Politique Le 6 mai 2015

Initiative sur les bourses d’études : une solution estudiantine ambitieuse mais nécessaire

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Initiative sur les bourses d’études : une solution estudiantine ambitieuse mais nécessaire

La jeune équipe neuchâteloise de campagne en action. © Maria Sousa Martins

Le 14 juin prochain, le peuple suisse est appelé aux urnes pour se prononcer sur l’initiative des bourses d’études. Le dénouement de ce projet porté par l’Union des Étudiant-e-s de Suisse (UNES) est proche, après des années de mise en place, une récolte de signature soutenue et un processus parlementaire parmi les plus longs. En tant qu’étudiante, qui plus est impliquée dans la campagne de votation en faveur de l’initiative, j’entends exposer ici son historique et les bien-fondés de la solution qu’elle propose.


Une problématique de longue date et des solutions non concluantes

Il convient en premier lieu de dresser un rapide historique du système helvétique des bourses d’études, dessinant ainsi son portrait. Les aides à la formation connaissent en Suisse une base constitutionnelle depuis la votation populaire du 8 décembre 1963. Néanmoins, du fait que l’instruction publique est de compétence cantonale, l’octroi des bourses d’études est soumis à l’autorité des cantons. Depuis 1965, la Confédération leur verse des subventions afin de les soutenir dans leurs dépenses liées à l’aide à la formation. Actuellement, les disparités sont très grandes entre les cantons, qui ont des politiques d’octroi extrêmement différentes au niveau des critères d’attribution et des montants octroyés. À de nombreuses reprises, l’UNES a tenté de changer la nature de ce système ; en 1971 d’abord, par le lancement d’une première initiative populaire, en 1982 ensuite, avec une pétition demandant l’harmonisation des bourses d’études et une participation financière fédérale plus importante, ainsi qu’en 1991, en tentant à nouveau le moyen de l’initiative avec des objectifs similaires.

Dès les années 1980, les préoccupations des étudiant-e-s sont partagées par certains acteurs, comme la Conférence des directeurs de l’instruction publique, qui reconnaît qu’une harmonisation est nécessaire. Elle crée alors un modèle de loi qui doit inciter les cantons à adopter des législations plus homogènes, évitant des disparités flagrantes en termes d’octroi et de montant, quand bien même il ne s’agit que d’une recommandation non contraignante. Dans les années 2000, la réforme de la péréquation financière introduit une nouvelle répartition des compétences en ce qui concerne les bourses d’études : seules les aides à la formation pour le degré de formation tertiaire demeurent alors sous un financement partagé entre les cantons et la Confédération. Ceci provoque un effet que l’on constate depuis lors : le désinvestissement évident de la Confédération dans le financement du système des bourses d’études (la part de son financement pour les aides à la formation était de 40% en 1990, alors qu’il n’était plus que de 8% en 20131). Les cantons sont ainsi devenus les seuls à endosser la responsabilité des aides à la formation. Il en résulte des disparités cantonales de plus en plus prononcées, liées à la volonté des cantons tout autant qu’à l’état de leurs finances respectives.

Depuis quelques années, l’harmonisation du système d’aides à la formation est perçue comme nécessaire par une grande partie des acteurs politiques, conscients des travers du système actuel2. L’harmonisation est même avancée fréquemment par des interventions parlementaires, au niveau national comme cantonal (généralement rejetées). Si tous semblent d’accord sur le fond, le terrain d’entente est loin d’être trouvé pour le moment. Une piste a été tentée dernièrement par la Conférence suisse des directeurs cantonaux d’instruction publique (CDIP), qui a mis en place un Concordat intercantonal des bourses d’études. Ce Concordat, entré en vigueur en 2013, indique des critères minimums afin d’établir une certaine cohérence entre les différents systèmes cantonaux des signataires. Les effets ont été bénéfiques de par la révision des lois sur l’aide à la formation dans les cantons concernés, mais la démarche n’est pas suffisante. En effet, et tout simplement, ce Concordat n’est pas contraignant : y adhèrent uniquement les cantons qui le souhaitent et on constate que ceux-ci sont déjà souvent les « bons élèves » en matière de politique d’aides à la formation. Cette nouvelle tentative d’harmonisation, bien que saluée par l’UNES dans son intention, n’est qu’un nouvel échec dû au manque de base constitutionnelle.


Le projet de l’UNES

Le 20 janvier 2012, l’UNES a déposé son propre projet d’harmonisation, revenant ainsi au centre des débats relatifs au système suisse d’aides à la formation. Avec leur « Initiative sur les bourses d’études », les étudiant-e-s suisses proposent leur vision du système des bourses d’études, qui est celle d’un système harmonisé matériellement et formellement au niveau fédéral. En quelques mots, cette initiative demande que la Confédération se dote d’un système d’aides à la formation cohérent en terme d’octroi, de calcul et de financement de celles-ci. Selon l’initiative de l’UNES, ce système harmonisé doit permettre à chacun-e, en fonction de ses capacités et de ses intérêts évidemment, d’accomplir une première formation tertiaire en ayant la garantie d’un standard de vie minimal si ses propres ressources (revenus annexes, souvent une activité rémunérée et/ou l’aide des parents) ne sont pas suffisantes. Elle doit déterminer aussi quels moyens sont nécessaires aux cantons pour assurer l’aide à la formation. L’initiative reste silencieuse quant à la répartition de la charge financière entre les cantons et la Confédération. Mais il paraît clair qu’un système mis en place au niveau fédéral et renforcé de la sorte mettra davantage la Confédération à contribution qu’aujourd’hui.

Un véritable intérêt de la classe politique mais un contre-projet indirect vide…

L’initiative de l’UNES a donné lieu à de riches débats au sein des Chambres fédérales et de leurs Commissions de la Science, de l’Éducation et de la Culture (CSEC). C’est dire que la problématique est des plus pertinentes et que le modèle proposé par l’UNES ne méritait pas un rejet immédiat, mais au contraire, un traitement approfondi en vue de la proposition d’un contre-projet. Le contre-projet indirect aujourd’hui arrêté par les Chambres fédérales est malheureusement décevant, puisqu’il n’est qu’une simple référence au Concordat, incitant les cantons à en appliquer les critères d’attributions formels pour recevoir des subventions. L’harmonisation matérielle (relative aux montants accordés) des bourses d’études entre les cantons signataires du Concordat est même passée à la trappe, malgré le soutien de nombreux parlementaires romands de gauche comme de droite. Le projet a le mérite aujourd’hui d’exister en cas de non acceptation de l’initiative, mais c’est malheureusement le seul de ses mérites.


Une initiative cohérente pour une formation de qualité et accessible à tous

On l’a vu, des solutions pour une politique cohérente et efficace en matière d’aides à la formation ont été recherchées depuis des décennies et la volonté d’une harmonisation intercantonale est une idée tout aussi ancienne. Ces solutions n’ont de loin pas fait leurs preuves. Certes, le modèle proposé par l’UNES avec son initiative déplait aux tenants du fédéralisme. Si cette particularité chère aux Suisses est dans bien des cas positive, il est nécessaire de considérer les aides à la formation comme une exception. En effet, ni les différences cantonales, notamment en terme de prix, ni la concurrence entre les cantons ne peuvent justifier les disparités actuelles. En effet, un Genevois étudiant à l’EPFZ a les mêmes besoins que son collègue venant du Valais. De même, un étudiant choisit son domicile en fonction des offres de formation, ou de ses parents, mais il ne pourra jamais choisir en fonction des prestations de bourses d’études. Finalement, cela s’inscrit dans un contexte où l’horizon de la formation tertiaire en Suisse est de plus en plus intercantonal, et même national, tant les formations sont diverses et la mobilité préconisée.

L’UNES, moi-même et des étudiant-e-s de toute la Suisse nous engageons pour une formation suisse de qualité et accessible à toutes et tous. L’initiative sur les bourses d’études est aujourd’hui une solution cohérente et efficace pour remplir cet objectif et ainsi aller à l’encontre des velléités actuelles de restriction de l’accès à la formation pour des motifs de capacité financière. Il est temps, pour la Suisse, de repenser de manière globale son système d’aides à la formation et nous avons l’occasion unique de l’y inciter en acceptant le 14 juin l’initiative des bourses d’études.

 


1. Office fédéral de la statistique, Bourses et prêts d’études cantonaux 2013, Neuchâtel 2014. Disponible sous http://www.bfs.admin.ch/bfs/portal/fr/index/news/publikationen.html?publicationID=5705 (consulté le 14.04.15).

2. http://www.parlament.ch/afs/data/f/bericht/2006/f_bericht_s_k18_0_20063178_0_20100202.htm (consulté le 14.04.15).

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