
C’est un profond tremblement qui a agité la Suisse ce dimanche. Une mise en échec des instituts de sondage, du Conseil Fédéral, des principaux partis et des syndicats, une mise en échec de la politique établie avec l’Europe, des bilatérales, des vertus du développement économique, une mise en échec de l’accueil de l’étranger, de la libre circulation des personnes… mise en échec de la confiance dans l’avenir et même une mise en échec de l’initiative xénophobe « contre l’immigration de masse » : comment en effet placer des contingents dans une économie qui a besoin d’étrangers pour la faire tourner, comme un malade a besoin de son infirmière? À Genève, le Canton compte davantage d’emplois que d’habitant-e-s en âge de travailler!
Mises en échecs
Une monumentale secouée et une mise en échec des étudiant-e-s suisses qui voudront étudier à l’étranger, mise en échec des Suisses de l’étranger, de la flexibilité économique sans rien rajouter à la protection des travailleurs et travailleuses. Mise en échec surtout de la technique des petits pas et des positionnements stratégiques. Mise en échec du PLR et des partis bourgeois qui ont toujours refusé les mesures d’accompagnements et qui aujourd’hui portent une grande responsabilité dans l’échec; mise en échec face aux inquiétudes liées à l’emploi, à la trop libre concurrence et au dumping salarial. (Le PLR et les partis bourgeois ont joué la même partition sur le secret bancaire, jouant la montre et en en constatant aujourd’hui le coût avec les cascades de scandales sur l’UBS et les procès contre les banques suisses.) Mise en échec de l’Europe, de l’ambition d’y jouer un rôle, mise en échec du dialogue. On continue? Bien sûr que le Conseil Fédéral a raison de garder la tête froide et d’appeler à ne pas céder à des réactions trop émotionnelles. N’empêche il y a un petit souci de tension. On ne hurlera pas au dimanche noir, on reste en Suisse ici, faut pas s’énerver. Mais tête froide, extrémités chaudes après ce dimanche 9 février: est-ce le signe d’une poussée de fièvre ou le début d’une infection?
Comment on continue?
Certains analystes expliquent cette mise en échec par la peur ou la souffrance du chômage, la pénurie de logements; responsables, les transports publics bondés? Mais comment alors saisir que ce sont les cantons qui en souffrent le moins (à l’exception du Tessin et du Jura, pour la pression sur l’emploi) qui ont le plus soutenu cette initiative? L’explication paternaliste et condescendante a ses limites. Le oui à l’initiative de l’UDC « Contre l’immigration de masse » doit être entendu comme un refus, un rejet agressif; mais ne devrait-il pas aussi être lié au vieillissement de la population et d’une indécrottable nostalgie, celle du « c’était mieux avant », au « il n’y en a pas comme nous », d’une crainte des ruraux devant la densification des villes, de ceux qui ont connu l’Eldorado des années 70 et 80 helvétique dans un monde bien en place, avec ses blocs et ses contingents de frontaliers, face au changement? Le tremblement : une nostalgie du paradis perdu? Et ce oui celui de ceux qui ont et veulent des contingents, des murs, des frontières, pour se protéger de l’extérieur dans un monde qui change, et protéger leur qualité de vie; ceux qui veulent plus de richesse, même contre ceux qui la leur procurent? Un oui égoïste, le oui de la peur. Oui.
Une Suisse porte-flambeau
La Suisse est bel et bien au centre de l’Europe, et ce vote, au nom de son indépendance, sonne aussi comme un échec de celle-ci, par la teneur conformiste aux mouvements réactionnaires qui agitent le vieux Continent et par la limitation des marges de manœuvre qu’elle s’impose à elle-même. Cette votation apporte sa pierre à une Europe dont la tentation dominante risque d’être celle du repli sur soi, du refus de l’autre, de la défiance envers ce qui se construit, prend du temps, exige du dialogue, de la collaboration. Le Front National a été l’un des premiers a saluer la décision de la Suisse. Hannes Swoboda, chef de fil des sociaux démocrates, a lui souligné l’encouragement que la Suisse a donné ce dimanche aux mouvements extrémistes en Europe. La Suisse porte donc le flambeau d’une Europe qui doute, craint, refuse, et se recroqueville. L’UDC, avec sa campagne brutale et démagogique sur les minarets, a été une source d’inspiration pour le Front National en France. Cette mise en échec du 9 février donnera du tonus à nos plus nauséeux voisins. Elle ne sortira pas la Suisse de l’Europe, non, elle ne sortira surtout pas les étrangers de Suisse – nous ne pouvons pas faire sans – mais elle donnera de la légitimité en plus et du pouvoir à celles et ceux qui attisent la peur et veulent revenir en arrière, renforçant encore plus l’image d’une Suisse en mal de son paradis perdu et qui pourrait bien, à son corps défendant, y sacrifier son présent, voire son avenir.
Très bon texte! Vous exprimez aujourd'hui à merveille ce que beaucoup de Romands ressentent. "La Suisse porte donc le flambeau…