Genre Le 9 juillet 2019

Hommes N the Hood… [MASC’OFF épisode 2]

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Hommes N the Hood… [MASC’OFF épisode 2]

Dans le 2ème épisode du podcast MASC’OFF, Kay, Le Passant et Geos discutent des films de John Singleton, de la masculinité qui y est dépeinte et de leur influence sur le Hip-Hop.

Podcast réalisé avec Wetu « Le Passant » Badibanga (artiste spoken word), Kay « Rubenz » Kagame (Dj) et José « Geos » Tippenhauer (animateur radio, rappeur1), MASC’OFF est une discussion sur la masculinité dans le monde du rap. Après avoir fait leur autocritique dans l’épisode 1, les 3 protagonistes reviennent sur l’œuvre de John Singleton, réalisateur afro-américain décédé récemment. Ses films ont marqué le hip-hop, à commencer par Boyz N the Hood qui lui a valu une nomination historique aux Oscars. Quelles représentations d’hommes (notamment de rappeurs) et de femmes se dégagent de ses récits ? Quelle influence sur la culture rap ? Voici les questions abordées dans cet épisode. [L’article complète l’épisode 2. Audio et vidéo en bas de page]


 

Le jour où j’ai découvert John Singleton (et le jour où il m’a déçu)

J’ai découvert John Singleton très simplement : en allant voir Boyz N the Hood (1991) au cinéma. J’étais très jeune et le rap californien me fascinait. J’écoutais en boucle « Niggaz4life » de N.W.A, et je m’habillais comme un certain Snoop Doggy Dogg. Je me souviens d’avoir été appâté par la bande-annonce du film qu’on diffusait à foison sur MTV, en particulier dans l’émission « Yo! MTV Raps ». J’ai écouté les interviews des acteurs et lu quelques articles au contenu assez fou, évoquant de sombres histoires de coups de feu dans les cinémas de Los Angeles lors de la diffusion du film. C’est donc en toute logique que mon excitation fut à son comble lorsque j’en vis les premières images.

Et je ne fus pas déçu : le film me parut sensationnel. Il était très facile pour un jeune garçon noir de 15 ans, habitant un environnement urbain au début des années 1990, de s’identifier aux personnages. Mes amis et moi vivions une réalité sociale certes bien moins violente que celle de Tre et ses copains (les personnages principaux du film), mais nous connaissions nous aussi le sentiment d’enfermement territorial, les rapports difficiles avec la police, et parfois pour certains, une situation familiale compliquée. Et puis, ce film semblait si réel et collait si bien avec le contexte de l’époque : l’affaire Rodney King, les émeutes de Los Angeles en 1992 !

 

Je l’ai revu très souvent par la suite, sans doute par nostalgie. Mais il ne me semble pas qu’il ait tellement mal vieilli. Seulement certains détails ne m’échappent plus comme autrefois. Ma maturité a fini par prendre le dessus sur ma fascination et mon enthousiasme. Quand on demande un second avis à un médecin, il arrive parfois que le diagnostic diffère. On remarque ce qu’on n’avait pas vu avant. On découvre un virus qu’on n’avait pas détecté en premier lieu. Et moi, je n’avais pas vu ou voulu voir ce qui clochait dans ce film. Je n’avais pas détecté le manque de personnages féminins par exemple. Je n’avais pas noté non plus que leurs rôles se noyaient dans des stéréotypes, tels que : la femme carriériste qui démissionne de sa maternité à la première crise d’adolescence de son enfant, la mauvaise mère qui élève seule ses deux fils, ou encore, la mère toxicomane qui laisse son bébé se balader au milieu de la route. Stéréotypes qui naviguent paradoxalement à contre-courant du cliché traditionnel du père absent, duquel Singleton épargne le personnage du géniteur de Tre, Furious Styles.

Malgré tout, dans l’ensemble, j’ai toujours autant de plaisir à regarder le film.
Il est percutant et reste très important en tant que chronique sociale qu’on peut presque voir comme un documentaire. Il est l’acte fondateur d’un genre cinématographique qui a inspiré toute une série de films à travers le monde allant de Menace II Society (États-Unis) à La Haine (France) en passant par La Cité de Dieu (Brésil). Par la suite, John Singleton a enchaîné plusieurs films sur les mêmes thématiques mais plantant leurs trames dans des univers très différents (Poetic Justice, Higher Learning ou Fièvre à Colombus en français, etc.).

L’épisode 2 de Masc’Off est à visionner/écouter plus bas.

Puis vint le jour où John Singleton m’a déçu. Ce ne fut pas au premier visionnage de Baby Boy (qu’il réalisa en 2001). Mais bien plus tard. Et après bien des visionnages.

Sans doute aurais-je été un mauvais médecin dans une autre vie, parce que pour le coup, ce n’est pas au second diagnostic, ni au troisième, mais peut-être au cinquième ou sixième seulement, que je me suis rendu compte que quelque chose n’allait pas… Sans doute ma mentalité d’alors était très différente de celle qui m’anime aujourd’hui. Car là encore, je suis complètement passé à côté du message sous-jacent catastrophique du cinéaste.

En gros, dans Baby Boy, on nous montre une femme forte qui s’assume et qui accepte de garder son jeune fils Jody sous son toit. Mais elle doit subir la paresse et la possessivité de celui-ci, ainsi que les problèmes qui découlent de la fâcheuse tendance de l’avorton à féconder et ne pas en assumer les conséquences.

Et John Singleton d’en rajouter sur l’appétit sexuel de Madame avec l’homme qu’elle fréquente, sous le regard désapprobateur du grand rejeton. Pourquoi donc faire intervenir les sentiments du Baby Boy sur la question ? Il ne devrait pas avoir voix au chapitre car le sexe de sa maman ne lui appartient pas, même si c’est ce dont rêverait cet imbécile dégoulinant d’Oedipe. Certes, on pourrait penser que cela s’inscrit dans le propos du film (« t’es pas content, Tanguy, dégage »), mais en mettant ainsi en scène une femme indépendante qui gère sa vie comme elle l’entend et un enfant immature, le cinéaste établit un lien de causalité très discutable.

Et puis, il y a l’autre personnage féminin joué par Taraji P. Henson : la petite amie de Jody. Elle est tantôt montrée sous un jour exagérément orageux, tantôt soumise au point de devoir travailler pour deux, alors qu’elle ne peut même pas s’assumer financièrement puisqu’elle tire un certain parti à accepter le fric provenant des petits business du Baby Boy. Et elle en est si éprise qu’elle ne parvient jamais à s’en séparer. D’ailleurs, la passivité de la jeune femme atteint même son climax quand elle accepte que son ex-boyfriend, un ex-taulard violent (très mal interprété par un Snoop Dogg à côté de ses pompes) revienne à la maison, bien que plusieurs années de prison les aient séparé.e.s tous les deux.

L’épisode 2 de Masc’Off est à visionner/écouter plus bas.

Disons-le tout net : avec cette daube, ma déception s’est transformée en dégoût tant ce film est problématique à bien des niveaux. Mais que dit-il vraiment de John Singleton ? Le réalisateur est-il pour autant misogyne ? Ou n’a-t-il juste pas su comment mettre en scène des rôles féminins dans sa narration ? Pourquoi un tel contraste entre la réussite quasi académique de Boyz N the Hood et le raté complet de Baby Boy ? Comment un réalisateur qui a quand même su faire dialoguer ses personnages masculins et féminins dans le premier (cf. discussion entre les parents, abordée dans le podcast à 27’02), a-t-il pu autant se ramasser dans le second ?

Je n’ai pas de réponses définitives à ces questionnements. Avec Wetu « Le Passant » Badibanga et José « Geos » Tippenhauer, nous avons essayé d’en débattre dans le deuxième épisode de Masc’Off (à visionner ci-dessous). Quoi qu’il en soit, j’aimerais rappeler que John Singleton a été précurseur non seulement d’un genre, d’un style de cinéma, mais aussi d’une trajectoire humaine. Et qu’avec Boyz N the Hood, il a brisé des barrières très tôt, en devenant simultanément le premier réalisateur noir à être nommé aux Oscars et le plus jeune (24 ans) à avoir connu cet honneur. Rest in peace John Singleton.

 

VIDÉO:

 

AUDIO:

 


Références

1 Également membre du comité de Jet d’Encre.

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