« Plumez ce coq! ». Le Matin avait franchi sans doute la dernière des limites vendredi lorsqu’il présentait de la sorte sa Une. Apparemment soucieux de se mettre au niveau de son alter ego alémanique, le quotidien orange touchait finalement le fond, emportant avec lui une frange bien trop importante des suiveurs de l’équipe de Suisse. Après cinq jours d’une euphorie générale qui s’était saisie de l’opinion publique, et parfois spécialisée, de notre pays suite au Suisse-Équateur, le paroxysme était atteint. Il devenait alors impossible de faire marche arrière, l’impression d’invulnérabilité était installée dans les consciences collectives.
Cette nonante-troisième minute dimanche passé (incarnée par le but décisif de Haris Seferovic) aura vraisemblablement causé une partie de la fuite en avant de l’aveuglement du supporter helvète. Pourtant, ce n’était pas faute de trouver des voix préventives. Du côté de la RTS notamment, les commentateurs Alexandre Comisetti et, surtout, Philippe Von Burg s’étaient longtemps désolés de la piètre prestation de la Nati avant de pousser un cri qui s’apparentait plus à du soulagement que de l’admiration sur le 2-1. Mais, sur fond de patriotisme, d’aucuns ont cru bon de taxer ces commentaires de pessimistes ou de défaitistes sur une équipe nationale qui n’arrivait alors à rien ou presque. Pire encore, Le Matin s’en était fait le relais mardi en Une, une fois de plus, en évoquant « l’indignation » suscitée par des commentateurs qui ne pouvaient cependant être plus justes malgré, par moment, un côté « Café du Commerce » quelque peu gênant. Le suiveur de cette équipe de Suisse, souvent occasionnel et rapatrié d’urgence à son chevet en période de compétitions internationales, semble mal se satisfaire de l’objectivité.
Ce dernier sera pourtant contenté lorsque, dès la fin du match et le lendemain dans la presse, les analyses se sont félicitées d’une deuxième mi-temps de qualité. De quoi déclencher la vague de l’optimisme à outrance.
Une déception prévisible
En se satisfaisant grandement d’une victoire acquise au courage ou, c’est selon, par la chance, beaucoup ont vu arriver l’opposition de vendredi soir face à la France avec des certitudes. Or, ces dernières ne sont pas si simples à trouver. Une défense semble-t-il solide, mais qui ne laisse pas serein, un milieu travailleur et des latéraux infatigables, en résumé. Tout en espérant voir Shaqiri décanter le tout. Plus que des certitudes, cela s’apparentait surtout à des motifs d’espoir. Mais c’est peut-être là le principal mal de notre football et, principalement, de notre équipe nationale. Aimant se définir comme « La petite Suisse », elle s’imagine faire des choses mais se contente de peu. Et surtout, nous souffrons, elle et nous, d’un déficit d’exigence maladif.
Il ne fallait pas être un fin connaisseur pour se rendre compte que le match contre l’Équateur ne pouvait être une référence sur laquelle s’appuyer. Il suffisait simplement d’avoir suivi une ou deux rencontres de cette sublime Coupe du monde (footballistiquement parlant) pour s’apercevoir que celle-ci manquait cruellement de rythme. Les enchaînements étaient lents, régulièrement mal réalisés par un manque de technique criant relativement à la moyenne (élevée) de ce Mondial, et les mouvements pouvaient relever de l’événement. En laissant le ballon à la Suisse, en serrant les lignes et en bloquant les latéraux Lichtsteiner et Rodriguez, l’Équateur avait vu tout juste. La Suisse, mais ce n’est pas nouveau, est très faible lorsqu’il s’agit de faire le jeu; elle a besoin de laisser le ballon à l’adversaire et de transitions directes et rapides à la récupération, à l’instar de cette contre-attaque très bien menée sur le but de la 93ème minute.
Grâce à deux buts en seconde mi-temps (sur un corner et une action de rupture à la dernière seconde), les observateurs étaient donc repus. Au final, indéniablement, le travail avait été fait. On n’avait, il est vrai, demandé que trois points à la Nati sur cette rencontre contre l’Équateur, ce qu’elle a, non sans mal, réalisé.
Se pose alors cette interrogation fondamentale pour saisir mon propos : pourquoi n’avoir pas analysé en profondeur les maux des 92 premières minutes contre l’Équateur ? Si cette question ne s’adresse pas à Hitzfeld et sa bande, qui l’ont sans doute fait, elle vise en revanche directement médias et consultants. Certains ont vu l’équipe tétanisée par l’enjeu, ce qui est probable. Mais cette équipe n’est pas capable de se sauver par sa technique ni par son envie de jouer, ce qui pourrait permettre de s’en sortir plus facilement malgré la pression. En même temps, ce pays n’a jamais demandé à son équipe de jouer bien et de gagner, il a préféré lui commander de bons moments.
Lorsque, en 2008, Ottmar Hitzfeld a succédé à Köbi Kuhn à la tête de la sélection nationale, cela devait marquer un tournant dans l’histoire récente de la Nati. Grâce à Kuhn, elle avait retrouvé les compétitions internationales, après huit ans d’absence, exactement ce que l’on souhaitait retrouver. Mais, avec Hitzfeld, après un Euro 2008 désastreux, la Suisse devait commencer à gagner. Pourtant, cette idée n’a que peu fait son chemin. Se qualifier pour une Coupe du monde continuait à être un événement et une fierté. Et ce, peu importe la manière. Alors, forcément, quand la Suisse battait l’Espagne en ouverture du Mondial 2010, seule la joie avait sa place. En Suisse, personne ne relevait la prestation sans idée de cette équipe, qui s’était contentée de défendre et de jouer les coups à fond, à l’instar d’une vulgaire mais sympathique équipe amateure accueillant une Ligue A en Coupe de Suisse. La suite, avec la défaite contre le Chili et le nul contre le Honduras, était prévisible et a déçu. Il apparaissait déjà évident que le salut devait passer par le jeu. Finalement, nous n’avons appelé qu’à un renouvellement de génération, qui intervint au milieu de la campagne – ratée – pour l’Euro 2012, qui laissait entrouvrir des motifs d’espoir. Mais la routine d’Hitzfeld continuait à faire son chemin, l’important semblait être la victoire, peu importe la manière. Idée récompensée par la piètre qualification pour la Coupe du monde actuelle, dans ce qui était le plus faible des groupes de la zone Europe.
La victoire par le jeu
Pourtant, quiconque a suivi la compétition depuis dix jours pourra le confirmer : la victoire passe par le jeu. Le football actuel semble s’être fait à l’idée que la technique et l’envie d’aller de l’avant était la meilleure, et peut-être même la seule, recette pour gagner. Une idée qui ne s’apparente pas forcément au modèle espagnol et barcelonais de ces dernières années, essentiellement basé sur le jeu de possession. Certaines équipes se manifestent par un pressing intense et haut sur les défenses (comme le Chili par exemple), d’autres par un jeu direct à la récupération (le Costa Rica est dans ce registre) ou encore par une maîtrise technique et des enchaînements rapides et en une touche dans les trente derniers mètres (à l’instar de la Colombie). La tendance est désormais évidente. Même le très pragmatique Deschamps, tout en se basant sur un bloc compact, compte sur un milieu technique qui peut jouer en remise avec sa ligne d’attaque et créer rapidement des décalages.
Le Chili, le Costa Rica et même l’Australie, qui ne sont pas des pays majeurs du football, ont jusqu’ici démontré que l’on peut faire quelque chose de séduisant, mais aussi d’efficace avec des moyens réduits. La Suisse souffre alors peut-être d’un complexe d’infériorité en cherchant toujours à se caractériser comme la « petite ». Mais ce n’est sans doute pas une excuse pour cacher son incapacité à développer du jeu. Autant pour les médias que pour cette équipe. Nous manquons peut-être aussi en Suisse de chroniqueurs, de leaders d’opinion, capables de remettre en cause les carences de notre football et faire preuve d’exigence comme nous pouvons le faire dans les secteurs à succès de l’industrie helvète.
Il ne s’agit alors évidemment pas de décrier toute la façon dont est pensé notre football. Il serait injuste et idiot de critiquer notamment le travail de formation réalisé depuis plus de vingt ans par l’Association Suisse de Football. Cela nous a permis de retrouver de façon régulière le chemin des grandes compétitions internationales. Il est indéniable que nous avons des joueurs de talent, sans doute plus que nous n’en avons jamais eus. Nous avons appris à nos jeunes talentueux à s’exprimer au plus haut niveau avec perfection ou presque. En revanche, nous avons peut-être omis de leur inculquer la culture de la gagne, l’envie de s’imposer au plus haut niveau. Trop rares sont encore les joueurs suisses à s’être affirmés dans des grands clubs. Une fois encore, nous sommes fiers lorsqu’ils font partie d’un effectif de très haut niveau ou lorsqu’ils évoluent dans un grand championnat. Mais il serait désormais temps d’être plus demandeur vis-à-vis de notre sélection nationale, de nos clubs. Nous avons les moyens sportifs de faire bien plus que ce que l’on réalise actuellement, il ne faut absolument pas s’en contenter. Cette erreur dure depuis déjà six ou huit ans, elle doit être absolument, pour le bien de notre football, prise en compte.
Se qualifier, mais pour quoi faire ?
Néanmoins, ce n’est pas quelque chose qui peut être changé dès aujourd’hui, en pleine compétition internationale, après un match calamiteux contre une équipe de France plutôt séduisante (enfin !). Le salut devra venir du futur sélectionneur, après cette Coupe du monde. Vladimir Petkovic aura un rôle-clé. Il ne pourra continuer sur la lancée d’Hitzfeld, sous peine de risquer d’aller droit dans le mur. Petkovic devra faire des choix, amener de nouvelles idées qui soient également ambitieuses pour la Nati.
Il a déjà démontré en club, aux Young Boys et à la Lazio notamment, que sa vision du football était intéressante. Le travail sera différent avec une sélection, mais il devra prendre les décisions qui s’imposent pour mettre en place ses conceptions. Peut-être devra-t-il trancher dans le groupe, en mettant par exemple définitivement de côté Senderos et Djourou, en privilégiant Sommer à Benaglio, en reconsidérant la hiérarchie au milieu de terrain, en donnant un rôle autre que numéro 10 à Xhaka, en laissant de côté un 4-2-3-1 inefficient et inefficace. Il doit se voir comme le porteur d’un nouveau souffle, d’une nouvelle ère pour l’équipe nationale. Hitzfeld, malgré son passé des plus glorieux, a trop souvent été dans le sobre et l’affectif. Petkovic, lui, sans être excentrique, devra reconsidérer sa fonction, choisir ses véritables cadres et marquer l’évolution (et pas forcément le changement). Aujourd’hui, c’est par lui que nous devons espérer.
Mercredi, la Suisse battra peut-être le Honduras et se qualifiera pour les huitièmes de finale. L’Argentine risquera de se dresser sur sa route. Un épouvantail. Peut-être le genre d’adversaire qui lui conviendra mieux qu’une équipe repliée et elle s’en sortira malgré tout avec les honneurs. L’objectif aura été atteint. Mais, au fond, y a-t-il vraiment un intérêt à se contenter de si peu ? Ne serait-il pas préférable d’espérer une élimination précoce dès mercredi, une nouvelle désillusion, qui contraindra d’autant plus Petkovic à trancher dès sa première sélection en août ? Avec, cette fois, espérons-le, un ras-le-bol de l’opinion publique qui ne pourra que soutenir cette progression.
Valentin je comprends ton point de vue. Pour faire un parallèle avec le tennis, Nadal et Djokovic ont cette "culture…