Politique Le 5 février 2016

Pourquoi il est impératif de lire le tout-ménage de l’UDC

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Pourquoi il est impératif de lire le tout-ménage de l’UDC

© Jet d’Encre

« L’intégrité de vos familles et la protection des victimes potentielles sont plus importantes que les intérêts des malfaiteurs. » C’est avec ces mots que se termine l’éditorial du tout-ménage de l’UDC, édition spéciale de janvier 2016. Qui oserait contester une telle affirmation ? Mais laissons les échanges d’arguments politiques aux citoyens qui s’intéresseront à l’exercice de leur droit démocratique, le 28 février prochain. Ce papier concerne toute personne ayant une boîte aux lettres assez large pour y placer un autocollant « Pas de publicité S.V.P. », c’est-à-dire à peu près tout le monde.

 

Information, besoin fondamental

En allant chercher son courrier, on peut être surpris la première fois que l’on tombe sur le journal d’un parti politique sans y avoir souscrit, d’autant plus lorsque l’étiquette susmentionnée est placée bien en vue du facteur. « Mais que vient donc faire cette publicité ici ? », se demande Thomas W. avec détresse. L’explication est pourtant simple : le tout-ménage se défend dans son impressum en affirmant qu’il ne s’agit « ni [d’]une publicité, ni [d’]une réclame, mais [d’]une information politique. »1

Dans toute société, l’information est vitale : elle permet notamment d’anticiper les dangers mettant en péril la sécurité de ses membres et l’intégrité de leur territoire. Les rédacteurs du tout-ménage seraient les premiers à confirmer mes propos. Ce besoin fondamental est aussi relevé par Bill Kovach et Tom Rosenstiel dans l’étude intitulée Principes du journalisme, publiée en 2001 après des années de recherches en collaboration avec les médias journalistiques les plus importants des États-Unis, dans le but de remettre sur pied un journalisme en crise. Les auteurs prennent l’exemple des sociétés tribales d’Afrique ou du Pacifique auxquelles « il […] fallait des gens capables de franchir rapidement les collines avoisinantes, de collecter des informations précises et de les rapporter de manière engageante. »2 Par conséquent, pour atteindre leur but ces informations sont censées être aussi proches que possible de la réalité ; elles doivent être fidèles aux « faits », ce que tente d’exposer le tout-ménage en intitulant un tableau « Voici les faits »3. Inutile d’ajouter que c’est également l’idéal auquel sont supposés tendre les médias « d’information » et les journalistes (sans pour autant toujours y parvenir).

 

De l’« information » politique ?

Dans le cadre des votations fédérales, le support médiatique qui, à ma connaissance, diffuse les informations politiques les plus proches des « faits » est une brochure intitulée Easyvote, agrémentée sur Facebook de courtes vidéos dans lesquelles une voix monotone ressort les arguments en faveur ou contre une décision politique4 : la monotonie a pour but de ne pas influencer le spectateur en accentuant certains points et les arguments les plus cohérents sont exposés, sans pour autant en proposer un verdict à la fin. Si les arguments ne sont pas explorés dans les détails (par exemple en termes de chiffres), ils permettent toujours au spectateur de les approfondir par soi-même après en avoir pris connaissance et, surtout, cela permet à Easyvote de rester « indépendant », condition indispensable à toute information prétendant refléter la « réalité ».

De toute évidence, il ne s’agit que d’un idéal, étant donné que l’ordre dans lequel les arguments sont amenés a une influence sur l’opinion du spectateur. Dans ce sens, une « information » politique plus difficile à évaluer est la brochure explicative rouge du Conseil fédéral, envoyée en annexe à chaque bulletin de vote : non seulement l’argumentation du camp adverse semble toujours limitée à une page5, mais, de plus, la brochure met l’accent sur les recommandations de vote et les arguments du Parlement et du Conseil fédéral ; elle n’est donc pas indépendante.

 

Contenu partiel du tout-ménage

Venons-en aux « faits » : le tout-ménage de l’UDC n’est ni « indépendant », ni le plus fidèle possible à la « réalité ».  Il ne diffuse donc pas de l’« information » politique et je ne prendrai qu’un simple exemple parmi d’autres pour le démontrer.

Cette édition spéciale consacre ses six premières pages (sur 14) à la défense de son initiative « de mise en œuvre » pour le « renvoi effectif des étrangers criminels ». Elle y place cinq fois l’affirmation selon laquelle « la classe politique », « le Conseil fédéral » ou « le Parlement » ont refusé de mettre en œuvre l’initiative acceptée le 28 novembre 2010, attribuant ce refus à une opposition intentionnelle à la volonté du peuple. Y est aussi indiqué quatre fois que ces mêmes institutions ont pris trop de temps à établir un projet de loi, sans pour autant y apporter d’explication, mais suggérant que ce retard était dû à la mauvaise volonté de Berne. Une cause alternative n’est mentionnée qu’une fois seulement: « La Berne fédérale a par la suite tout mis en œuvre – toujours sous le prétexte du droit international – pour empêcher l’application de la nouvelle disposition constitutionnelle. »6

Notons que même lorsque le droit international est évoqué, le voilà transformé en prétexte utilisé par le Conseil fédéral pour retarder l’application du texte. Pourtant, s’il est possible que certains politiciens ne tenaient pas à appliquer l’initiative, cette dernière était de fait incompatible avec l’accord sur la libre circulation des personnes avec l’Union européenne, ainsi qu’avec la Convention européenne des droits de l’homme7 que le Conseil fédéral tentait de préserver pour la population. À la place, le tout-ménage établit une dichotomie implicite entre, d’un côté l’UDC et le peuple, de l’autre les institutions étatiques qui agiraient à leur encontre. La place importante que tient l’UDC au Parlement est ainsi oubliée et le Conseil fédéral ne semble agir que dans son propre intérêt ; un intérêt qui, par ailleurs, reste totalement flou.

 

Une explication pourtant simple

Si la brochure rouge du Conseil fédéral est difficile à évaluer à côté de celle d’Easyvote, le tout-ménage de l’UDC contient quant à lui des « informations » tellement partielles, voire fausses – par exemple en affirmant que les femmes ne rencontreraient plus d’agresseurs si l’initiative était acceptée8 – qu’il est impossible de parler d’« information » politique. Si le parti tenait à en fournir, il aurait dû dans tous les cas évoquer les raisons pour lesquelles l’application du texte de 2010 était difficile, ou du moins expliciter clairement son opposition à un traité comme la Convention européenne des droits de l’homme. Plus généralement, le tout-ménage ne prend même pas la peine de mentionner les arguments opposés à sa nouvelle initiative – ou au moins de faire semblant de le faire – pour prétendre fournir une « information » juste et équilibrée. Son contenu est alors plus proche de la publicité9 qui tente de convaincre son lecteur à adopter une idée, ou à adhérer à une idéologie. Pour quelle raison La Poste persiste-t-elle donc à distribuer partout le tout-ménage ?

La réponse, en réalité plus simple qu’attendue, fera peut-être passer cet article pour un pavé dans la mare : plusieurs envois, comme le courrier des autorités, des organisations caritatives de collectes de fonds ou encore des partis politiques, sont rangés par La Poste dans la catégorie des envois dits « officiels » et non « commerciaux »10. Contrairement à ces derniers, ils peuvent donc être distribués partout. Selon Oliver Flüeler, responsable du service de presse de La Poste, il n’y aurait aucun moyen de refuser le tout-ménage : « La seule solution est de [le] jeter soi-même […] à la poubelle, ou de le recycler. » Quant à l’UDC, considère-t-elle sa publication comme un média « journalistique » à proprement parler, utilisant d’ailleurs à cette fin certains codes de la presse (format berlinois, interviews, chapôs ou encore encadrés), ou plutôt comme de la publicité pour sa cause ? Contacté, le secrétaire général de l’UDC Martin Baltisser se contente d’ajouter qu’en toute logique pour un parti, « l’UDC prend aussi position pour ses préoccupations dans ses publications. »11 Qui oserait contester une telle affirmation ?

Si jusqu’ici vous vous êtes fait avoir par l’intitulé de cet article, je ne peux que vous conseiller de ne pas vous arrêter aux titres des objets de votations pour fixer votre décision, le 28 février prochain.

 


1   Édition spéciale de l’Union Démocratique du Centre, édition janvier 2016, p. 2.

2   Bill Kovach et Tom Rosenstiel, Principes du journalisme : ce que les journalistes doivent savoir, ce que le public doit exiger, Paris, Gallimard, 2014, p. 11.

3   Édition spéciale de l’Union Démocratique du Centre, édition janvier 2016, p. 3.

4   Easyvote, URL  : https://www.easyvote.ch

5   Affirmation seulement basée sur mes observations.

6   Édition spéciale de l’Union Démocratique du Centre, édition janvier 2016, p. 6.

7   Le Temps, « Renvoi des délinquants étrangers: l’UDC remet la pression », 28 décembre 2012, URL : http://www.letemps.ch/suisse/2012/12/28/renvoi-delinquants-etrangers-udc-remet-pression

8  Édition spéciale de l’Union Démocratique du Centre, édition janvier 2016, p. 3.

9   Ou plus proche de la propagande, mais la distinction n’a pas grande importance ici.

10 Rubrique « Bon à savoir », document « Offre PromoPost », p. 4, URL : https://www.post.ch/fr/entreprises/expedition-transport/envoi-de-publipostages-en-suisse/envois-non-adresses/promopost-standard-standard-plus

11 « Die SVP ist eine Partei und nimmt damit in ihren Publikationen auch Partei für ihre Anliegen. »

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