Juan Mata, passé de Chelsea à Manchester United cet hiver © www.eurosport.fr
C’est une situation qui n’a rien d’anormal. Un contexte sûrement pas particulier. Aucune habitude ne s’est vue rompue. Autant dire qu’ils sont peu à s’en insurger. Il faut aller les chercher les lésés. Ou du moins ceux qui se sentent lésés, car ils se sont un peu appropriés ce statut de victime, peut-être par la délicatesse de leur position ou par le goût de la déstabilisation de leurs alter-égos. Dans les faits, nous touchons à la fin du moins de janvier. L’amateur de football le sait, les jours y sont comptés. Les jours pour voir son club recruter la perle rare, ou faire un coup comme aime le commenter le chroniqueur.
En l’occurrence, Manchester United n’a d’autre choix que de le réaliser ce « coup ». La première partie de saison des Red Devils est un désastre aux yeux des observateurs et le titre de champion qu’ils avaient décroché en juin dernier semble d’ores et déjà perdu. Pire, une qualification en Ligue des Champions se rapproche au fil des semaines de l’illusoire. Face aux critiques, la seule solution est de donner une nouvelle impulsion, relancer la machine. Pour ce faire, les possibilités ne sont pas nombreuses, ni aisées. La plus abordable, paradoxalement, est de faire parler le portefeuille. C’est ainsi que Juan Mata est passé d’ignoré de Mourinho à homme providentiel pour Moyes.
Somme toute, une affaire classique, dont les principales discussions ont porté sur l’intérêt tactique et technique pour United. Mais, alors que l’histoire n’aurait dû se trouver une suite que sur le terrain, il a fallu une victime. Celle-ci s’est trouvée là où on ne l’attendait pas : à Manchester, mais du côté des frères ennemis de City et de son entraîneur Manuel Pellegrini. Pourtant pas vraiment touché directement (au vu du classement) par un United renforcé, le Chilien y a vu une incohérence : « Personnellement, je ne suis pas d’accord avec le fait qu’un joueur puisse quitter une équipe pour une autre dans le même championnat à ce moment de l’année, mais les règles sont les règles et il peut changer de club »1.
Fort de ces derniers mots, Pellegrini a mis le doigt là où rares avaient osé le mettre : la pertinence du mercato hivernal. Et de promouvoir un débat qui ne trouve sa place qu’outre-manche. Une idée dont on n’ose peut-être pas discuter ailleurs. Ou qui, et c’est sans doute l’explication la plus probable, souffre de l’absence de culture foot en Suisse principalement. Là où on préfère discuter au cas par cas de la pertinence des transferts, sans pousser à un débat de fond sur la nature même du marché. Comme pour bien d’autres thèmes traitant du football.
Les déclarations de Pellegrini mènent à se pencher sur cette question et à se demander si, au fond, le mercato d’hiver n’incarne pas une aberration du football moderne. Une question dont l’intérêt peut paraître difficile à saisir, dans un pays où le hockey sur glace, et ses transferts à tout moment et pour quelques matchs, est roi. Mais qui a une justification toute trouvée dans l’idée que, dans le jeu qu’est le football, il semble incongru que l’on puisse, en cours de partie (comprenez de saison), changer ses cartes, donc ses joueurs, et ainsi donner une tournure toute autre au jeu.
Pourquoi un mercato hivernal ?
Il convient, dans un premier temps, de s’interroger de l’utilité du mercato d’hiver pour un club de football. Les réponses paraissent évidentes. Et, dans ce cas-là, nul besoin vraisemblablement de se dégager de celles-ci. Par une déduction logique, la correction s’impose. Plus précisément, on corrige une erreur dans l’application de la politique sportive lors de la pré-saison. Par exemple, au plus près de nous, les recrutements de Margairaz et Korede (auxquels on peut ajouter ceux de Roux et Marazzi) par le Servette FC répondent aux besoins d’un meneur de jeu et d’un latéral polyvalent apparus durant la première partie de saison. Ainsi, quel que soit l’objectif (renforcer un secteur, doubler un poste ou autre), cette pratique s’inscrit dans une idée de remédier à une tentative défaillante, un oubli, une assurance s’avérant finalement faillible. Pour éviter la fuite en avant, donc, un club cherche à apporter une correction.
Il ne fait alors nul doute que la remédiation est légitime. Le droit à l’erreur est évident, moralement parlant. La condamnation ferait difficilement sens. En soi, la réflexion qui mériterait d’être posée concerne l’automaticité (ou la quasi-automaticité) de la réparation. Est-il normal, dans un jeu à forces inégales comme le football, que celui qui commet une erreur de politique sportive puisse, avant même la fin de la partie, corriger sa faute sans véritablement percevoir les conséquences de celle-ci ?
Corriger aussi vite que possible
Il est incontestable que la première partie de saison a son importance, mais la seconde partie est celle qui détermine les gagnants et les perdants. Pour les plus grosses équipes, un titre se gagne entre mars et avril. Un titre de champion n’est conditionné que faiblement par une première place à l’automne. Le tout est d’avoir su limiter la casse, tant pour les candidats au titre que pour les prétendants à la relégation. Dans les moments importants, la dynamique fait foi. Et, parfois, il suffit d’un joueur, peut-être deux, pour concrétiser une série heureuse permettant de se rapprocher du paradis ou de se dégager des enfers. Les décideurs sportifs des clubs en ont conscience et, pour relancer la machine là où elle a failli (et qu’ils ont fait faillir), cet outil qu’est le mercato reste le plus aisé à manier. Trop facile ? Il n’en fait pas de doute.
Cet accès facilité à la correction des erreurs rend le jeu trop simple. La saison n’est plus une entité. Elle est divisée en une partie pré-mercato, où l’on essaie avec ce qui se présente à nous sans pousser la réflexion, et une partie post-mercato, qui, plus qu’une session d’ajustement, vise à rebattre les cartes pour inverser les tendances. Une réparation, totalement automatisée aujourd’hui, incarne une ingérence peu souhaitable dans la bataille intellectuelle et réflexive que doivent se livrer les clubs. Alors pourquoi ne pas attendre la fin de la saison pour ouvrir, à nouveau, une session de mercato, permettant aux directions sportives de faire parler leurs qualités d’anticipation et tactiques pour réaliser une saison pleine ?
Dans cette idée, nous nous devons tout de même d’accepter la possibilité de la blessure, qui se moque facilement des prévisions. Bien que la blessure fasse partie intégrante du sport professionnel qu’est le football et se doit d’être envisagée, l’accident grave n’y appartient pas. Comprenons ici la blessure longue durée et malheureuse. Refuser l’idée d’un joker médical serait la porte ouverte aux excès. Mais elle devrait, dans une perspective idéaliste, être placée sous des conditions à déterminer (gravité de la blessure, durée d’indisponibilité minimale par exemple).
Réguler pour éviter l’accroissement des inégalités…
Outre la question de la spontanéité de la correction qui, peut-être, n’aurait pas de raison d’être posée dans des championnats égalitaristes, les différences financières existant entre les clubs incarnent sans doute la principale marque de l’incohérence d’un mercato en cours de saison. Poursuivant sa réflexion sur le recrutement de Mata par United, Pellegrini soulevait ce point : « Un club avec de l’argent peut prendre les meilleurs joueurs des autres équipes ». Pas la plus poussées des déductions, mais on ne peut plus réelle. Au point que, dans certains championnats, certains clubs font figure d’hégémon. Le FC Bâle en est un parfait exemple quand, à la peine en championnat à l’hiver 2013, il affaiblit ses concurrents directs en s’offrant le capitaine de Sion (Serey Die) et l’attaquant des Young Boys (Bobadilla). Ainsi, le mercato hivernal n’apparaît pas uniquement comme un moyen de se renforcer, mais également d’affaiblir des postulants trop faibles pour rivaliser économiquement.
Mais, paradoxalement, si les moins puissants ne font pas vraiment entendre leurs lamentations, on peut croire qu’ils y trouvent leur compte. Puisque quand le plus riche peut se corriger par sa manne financière lorsqu’il se rend coupable d’erreurs, il fait également profiter les pauvres (par des indemnités ou en prêtant certains de ses joueurs). Le monde du football est gagnant avec le mercato (également les joueurs et les médias, qui font du chiffre en perpétuant les rumeurs les plus improbables).
Ce constat implacable ouvre la voie à un imposant débat moral. Quel intérêt, pour de tels acteurs, de faire évoluer une situation qui les contente plutôt bien ? Fort des arrêts Bosman et Webster, le football d’aujourd’hui se satisfait bien des excès qu’il produit.
Mais face à cette poursuite vers un football toujours plus flexible, conjugué à une approche dont la visée semble analogue au modèle américain des ligues fermées, n’est-il pas temps d’imposer des régulations, des limitations ? Le financial fair-play de Michel Platini, président de l’UEFA, va sans doute quelque peu dans ce sens et il convient de le soutenir.
…et pour stimuler la réflexion !
Cependant, même si une conception plus régulatrice du football est séduisante, la suppression d’un mercato hivernal est aussi un moyen de valoriser la réflexion intellectuelle face à la puissance de l’argent, de faire parler les idées humaines plutôt que les fonds d’investissement.
En effet, les politiques sportives de nombreux clubs européens sont aujourd’hui négligées. Le choix des hommes tend à donner la priorité au réputationnel quand le qualitatif devrait primer. Nombreux sont les clubs qui offrent des postes de directeur sportif ou de manager à des hommes qui n’ont pas pris la mesure de ce que ce rôle impliquait. Pour l’exemple, les déboires dans les recrutements de l’AC Milan ou de l’Olympique de Marseille ces dernières années apparaissent comme des idéaux-type de ce qu’il ne faut pas faire. Notamment avec les budgets à disposition. À l’inverse, la politique toujours cohérente du FC Porto depuis la fin des années 2000 ou la ligne directrice qui a été suivie au Borussia Dortmund sont des modèles incontestables.
De plus, cette réflexion essayiste ne tente pas de forcer le succès des plus petits et de pousser à une approche égalitariste du football (du moins, ce n’est pas le sujet), mais plutôt de contraindre les plus puissants à réfléchir. Ce que certains ont su faire, à l’instar du Bayern Münich ou Arsenal. Ou encore le Paris Saint-Germain qui, fort de moyens illimités, a certes entrepris des dépenses faramineuses mais dont la cohérence est indéniable.
En conclusion, cette réflexion sur la non-pertinence d’un mercato au milieu de saison cherche surtout une solution pour limiter l’impact de la puissance financière sans que cela ne soit trop contraignant et pousser à plus d’intelligence dans les choix que font les hommes.
Par ailleurs, il reste intéressant de signaler que cette pensée vaut aussi pour l’idée qui, comme ont pu le signaler Wenger ou Pardew, considère comme aberrant le fait que le mercato estival se termine alors que les championnats ont déjà commencé. Et qui permet aux équipes de débuter un championnat sans forcément réfléchir avant et en attendant simplement de constater ce qui va et ne va pas.
Le football ne doit pas se contenter d’être un sport, il doit aussi s’offrir la possibilité de paraître tel d’un champ de réflexions où les idées se confrontent et se débattent.
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