Critique Médias Le 19 mai 2017

« Expliquer et éduquer », la panacée pour les journalistes sur les réseaux sociaux

0
0
« Expliquer et éduquer », la panacée pour les journalistes sur les réseaux sociaux

[Alexander Rentsch]

Afin de mieux comprendre la crise économique et politique qui secoue le paysage médiatique suisse, Jet d’Encre vous propose une semaine d’articles sur les différentes facettes de cette thématique, avec la participation de professionnels du milieu de la presse écrite et de l’édition, de la télévision publique et privée mais aussi de politiques impliqués dans le débat sur la redevance. Dossier complet ici.

 

En tant que spécialiste des réseaux sociaux à la RTS, voici les questions qui me sont fréquemment posées au sujet de l’évolution de notre consommation des médias.

 

Il y a 10 ans, les smartphones n’existaient pas et les – quelques – réseaux sociaux avaient un usage uniquement privé. Aujourd’hui, à quoi ressemble le panorama de la consommation des réseaux sociaux en Suisse – lequel est le plus consommé, lequel tombe en désuétude ?

Aujourd’hui le panorama des réseaux sociaux a bien évolué. Facebook se taille la part du lion dans notre partie du monde (ouest de l’Europe, monde anglo-saxon). Toutes les catégories d’âges et socio-professionnelles y sont présentes : 1,8 milliard de membres à l’échelle mondiale et 3,6 millions d’internautes y sont présents en Suisse. Facebook est clairement devenu un média à mon sens, car la plateforme propose différents contenus de type éditorial et opère une hiérarchie de l’information via ses algorithmes.

Les autres réseaux qui comptent actuellement sont Instagram et Snapchat. Ce sont deux réseaux très prisés des populations plus jeunes (moins de 30 ans pour Instagram et moins de 20 ans pour Snapchat). Twitter compte encore, mais seulement dans la sphère journalistique et médiatique au sens large (j’inclus le monde politique). Et il ne faut pas oublier Youtube, qui est aussi un réseau social, très, très prisé des jeunes et sur lequel les médias devraient beaucoup plus investir pour proposer du contenu original et non uniquement de la reproposition de programmes diffusés en broadcast.

 

Comment la RTS perçoit-elle les nouveaux canaux de communication que représentent les réseaux sociaux par rapport à ceux, plus traditionnels, de la TV et de la radio ? Quels sont les réseaux sociaux que vous privilégiez ou explorez en ce moment ?

Elle les voit comme des indispensables canaux complémentaires. Ce sont des plateformes où nous pouvons toucher des audiences que nous peinons à capter via nos canaux de diffusion traditionnels (TV-radio-web), notamment des publics plus jeunes. Nous les considérons également comme des canaux de diffusion en tant que tels, nous tentons donc d’y proposer des contenus dédiés et originaux. Nous privilégions Facebook et nous explorons Instagram (via les Instagram stories) et Snapchat. Nous essayons surtout de produire de nouvelles écritures et de nouveaux formats.

 

Les autres médias suisses en font-ils assez en matière d’adaptation à ces nouveaux formats et canaux de diffusion ?

Ils font ce qu’ils peuvent dans la mesure de leurs moyens et de leurs ressources. Etre présent de manière professionnelle, originale et efficace sur ces plateformes demande en effet aujourd’hui d’importants efforts financiers et humains. Tous les directeurs ou rédacteurs en chef n’ont pas encore pris conscience de l’importance d’y être présent de manière professionnelle et, du coup, ne mettent pas les moyens nécessaires pour ces développements.

 

La consommation d’information se fait de plus en plus sur mobile. Quels sont les défis pour les médias pour s’y adapter sans perdre en qualité ?

Il faut respecter les mêmes critères que pour toute autre production éditoriale : pertinence, faire sens, donner de l’info, déontologie, etc. Mais le tout doit être plus punchy, souvent plus court aussi. Et graphiquement, il faut faire attention à respecter davantage les codes d’aujourd’hui.

 

L’aspect sensationnaliste, accrocheur ou touchant d’une news est déterminant pour son audience sur internet. D’ailleurs, certains médias (comme Newsexpress, la rédaction online de Tamedia) récompensent depuis peu les journalistes dont les articles ont le mieux fonctionné en termes de « clics ». Cela ne représente-t-il pas un risque pour les articles plus poussés, moins accrocheurs dans leur titre, mais plus pertinents dans leur contenu et leur qualité informative ?

Cela peut représenter un risque, oui. Mais on se retrouve dans les mêmes discussions que pour le choix d’un titre papier, d’un titre internet ou d’une manchette. À chaque média de savoir quelle ligne éditoriale il défend et de l’appliquer aussi sur les réseaux sociaux.

 

Les formats destinés aux jeunes, comme Nouvo ou Kapaw, risquent-ils de donner une image biaisée de ce qu’est l’information aux nouvelles générations de l’infotainment, qui survole les faits et qui se consomme en 1-2 minutes ? Comment les sensibiliser aussi aux formats plus longs et approfondis ?

En leur proposant justement des formats plus longs et plus approfondis! C’est ce sur quoi Nouvo va notamment se diriger. C’est par ailleurs ce que permet le live.

 

En Suisse, Facebook reste le média par excellence où s’informent les citoyens. Or les informations fouillées et vérifiées des médias institutionnalisés y côtoient des rumeurs sans fondement, voire des mensonges délibérés, les fameuses fake news. Comment préserver sa crédibilité dans cette jungle ?

Selon moi, c’est tout simple : il faut continuer à faire son travail de journaliste. C’est-à-dire proposer des contenus vérifiés et sourcés, et les défendre. Il faut se forcer également à expliquer nos méthodes de travail. Concernant les fake news, si on ne peut éviter leur propagation, les journalistes doivent au moins s’employer à les débugger en faisant du factchecking. Pour résumer en deux mots: expliquer et éduquer.

 

Les réseaux sociaux offrent davantage d’opportunités au « journalisme citoyen ». Est-ce une menace pour le statut de journaliste professionnel et la qualité de l’information et de l’enquête ?

Ce qui est certain, c’est que ce phénomène bouscule la profession. Et c’est une bonne nouvelle ! L’arrivée de ces nouveaux médias citoyens doit encourager les médias dits traditionnels à continuer à faire leur travail de hiérarchie et de vérification de l’info. Cela doit les pousser à proposer des reportages, des enquêtes et des interviews, car c’est leur ADN et leur force. Ceci en s’inspirant des méthodes et des formats créés par ces nouveaux médias citoyens. Nous avons beaucoup à apprendre en la matière.

 

Les réseaux sociaux restent des produits d’entreprises de la technologie qui peuvent modifier leurs algorithmes sans préavis. Comment s’y adapte-t-on en tant que journaliste ?

On essaie de ne pas en être complètement dépendants en gardant nos propres canaux de diffusion (TV-radio et surtout sites web) et on garde un regard critique sur ces entreprises en enquêtant et en faisant des reportages à leur sujet.

 

L’abondance d’informations disponibles sur les réseaux sociaux peut parfois dérouter. Quels sont vos conseils aux consommateurs pour s’y retrouver ?

À ceux qui pensent être perdus sur ces plateformes, je donnerais quatre conseils: créer sa veille thématique, savoir utiliser les fonctions notifications (d’abord sur FB et Twitter), s’abonner à des pages et à des comptes contraires ou différents de ses points de vue pour ne pas s’enfermer dans des bulles, et enfin, RESTER CURIEUX de tout ce qui se fait! Et donc s’inscrire dans le groupe Facebook « Etre journaliste au 21ème siècle » 😉

Laisser un commentaire

Soyez le premier à laisser un commentaire

Laisser une réponse

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *
Jet d'Encre vous prie d'inscrire vos commentaires dans un esprit de dialogue et les limites du respect de chacun. Merci.