Sport Le 26 juin 2018

Faire craquer le solide bloc serbe, mode d’emploi helvétique

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Faire craquer le solide bloc serbe, mode d’emploi helvétique

Serbie-Suisse, Mondial 2018, Kaliningrad [T.Irschlinger]

Quel match de la Nati! Après un bon point pris contre le Brésil pour entamer son Mondial 2018, l’équipe de Suisse de football a battu la Serbie 2-1. Valentin Schnorhk livre son analyse tactique sur ce succès helvète à l’aide notamment de séquences vidéo.


 

En battant la Serbie 2-1, la Suisse est très proche des huitièmes de finale de la Coupe du monde. Un succès acquis à la patience.

Une belle victoire, mais surtout un résultat très important. Ainsi devrait-on analyser le succès 2-1 de la Suisse contre la Serbie, acquis dans les dernières minutes vendredi soir. Cela permet à la Suisse d’aborder sereinement le dernier match, particulièrement embêtant (bloc très bas et dense et un Navas qui brille au but), face au Costa Rica.

Contrairement au premier match, la Suisse a plus souvent eu le ballon face à la Serbie, ce qui lui a permis de travailler un adversaire très regroupé. Mais elle a paradoxalement dû trouver par elle-même des solutions pour s’affranchir de cette construction (trop) patiente. Tout en essayant d’offrir une réponse physique convaincante. Une analyse garantie sans référence aquiline.

 

Les systèmes

Très peu de surprises dans les compositions d’équipe alignées par Vladimir Petkovic et Mladen Krstajic. Alors que le premier a tout simplement choisi le même onze que lors du premier match contre le Brésil (1-1, lire l’analyse ici), le second a simplement inséré Kostic à la place de Ljajic, par rapport à la victoire contre le Costa Rica.

Dans l’animation, cela a été très fidèle aux habitudes côté suisse. La seule différence, déjà légèrement constatée contre le Brésil, résidait en un Dzemaili plus bas que Seferovic sans le ballon. La Nati ne défend pas vraiment en 4-4-2 mais plutôt en 4-4-1-1. Pour le reste, avec le ballon, Behrami vient se placer entre les défenseurs centraux et Xhaka tente d’offrir un premier relais entre les lignes. Notons enfin le rôle très libre de Shaqiri, partant de son couloir droit pour toucher un maximum de ballons dans l’axe.

Pour les Serbes, signalons le positionnement très haut de Milinkovic-Savic. La pépite serbe a joué très près de son attaquant Mitrovic, pendant que Milivojevic et Matic se sont consacrés à la protection de leur défense.

 

Un match rythmé par les duels

La Suisse le savait: elle accuserait un déficit évident de taille face à la Serbie. Avec une moyenne s’approchant des 188cm sur le onze de départ, l’équipe alignée par Krstajic voyait environ 6 cm plus haut que ses adversaires. Le combat physique était plus que probable, et il convenait de composer avec ses faiblesses. Par exemple, en étant prêt à faire preuve d’intelligence dans la gestion des duels (en bloquant l’espace attaqué par l’attaquant, en gênant la préparation du duel de ce dernier ou encore en anticipant la trajectoire du ballon). Sauf que la Nati n’y était pas prête.

Les relations privilégiées par la Serbie: les dégagements de Stojkovic à destination de ses attaquants, ainsi que les ballons de Tosic vers Milinkovic-Savic. Le message est clair: place aux duels aériens. (Source: @11tegen11)

 

La Serbie a donc logiquement insisté sur le combat aérien dès l’entame de match, à raison de dégagements longs dans la zone axiale où Mitrovic et Milinkovic-Savic étaient prêts à donner du leur. La Suisse le savait: elle a décidé de ne pas presser, laissant les défenseurs centraux serbes allonger. La seule préoccupation de Dzemaili et Seferovic (puis Gavranovic): bloquer la relance vers l’axe, vers Nemanja Matic. Le joueur de Manchester United était en effet le seul Serbe capable de « transpercer » le milieu suisse et apporter du danger en zone 3 balle au pied. D’ailleurs, dès qu’il était servi, Valon Behrami faisait en sorte de gêner de très près sa progression en sortant sur lui. Cela n’a pas toujours été bien fait, comme l’illustre la vidéo ci-dessous.

 

Il n’empêche, la Serbie a très vite recouru à la filière longue. L’impact physique des milieux de terrain Matic, Milivojevic et Milinkovic-Savic lui permettait de gagner également les deuxièmes ballons, qu’ils soient aériens ou au sol. Dans ce domaine, « SMS » (pour Sergej Milinkovic-Savic) était particulièrement présent. Son idée: transmettre ensuite la balle à Tadic qui, sur son côté droit, a fait beaucoup de mal à Rodriguez. Si le latéral gauche suisse avait bien appréhendé son premier face-à-face en contraignant son vis-à-vis à se mettre sur son pied droit (le mauvais pied de Tadic), il s’est retrouvé les fesses à terre sur tous les suivants. La capacité de l’ailier de Southampton à crocheter sur son pied gauche a fait la différence. Lui permettant ensuite de centrer, pour offrir d’autres duels aériens à ses coéquipiers. Dans la surface, cette fois.

Les duels aériens offensifs joués par la Serbie en 1ère mi-temps. 11/14 remportés, dont 4/4 dans la surface suisse. On voit également la recherche de l’axe sur ces ballons. (Source: @StatsZone)

 

Comme le diagramme ci-dessus le démontre, la Serbie a réalisé une première mi-temps très intense et quasi parfaite au niveau des duels aériens. Surtout, la domination affichée dans les 16 mètres suisses met en exergue les difficultés rencontrées par la Nati. Notamment face à l’attaquant (et buteur après 5 minutes) Alexsandar Mitrovic, lequel a été injouable pour Schär et Lichtsteiner.

Pourtant, après une première période désastreuse dans le domaine, la Suisse va progressivement revenir dans le match. La raison: une plus grande détermination helvétique, ainsi qu’une Serbie accusant le coup sur le plan physique. La Suisse s’est alors donnée plus de chances de sortir « gagnante » de cette phase de jeu, mais surtout de pouvoir subir un peu moins la pression serbe. En remportant les duels, la Nati mettait bien plus facilement le pied sur le ballon, en faisant donc diminuer l’intensité physique du match.

 

Autre élément de cette intensité serbe déclinante: la récupération du ballon à la perte. C’est ce qui a permis de garder sous pression la Suisse sur le 1-0, lorsque Zuber a été pressé immédiatement sur le deuxième ballon. Un élément beaucoup moins prégnant au fil du match et carrément absent sur le 1-2, lorsque Xhaka peut facilement trouver une ligne de passe verticale depuis sa surface de réparation. Le contraste entre la 1ère et la 2ème mi-temps est flagrant côté suisse. De 21%, le pourcentage de duels aériens défensifs gagnés est passé à 62% après la pause. Le chiffre n’est pas extraordinaire, mais la progression est nette. Cela a participé largement de la victoire suisse.

En 1ère mi-temps, la Suisse a remporté 3 duels aériens défensifs sur 14. (Source: @StatsZone)

En 2ème mi-temps, elle en a remporté 8/13. (Source: @StatsZone)

 

A noter que si la Suisse a pu remporter plus de duels, elle le doit surtout à Manuel Akanji. Tant de fois loué ici même pour ses qualités de relance, son impact défensif est tout aussi impressionnant depuis le début de cette Coupe du monde. Le passage au révélateur du plus haut niveau est, pour l’instant, réussi. Son match contre la Serbie n’est pas loin d’être un modèle du genre pour un jeune de 23 ans: 5/7 dans les tacles (ou duels au sol), 2 interceptions, 5/5 aux dégagements, 2/2 aux dégagements de la tête et 6 duels aériens remportés sur 8. Patron.

 

Le grand défi suisse: passer la ligne de pression

La Suisse de Vladimir Petkovic aime avoir le ballon. Lorsqu’elle le peut, elle s’engage dans de longues périodes de conservation, avant de trouver une solution, soit côté gauche avec Rodriguez, soit à l’intérieur avec Xhaka. Ce n’a donc pas été surprise de voir la Nati avoir souvent le ballon (63-37% à la possession), même en première mi-temps, lorsqu’elle a eu des difficultés à sortir la tête de l’eau. Encore fallait-il pouvoir avancer.

La chose n’était pas évidente car la Serbie a fait en sorte de bloquer l’axe (et Xhaka) en orientant le jeu suisse vers les côtés, où il serait plus simple de piéger Rodriguez et Akanji et Lichtsteiner et Schär. La tâche a été plutôt accomplie, grâce à une ligne de pression très dense. Sachant que la Suisse relance avec trois joueurs (Schär, Behrami et Akanji), Krstajic avait choisi de lui confronter trois attaquants: Mitrovic, Milinkovic-Savic et l’ailier gauche Kostic. Quant à Tadic, il se chargeait de gérer les montées de Rodriguez, logiquement reconnu par la Serbie comme le latéral le plus dangereux.

Passmap de la Suisse. On voit que les relanceurs, plus Xhaka, s’échangent énormément de ballons. Mais Shaqiri est lui aussi très souvent touché en second rideau. Sa position moyenne est d’ailleurs très axiale. (Source: @11tegen11)

 

Dans de telles situations, la clé est de pouvoir créer une supériorité numérique, afin de créer un espace pour avancer (si tous les « attaquants » sont marqués ou pressés, il restera un joueur libre avec de la place pour progresser). D’autant plus que quiconque avait observé la Serbie lors de son premier match face au Costa Rica avait pu déceler des faiblesses une fois la ligne de pression passée. D’abord à 3v3, la Suisse a donc cherché à utiliser le soutien de Xhaka pour créer un 4v3. C’était sans compter sur la forte présence des milieux Matic et Milivojevic dans son dos.

 

D’ailleurs, Xhaka était l’un des joueurs les plus ciblés par la Serbie, au point qu’il était très vite mis sous pression dès qu’il recevait le ballon (notamment dos au jeu) et que les lignes de passe vers lui étaient réduites au minimum. Ce qui ne l’a pas empêché de toucher 91 ballons (pour 80 passes réussies). Mais il a souvent dû se placer devant la ligne de pression serbe, soit à côté de ses relanceurs, pour pouvoir être servi. Malgré cette difficulté, Xhaka a réalisé un excellent match dans l’orientation du jeu: à savoir être capable de faire bouger le bloc adverse de gauche à droite et de droite à gauche, de façon à trouver ces espaces entre les lignes. Et donc un joueur plus avancé, régulièrement Shaqiri.

Car la Nati a finalement souvent réussi à progresser sur le terrain. Notamment au fur et à mesure que le bloc serbe se délitait, puisque moins frais physiquement. Le principe ne change pas: pour avancer, la supériorité numérique est d’une grande aide. Pour la Suisse, elle est très souvent venue de Shaqiri, lequel n’a pas hésité à se balader entre les lignes, quittant très, très souvent son côté droit. En s’insérant dans le jeu, le petit ailier a permis de redonner un surnombre à la Suisse dans la zone axiale (6v5, notamment grâce à la présence de Dzemaili, qui a aussi désorienté le milieu serbe). Shaqiri aura fait ce mouvement tout au long du match, mais en étant plus souvent trouvé par ses partenaires au fil des minutes (avec 13 ballons reçus de Xhaka, son deuxième pourvoyeur préférentiel après Lichtsteiner, qui lui a donné 15 passes). Son match est plein: c’est lui qui a le plus souvent créé le décalage.

 

Et pour créer ce décalage, la Suisse a dû varier ses approches. A savoir que la construction patiente ne portait pas vraiment ses fruits, car les espaces étaient très réduits, même en arrivant devant une faible défense serbe. D’autant plus que le jeu dos au but de Dzemaili ou Seferovic était particulièrement inefficace (il y eut un mieux dans ce domaine avec les entrées d’Embolo et Gavranovic).

Première variante: une possession très basse, proche de la surface suisse, pour faire venir le pressing serbe. En prenant beaucoup de risques à la relance (courte et rapide), Sommer a donné le signal. Cela permettait d’attirer la Serbie afin de passer plus facilement la ligne de pression (sur un enchaînement de courtes passes en une touche par exemple, ce que la Nati maîtrise plutôt bien) et d’attaquer les espaces qui mèneraient à la défense serbe. Face à un adversaire en mouvement, celle-ci peine plus que dans des duels « arrêtés ».

Seconde ressource: un jeu court mais plus direct, qui permettrait de casser des lignes dès la récupération du ballon. Cependant, la Suisse, on l’a vu contre le Brésil, n’est pas une excellente équipe de transition. Cela a donc rarement fonctionné, aboutissant à une nouvelle construction face à un bloc bas. Mais c’est tout de même suite à une telle filière que Xhaka a pu égaliser et que Shaqiri a pu donner la victoire aux siens.

 

Aux Expected Goals (buts théoriques, selon la position de frappe), la Suisse est largement devant. Elle le doit aux nombreuses occasions en fin de match. La Serbie a elle aussi loupé de grosses opportunités, notamment juste avant la mi-temps. Source: @11tegen11

 

Tiens, ce recours efficace aux contres-attaques pourrait être utile à l’heure d’évaluer la marge de progression de l’équipe de Suisse. Mais, pour cela, il faudra compter sur des joueurs meilleurs dans un rôle d’appui. Ou alors d’autres qui soient capables de casser des lignes balle au pied. Ce qui pourrait aussi servir pour créer des décalages face à un bloc resserré comme celui du Costa Rica. Suivez-mon regard.

 

A retenir

Le match s’est surtout joué sur les duels aériens. Un secteur où la Serbie a été ultra dominatrice, notamment en 1ère mi-temps, avant de décliner en 2ème. Le match a pu tourner.

La Suisse a été confrontée à la difficulté de passer la ligne de pression serbe. Elle a dû trouver des solutions pour y parvenir: parmi elles, l’utilisation de Shaqiri et la capacité à avancer vite ont été particulièrement probantes.

 

Retrouvez d’autres analyses de Valentin Schnorhk sur son blog « Sauter le verrou ».

Commentaires

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Guillaume

Bravo Valentin! Belle et intéressante analyse.

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Sasa

Intéressante analyse... Et le penalty qi aurait dû être sifflé?

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Guillaume

Bravo Valentin!

Belle et intéressante analyse.

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Sasa

Intéressante analyse… Et le penalty qi aurait dû être sifflé?

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