajoie est créé. Ce timing correspond à l’inauguration de la patinoire de Porrentruy (Voyeboeuf) et à une volonté de certains passionnés de hockey, mais aussi d’entrepreneurs locaux, de relancer une équipe suite à la dissolution du HC Vendlincourt. Certes, un drapeau jurassien orne rapidement la patinoire, toutefois il faut surtout attendre les années 1980, avec une accession d’abord en Ligue nationale B (1982), puis en Ligue nationale A (1988), pour que le club devienne véritablement un représentant du jeune canton (dont l’entrée dans la Confédération date de 1979).

 

Malgré quelques péripéties sportives (relégation en 1ère Ligue en 1995), le HCA se stabilise dans les années 2000 au sein de la Ligue nationale B – désormais Swiss Hockey League. A ce titre, il est le club jurassien à connaître le plus de stabilité à l’échelle nationale dans les principaux sports collectifs du pays, car si l’on excepte le BC Boncourt (basket), le Volleyball Franches-Montagnes (volleyball) et, dans une moindre mesure, les SR Delémont (football),  aucun autre club du canton du Jura (défini ici selon ses frontières fédérales) ne milite depuis autant d’années dans l’élite du sport collectif suisse (féminin et masculin réunis).

Le HCA bénéficie donc d’un statut de quasi monopole qui renforce indéniablement sa popularité et le positionne comme un représentant actif du Jura sur la scène sportive nationale. D’ailleurs, au fil des années, un drapeau jurassien a été ajouté en arrière fond du logo. Dans le vestiaire des joueurs de la première équipe, le nouveau venu trouvera une inscription sans équivoque : « Jura mon pays, ma patrie, pour toi nous devons lutter » (Tonnerre et Berthoud, 2020 : 88). Enfin, au moment de la victoire en Coupe de Suisse 2019, le Gouvernement du canton a pris la pose en remerciant le club « de faire vibrer le Jura ! » (p. 84). Assurément, rares sont les clubs de l’élite suisse (masculin et féminin), en basket, football ou hockey sur glace, à pouvoir se targuer d’une telle filiation avec leur canton, voire avec leur ville1.

Le livre donne en outre des éléments extrêmement intéressants sur deux thématiques qui restent peu développées dans les recherches en histoire et sociologie du sport en Suisse : les enjeux de professionnalisation et les enjeux économiques des clubs de l’élite. Au passage, si les deux auteurs ont choisi de dissocier ces deux aspects afin – sans doute – de clarifier leur propos, dans les faits, ces deux dynamiques sont bien évidemment complémentaires : pour un club de haut niveau, la recherche de soutiens financiers s’explique largement par la professionnalisation croissante du sport, dont le développement permet en retour « une mise à jour » des instruments économiques (sponsoring, club de supporters, merchandising, droits TV et plus récemment catering et naming) qui doivent in fine soutenir la prise en charge financière et humaine des joueurs ainsi que l’adaptation (constante) des infrastructures.

Photo 3 :
Les supporters zurichois dans un nuage de fumigènes lors du match d’ascension en LNA à la patinoire du Voyeboeuf (1988) (© Jean-Claude Vuille)

Sous cet angle, l’ouvrage rappelle combien il est difficile de faire vivre au jour le jour un club de l’élite et que ses dirigeants doivent notamment faire face aux aléas du contexte économique. Longtemps, le HCA a été soutenu par une puissante entreprise locale de tabac, mais en raison de difficultés économiques couplées à une restructuration plus globale de la branche, ce soutien a peu à peu disparu. Il a donc fallu trouver d’autres alternatives, ce qui nécessite souvent du temps et des adaptations. L’ouvrage rappelle également les difficultés qu’a connu le HCA et avec lui de nombreux clubs suisses de hockey sur glace dans les années 1990. Si l’histoire ne se répète jamais deux fois à l’identique, elle ne doit néanmoins pas être oubliée, car elle est assurément une source d’inspiration, voire de vigilance pour nous autres contemporains. Or, trop souvent, les acteurs du sport en Suisse ont tendance à l’occulter et à rapidement retomber dans certains travers après des périodes d’assainissement2. Compréhensible, tant le sport collectif de haut niveau est dominé par l’émotion et l’ambition de toujours faire mieux (et plus), voire par l’appât d’un gain rapide. Cette situation entraîne néanmoins des montages financiers complexes, et parfois bancals, en matière de structures économiques des clubs qui leur sont potentiellement nuisibles sur le long terme. Dans le sport de haut niveau helvétique, le vide n’est (jamais) très loin…

Un autre point intéressant soulevé par Quentin Tonnerre et Jérôme Berthoud est de discuter certains mythes. Se focaliser sur un club relativement modeste économiquement parlant permet en particulier de souligner que les joueurs ne sont pas tous des millionnaires. Que même à notre époque, le semi-professionnalisme reste de mise pour une partie des acteurs du jeu qui évolue dans des clubs de hockey en deuxième division et que la blessure peut venir gâcher à tout moment une carrière qui reste courte et dont la fin est souvent pénible à vivre.

Enfin, le livre a le mérite de mettre en lumière le fait qu’un club c’est aussi, et surtout, des hommes et des femmes (très présentes notamment dans les rôles peu mis en avant médiatiquement parlant mais cruciaux dans la vie quotidienne d’un club, comme les postes au secrétariat par exemple) qui dépensent de leur temps pour le faire vivre. Si des figures apparaissent au fil des pages de l’ouvrage, tel l’incontournable Charles « Charly » Corbat ou le président actuel Patrick Hauert, plusieurs photos illustrent aussi les anonymes qui ont permis au HCA de se développer, ou tout simplement d’exister, depuis six décennies : que ce soit dans les années 1970 pour vendre des souscriptions pour la construction de la nouvelle patinoire (p.36), voire de poser des tuyaux lors de sa construction (p. 43), ou encore de manifester publiquement pour la rénovation de l’enceinte de glace dans les années 2010 (p. 54). Cet ouvrage rappelle donc qu’à l’heure de la mondialisation, les clubs de hockey (mais aussi de football) ne doivent pas oublier leur ancrage local, car en cas de coup dur, c’est assurément du sérail que les aides (financières, matérielles ou symboliques) les plus solides interviendront.

 

En conclusion, cet ouvrage apporte beaucoup d’éléments pour un lectorat très divers (qui va du fan aux chercheurs en sciences sociales, en passant par des dirigeants de club et journalistes). Pour le dire autrement, si ce livre est à classer parmi la catégorie des « beaux livres », ce n’est pas uniquement en raison du genre de la publication, mais parce qu’il offre tout simplement des réflexions bienvenues, et parfois joyeuses, voire sentimentales, sur l’histoire récente du sport suisse. Alors si vous voyez l’ouvrage sur une étagère d’une librairie ou sur le site de l’éditeur et/ou du HCA : « ne niaisez pas avec la puck ! » comme on le dit au Québec.

 


1. Ces dernières années, d’autres clubs ont suivi ce trend. C’est notamment le cas du Servette FC avec la devise « Notre ville, nos talents » affichée publiquement lors du retour du club en Coupe européenne en 2021.

2. Ainsi, à la suite de quelques déboires sportifs et financiers, le Lausanne-sports avait choisi de conduire une politique basée sur des jeunes de la région à la fin des années 1970. Un refrain qui sera repris plusieurs fois depuis par différentes générations de dirigeants du club vaudois.

 

Référence complète

Tonnerre Quentin, Berthoud Jérôme, HC Ajoie. Une histoire sportive, économique et politique d’un club jurassien (1973-2020), Delémont : Editions D+P SA, 197 p.

https://www.lqj.ch/boutique/editions/hc-ajoie-histoire-sportive-economique-politique

 

Le livre dans les médias

Article dans Le Temps:

https://www.letemps.ch/sport/hc-ajoie-renforce-mythe-jurassien

Interview des auteurs à Radio Fréquence Jura: https://www.rfj.ch/rfj/Sport/Hockey/20201109-L-histoire-du-HCA-relatee-dans-un-ouvrage.html

Interview des auteurs à Sport première (RTS):

https://www.rts.ch/play/radio/sport-premiere/audio/hockey-sur-glace–un-bel-ouvrage-consacre-au-hc-ajoie?id=11734135

 

Pour aller plus loin sur le sujet

Tonnerre Quentin, Berthoud Jérôme, « La campagne du Démocrate et du Pays en faveur de la construction de la patinoire de Porrentruy (1972) : multiplicité des positions des acteurs et indépendances des structures », Actes de la Société jurassienne d’Emulation, vol. 122, 2019, pp. 173-190.

Moret Orlan, Carrières et après-carrières des hockeyeurs dans un contexte de professionnalisation de la pratique, Thèse de doctorat, Université de Lausanne, 2017 [thèse actuellement en cours de publication dans la collection « sport et sciences sociales » aux éditions Alphil].

Bayle Emmanuel, Moret Orlan, Lang Markus, « How professional sports clubs exploit a heterogeneous local potential: the case of Swiss professional ice hockey », Sport in Society, vol. 23, no 3, 2019, pp. 433-451.

Zumwald Benjamin, « Espoir et désillusion de la politique cantonale jurassienne des sports après l’entrée en souveraineté », Actes de la Société jurassienne d’Emulation, vol. 121, 2018, pp. 121-145.

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