Politique Le 3 novembre 2015

Elections fédérales: À la recherche de la jeunesse perdue

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Elections fédérales: À la recherche de la jeunesse perdue

En raison d’un fort taux d’abstention des jeunes et de leur faible représentation dans les parlements, la démocratie suisse n’arbore pas plus le visage de la jeunesse qu’elle ne relaie leur voix. Tour d’horizon de la problématique après les élections fédérales du 18 octobre.

Au 19h30 du 15 octobre sur la RTS, la chroniqueuse Martina Chyba s’interroge : a-t-on entendu les partis politiques aborder des thématiques pouvant intéresser les jeunes durant leur campagne pour les élections fédérales ? Sa réponse cynique frappe au cœur du problème : « Pour se faire élire, il faut draguer les aînés et parler des retraites. Oui, parce que c’est simple : les aînés votent, et les jeunes ne votent pas. »

En effet, un seul citoyen âgé de 18 à 30 ans sur trois prend part aux grandes décisions démocratiques1. Ce taux de participation gravitant péniblement autour des 30% contraste fortement avec celui des personnes de plus de 60 ans, qui oscille lui entre 60% et 70%2. Le taux de participation des jeunes de moins de 30 ans est ainsi de 15 à 20 points en dessous de la moyenne ; par rapport à leurs ainés de plus de 60 ans, les jeunes pas encore trentenaires sont deux fois moins nombreux à se rendre aux urnes. Au-delà des proportions, les seniors sont ainsi quatre fois plus nombreux à s’exprimer démocratiquement en Suisse. Le 18 octobre dernier, les urnes n’ont une nouvelle fois que difficilement attiré la jeune génération.

Causes de l’abstention des jeunes

Cet abstentionnisme des jeunes est particulièrement préoccupant. D’une part, ce déséquilibre entre les générations fragilise la légitimité des décisions populaires ; il en résulte que la société est façonnée par les décisions d’un échantillon non-représentatif du corps électoral. D’autre part, ce phénomène de délaissement des formes traditionnelles de la participation révèle une indifférence, voire une méfiance des jeunes à l’égard des institutions politiques. Ses causes ? Parmi les facteurs avancés par les politologues, on peut mentionner la chétivité de l’instruction civique à l’école, l’absence de problématiques directement liées aux jeunes dans le débat public, le langage politique inadapté à un public non-averti comme les nouveaux électeurs (un défi de vulgarisation auquel s’attaquent des projets comme easyvote et éclaire mon vote), le système suisse de concordance, ou encore la fréquence élevée de votations populaires et son effet démobilisateur3.

Ces différentes pistes suggèrent l’existence d’un sentiment d’altérité de certains jeunes par rapport au monde de la politique et aux codes qui le régissent. Au Parlement des Jeunes Genevois, on explique en partie la tentation abstentionniste par le fait que les jeunes ne se sentent pas assez représentés ou écoutés au sein des institutions elles-mêmes. Les parlements en Suisse sont en effet composés d’uniquement 1 à 3% de jeunes entre 18 et 30 ans alors que cette tranche d’âge représente 16% de la population suisse, voire un tiers si on inclut les mineurs4. Cette sous-représentation importante, à l’instar de celle des femmes toujours prégnante, porte atteinte à la vocation de représentativité de l’idéal démocratique suisse. Dans ce contexte, les attentes hétérogènes des jeunes et leur vision du monde imprégnée des nouvelles technologies et du fonctionnement des médias sociaux ne sont qu’insuffisamment relayées dans les sphères politiques qui ont dès lors une perception du réel restreinte, voire biaisée.

La nécessité de voter « jeunes »

Il s’agit dès lors de sensibiliser le citoyen à l’importance de combiner sensibilité politique et représentativité dans son bulletin de vote. En commençant par convaincre les jeunes eux-mêmes, car ceux-ci ne votent pas spontanément pour leurs pairs. Comme lorsqu’ils se récusent par rapport à l’utilisation de leurs droits politiques, les jeunes citoyens ont tendance à croire que compétence rime avec expérience, et donc qu’il n’est pas judicieux d’envoyer de jeunes politiciens participer aux affaires de l’État. L’action Soutenez la relève du Parlement des Jeunes Genevois a tenté lors de la campagne de sensibiliser l’opinion publique à la sous-représentation de la jeunesse sous la coupole fédérale, en valorisant les candidats genevois de moins de 30 ans. Ils étaient nombreux lors de ces élections fédérales, tant à Genève que dans le reste de la Suisse. Les listes des jeunesses de partis constituaient près d’un tiers du total des listes en lice au Conseil national : à Genève, 56 des 178 candidats avaient moins de 30 ans ou faisaient partie d’une liste d’une jeunesse de parti5. Cependant, le parlement n’a pas connu d’augmentation substantielle du nombre de jeunes élus. L’Assemblée fédérale, qui compte déjà à ce jour moins d’un pour cent d’élus de moins de 30 ans, sera à nouveau composée essentiellement d’hommes portant plus de cinq décennies dans les jambes.

L’enjeu de la représentativité

Il faudra donc faire preuve de patience avant d’atteindre une certaine représentativité des autorités politiques vis-à-vis de la diversité – notamment générationnelle – de la population. Si les femmes, qui constituent une légère majorité de la population, sont de plus en plus représentées, occupant désormais un tiers des sièges, les moins de 30 ans n’auront qu’une poignée de représentants. En feront partie la nouvelle benjamine Lisa Mazzone (27 ans, Verts/Genève) et le désormais vice-benjamin Mathias Reynard (28 ans, PS/Valais).

Le manque de représentativité s’exprime également à travers le critère de la « profession » au sens large : parmi les candidats, on trouvait 12,8% d’étudiants, juste devant les entrepreneurs et directeurs (11%) et les employés de partis et d’associations (8,1%). Contrairement à ces deux derniers groupes, qui ont obtenu le 18 octobre respectivement 15,4% et 18,4% des sièges6, les étudiants n’auront aucun représentant au Palais fédéral jusqu’en 2019. La sous-représentation extrême de cette catégorie spécifique de la population jeune illustre à merveille le décalage qui existe entre le nombre de candidats jeunes et le nombre d’élus jeunes.

Le rôle des partis politiques

Si les jeunes ont autant de peine à intégrer les autorités politiques de la Confédération, c’est notamment car ils sont la plupart du temps « parqués » sur une liste d’une jeunesse de parti. Ces listes ont pour objectif de récolter des voix auprès des jeunes électeurs en faveur de la liste principale du parti à l’aide du mécanisme des sous-apparentements. Ils n’ont le plus souvent aucune chance d’obtenir un siège. Alors que les jeunes ont la volonté et le nombre, les partis les relèguent le plus souvent dans un rôle secondaire, sur une liste dont le nom les ramène à leur condition. Les jeunes qui arrivent à décrocher un siège malgré cet obstacle sont ceux que les partis ont placé sur leur liste principale. C’est le cas de Lisa Mazzone (par ailleurs présidente des Verts genevois) et de Mathias Reynard.

La faible participation démocratique des jeunes se double ainsi d’une sous-représentation de la jeunesse dans les sphères politiques. Tant que cette situation perdurera, il sera nécessaire d’aller capter directement les besoins et les demandes des jeunes. C’est une des raisons d’être des nombreux Parlements des Jeunes ou Conseils des Jeunes en Suisse. Par exemple, sans prétendre représenter la jeunesse genevoise dans son ensemble, le Parlement des Jeunes Genevois exprime une voix légitime de la jeune génération du canton. Mais son action ne suffit pas pour associer pleinement une jeunesse plurielle à la décision politique. Il est nécessaire de définir comment impliquer civiquement, tant en marge qu’au sein des institutions et de leurs formes traditionnelles de participation, cette catégorie particulière et hétérogène de la population qu’est la jeunesse. Le but ? Mener une politique pour « les générations futures », comme l’exhorte le préambule de la Constitution fédérale. Il est certain qu’une telle politique proprement démocratique et durable ne peut se faire sans que ces jeunes générations, futures mais déjà bien présentes, soient représentées d’une manière ou d’une autre dans le processus démocratique.

Sylvain Leutwyler et Diego Esteban sont respectivement président et vice-président du Parlement des Jeunes Genevois.

 


1. Easyvote (https://www.easyvote.ch/fileadmin/files/Politische_Partizipation/2015_Guide_de_campagne.pdf)

2. OCSTAT (https://www.ge.ch/statistique/graphiques/affichage.asp?filtreGraph=17_03&dom=1)

3. Université de Lausanne (http://www.la-zone.ch/wp-content/uploads/ADQSP-Dossier-Labstentionnisme-chez-les-jeunes-2012-Collectif.pdf)

4. Tribune de Genève (http://www.tdg.ch/suisse/quinquagenaires-accaparent-parlement/story/14223384)

5. Données gracieusement fournies par la Chancellerie de la République et Canton de Genève

6. RTS (http://www.rts.ch/info/dossiers/2015/elections-federales/7181477-les-elus-au-parlement-ne-representent-pas-mieux-les-emplois-des-suisses.html)

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