Sport Le 2 juillet 2018

Préparer et construire: ce que la Suisse doit encore améliorer

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Préparer et construire: ce que la Suisse doit encore améliorer

Source: compte Instagram de l’ASF.

L’équipe de Suisse s’est qualifiée pour les 8es de finale du Mondial après un match nul 2-2 contre le Costa Rica. Si la 2e place du groupe E est un motif de réjouissance, le match de demain contre la Suède soulève quelques interrogations, explique Valentin Schnorhk dans cette nouvelle analyse visu-textuelle.


 

Le dernier match de poules de la Suisse contre le Costa Rica n’a pas fait rêver. De quoi s’interroger avant d’affronter la Suède en 8es de finale.

Suisse-Suède, c’est demain. Un match que l’on attend avec crispation. Car la Suisse a fait le travail en sortant des groupes, mais sa dernière prestation contre le Costa Rica (2-2) ne la met pas forcément dans les meilleures dispositions. Sans doute que la qualification presque assurée au coup d’envoi n’a pas incité au dépassement de soi, mais quand même. Ce match-là aura révélé certaines incohérences qui suscitent plus d’inquiétudes qu’autre chose. Mais au moins autant de points sur lesquels la Nati peut progresser. De quoi aborder le 8e de finale avec certains éléments de réponses.

 

Les systèmes

Pour cette dernière rencontre de groupe, Vladimir Petkovic avait choisi de faire deux changements. L’un contraint, en remplaçant Zuber (malade) par Embolo, et l’autre choisi en raison des mauvaises performances de Seferovic (et on ne parle pas ici de son absence d’occasions mais plutôt de son apport très limité au jeu), avec l’entrée de Gavranovic. En revanche, Petkovic avait pris le parti de maintenir tout son côté droit (Schär-Lichtsteiner-Behrami-Shaqiri), malgré la menace d’un carton jaune suspensif pour les 8es de finale. Cela aura pu avoir un impact notamment sur les performances défensives de ces quatre-là, plus sur la retenue qu’à l’accoutumée.

En face, le Costa Rica s’alignait dans son 5-4-1 classique, où le flanc gauche se découvre bien plus que le côté droit. Les deux extrémités de la ligne de quatre (Ruiz et Colindres) agissent comme des meneurs de jeu légèrement excentrés. Ils resserrent dans l’axe à la perte de balle et demandent la balle vers l’intérieur du jeu. C’est l’attaquant Campbell ou les latéraux qui sont chargés de faire des appels vers l’extérieur.

 

Une approche défensive très passive

Le problème a été évident mercredi soir: la Suisse a très, très mal défendu. Rien à voir avec l’organisation contre le Brésil. Ce match-là était plus dans la lignée de la première mi-temps contre la Serbie, où les duels étaient subis. Mais, surtout, la Nati a surpris par une approche dilettante. C’est peut-être ce qu’il y a de plus rassurant, sachant que le contexte du match (et la menace du carton) n’incitait pas forcément à une concentration de tous les instants. Reste qu’on va quand même relever les divers points saillants de cette passivité helvétique.

 

Peu de pressing

 

Ce n’est pas une surprise, mais quand même. La Suisse ne presse pas, même face à un adversaire comme le Costa Rica. C’est-à-dire qu’il n’y a pas de plan sur les relances adverses, si ce n’est que l’attaquant nominal doit légèrement orienter la circulation du ballon vers les côtés. Derrière, Dzemaili s’incorpore au milieu de terrain ou cible éventuellement le milieu défensif. En fait, la Suisse place un bloc médian en règle générale et commence son travail d’agression une fois le milieu de terrain passé. A moins que l’adversaire ne se repose sur les longs ballons.

 

Bloc bas

Contre le Costa Rica, la Suisse a fait pire que ça. Elle a laissé venir les Ticos jusque dans son camp en lui offrant une adversité relativement limitée. Elle s’est ainsi souvent retrouvée en situation de bloc bas. Était-ce le plan? On peut en douter. Cela donnait plutôt l’air d’une tactique subie. Notamment parce que la Nati peinait à récupérer haut. Elle ne faisait pas de pressing à la perte et laissait donc facilement ressortir le Costa Rica. Puisque le premier travail n’était pas fait, les milieux se sont souvent retrouvés exposés et en infériorité numérique. Dès lors, pour ne pas se faire avoir, la défense a naturellement reculé. Elle a ensuite eu de la peine à avancer, surtout lorsque le ballon était mis en retrait par le Costa Rica. En résumé, on peut dire que le bloc-équipe suisse n’en était pas un, mais ressemblait plutôt à une combinaison de lignes autonomes. Cela ne pardonne pas.

 

Un marquage lâche

 

L’égalisation à 1-1 du Costa Rica n’est qu’un exemple. Mais il met en exergue la difficulté suisse dans les duels, chose déjà constatée contre la Serbie. Ce n’est pas que la Nati soit particulièrement mauvaise dans l’exécution du duel aérien, mais plutôt dans sa préparation. Concrètement, le marquage est mal appréhendé, la course de l’adversaire n’est pas anticipée et le duel finit par être subi. Mitrovic avait déjà souligné les carences de Schär dans cet exercice, les Costaricains ont exploité celles de ses partenaires. Tiens, un argument qui parle en faveur de Djourou.

 

Des transitions défensives négligées

On savait l’équipe de Suisse très mauvaise dans ses transitions offensives, on l’a découverte encore moins à son affaire dans son repli à la perte de balle. Et là, les responsabilités sont collectives. Dans une telle phase, sans doute que le premier rôle actif revient aux attaquants ou du moins aux joueurs les plus proches de la balle. On leur demande un travail agressif dès la perte de balle. Cela peut passer par un pressing intense ou un « cadrage » (se mettre devant le porteur et lui fermer ses possibilités de passes) immédiat. Une réactivité indispensable, surtout face à une équipe du Costa Rica au jeu aussi direct. Les Embolo, Gavranovic & co l’ont quasiment jamais fait. Pour Shaqiri, en revanche, c’est à discrétion, mais cela a parfois été efficace (comme sur le 1-0, vidéo ci-dessous).

Aussi, pour bien appréhender les transitions défensives, il faut que les milieux (et notamment ceux qui participent moins à la construction, comme Behrami pour la Suisse) soient déjà disposés à se placer pour se préparer à une éventuelle contre-attaque. Leur intelligence de placement doit leur permettre une récupération rapide ou, au pire, un ralentissement de la progression adverse. Contre le Costa Rica, Behrami a joué pour lui, mais pas pour les autres.

Confrontés à cette telle passivité à la perte de balle des lignes avant, la défense centrale suisse a dû s’adapter. Elle a ainsi dû anticiper les transitions adverses et leur recherche de la profondeur en prenant parfois plusieurs mètres d’avance. Concrètement, Akanji et Schär ont très souvent reculé dès la perte de balle entérinée, afin de pouvoir se donner le temps d’intervenir. Sauf qu’en contre-partie, cela a particulièrement étiré le bloc-équipe suisse sur la longueur. Et donc creusé des trous béants entre le milieu et la défense, laissant la possibilité aux Costaricains de s’engouffrer et d’attaquer les défenseurs suisses. Heureusement, leurs carences techniques et les performances de Sommer sur sa ligne ont permis d’éviter le pire.

Reste que la Suisse a parfois de bons réflexes en transitions, comme le démontre cette vidéo de l’ouverture du score. Avec, d’abord, une bonne transition défensive de Shaqiri et des milieux, puis une justesse à la récupération, où les espaces sont bien utilisés.

 

Une préparation désorganisée

 

Autant il est facile d’avancer l’argument du contexte du match pour expliquer la passivité défensive de la Suisse, autant il est plus inquiétant de devoir aussi constater la désorganisation totale à la relance. Lors des précédents matchs, on avait tenté de ressortir les bons points suisses dans cette phase de jeu. Avec un schéma établi, où Behrami se plaçait entre les deux centraux pour permettre à ceux-ci de prendre des risques balle au pied (même si cela restait encore trop rare).

Contre le Costa Rica, le plan a inexplicablement évolué. Cette fois, Behrami s’est le plus souvent positionné à la droite de Schär, laissant celui-ci au milieu. Or, la relance à trois ne suppose pas que ce soit le joueur au milieu qui organise le jeu, mais plutôt les deux sur les côtés. Ceux-ci ont le loisir d’avancer balle au pied, soit pour fixer l’adversaire et libérer un espace plus haut dans l’axe, soit pour trouver des lignes de passes derrière la ligne de pression adverse, dans les half-spaces. Qu’on se le dise, Behrami est incapable de faire ça.

Était-ce prévu? Peut-être (on a parfois retrouvé le schéma habituel, on peut donc en douter). Était-ce une bonne idée? Non. D’abord parce que Behrami n’avait pas le réflexe du placement juste et, au final, Schär et Akanji ont très souvent dû relancer à deux et non à trois. Ensuite parce que cela assurait au Costa Rica une relance uniquement côté gauche. Et donc une surface de terrain moins grande à couvrir. En plaçant régulièrement un bloc haut à la relance, les Costaricains ont pu donc récupérer le ballon plus vite que prévu. Lorsque ce n’était pas le cas, les Ticos attendaient avec un bloc médian composé de trois joueurs pour cibler les trois relanceurs et deux milieux pour fermer toute possibilité de passe vers Xhaka, sur le modèle de ce qu’a fait la Serbie. Cela a orienté le jeu suisse vers les côtés, et le plus souvent côté gauche, puisque passer par Behrami est une filière moins sure que celle qui repose sur Akanji.

En fait, la Suisse a dû son salut au mauvais pressing costaricain (les lignes de passe vers Xhaka n’étaient pas toujours fermées) et à sa facilité pour se sortir de situations mal embarquées. Une fois que Xhaka était touché derrière la première ligne de pression, il pouvait organiser le jeu à sa convenance, en imposant le rythme. Cette petite compilation met en valeur le registre très complet du joueur d’Arsenal balle au pied, capable aussi bien de maîtriser le tempo que d’orienter le jeu. Dans ce cadre-là, son analyse de la situation avant chaque prise de balle est à souligner (il n’a loupé qu’une passe sur 15 dans le dernier tiers du terrain).

 

La construction? Sans relief

Puisque la relance a souvent failli, il était parfois compliqué pour la Suisse d’avancer. Il n’empêche, les lacunes costaricaines ont permis de trouver des espaces parfois imprévus. Un exemple? Côté droit, où Lichtsteiner et Shaqiri ont pu combiner à souhait, profitant des oublis d’Oviedo.

Sauf que, pour le reste, les occasions suisses ont été très vite avortées une fois le passage en zone 2 entériné. Les raisons? Notamment un jeu de remise particulièrement défaillant. A savoir que peu de joueurs en équipe de Suisse sont capables de solliciter la balle en appui en étant dos au but avant de la remettre rapidement (en une ou deux touches) à un joueur face au jeu. Cette approche, très efficace pour faire avancer le jeu, est trop rarement utilisée. Et, quand elle l’est, la Nati a tendance à perdre rapidement la balle. Dzemaili est souvent en difficulté dès qu’il a un adversaire dans son dos (problèmes d’orientation du corps), Gavranovic n’excelle pas dans ce domaine et Embolo est efficace lorsqu’il peut jouer sur ses qualités physiques et éventuellement se retourner. Mais la réalisation technique de ce dernier est loin d’être parfaite.

Pour se créer des situations, un autre recours utile est le jeu à trois (ou en triangle). Concrètement, les solutions de passes et la variété des mouvements sont plus efficientes lorsque trois joueurs peuvent combiner que lorsqu’il y en a uniquement deux. Et notamment sur les côtés, où la ligne est un allié du défenseur. Sachant que les adversaires de la Suisse aiment orienter la Nati vers les ailes (pour empêcher tout passage par Xhaka), le fait d’y créer une supériorité pourrait être une alternative sérieuse. Sauf que la Suisse ne le fait quasiment jamais. Elle joue souvent à deux (Rodriguez-Embolo/Zuber et Lichtsteiner-Shaqiri) mais manque d’une solution supplémentaire, notamment plus intérieure.

 

Cela devrait être a priori le rôle de Dzemaili. Cependant, celui-ci préfère « attaquer la surface » en vue d’un éventuel centre ou deuxième ballon, plutôt que participer à la construction. Résultat: la Suisse se crée très peu d’actions et surtout de situations de frappes dans la surface adverse. Face au Costa Rica, cela a changé avec l’entrée de Drmic, qui sent très bien les coups. Encore faut-il que les ballons y arrivent. Pour se donner espoir, la construction du 2-1 a été très intéressante et la regarder en tactical cam permet de l’apprécier.

 

Quelles solutions contre la Suède ?

Avant le match de demain, plusieurs questions se posent. Tour d’horizon.

Qui en défense centrale pour suppléer Schär?

Djourou est l’option logique au vu de son passif dans le groupe. Fort dans les duels, il pourrait donner le change à des Suédois très solides. En revanche, ses qualités de relance interpellent. Lorsqu’il joue, les adversaires le pressent rarement (comme au Portugal). Ils savent que le circuit ne passe pas par lui et si la balle lui arrive, ils pourront la récupérer rapidement. Cela forcera Akanji à trouver par lui-même des solutions. Il faut ainsi espérer qu’il joue côté gauche de la défense, de façon à garder les automatismes déjà créés avec Rodriguez et Xhaka. Il est fort probable de voir le côté droit être complètement ignoré à la relance.

Comment aborder le match?

En étant sérieux dans les duels, déjà. Mais jouer le jeu de la Suède (à savoir miser sur l’impact physique) ne sera pas la meilleure solution. Plutôt, il faudra être capable de conserver patiemment la balle, en créant des espaces par les mouvements. Comme contre la Serbie, Shaqiri aura un rôle-clé. On ne s’attend pas à ce qu’il reste bloqué sur son côté droit. Puisque la relance passera souvent côté gauche, on peut imaginer qu’il se rapproche de cette zone et serve de relais direct à Xhaka pour passer en zone 3.

A quoi faudra-t-il faire particulièrement attention?

Aux transitions défensives. On a vu la Suède exploser dans tous les sens à la récupération. C’est ainsi qu’elle est capable de se créer des situations et de marquer des buts. Le premier travail à la perte de balle sera capital. Nul doute que Behrami sera aussi plus concerné sur ces phases-là.

Avec quel attaquant jouer?

Entre Seferovic et Gavranovic, aucun n’a véritablement convaincu jusque-là. L’entrée de Drmic était intéressante contre le Costa Rica, mais ce n’était que sur un intervalle de temps très court. Il n’empêche, son intelligence des déplacements et sa capacité à dézoner efficacement pourraient lui donner du crédit. Aucun Suisse ne rivalisera dans la surface avec les Suédois. Il faudra donc les priver de repères. Et venir de plus loin en variant les appels. Cela peut plaider pour le joueur de Gladbach. A moins que Petkovic ne voit en lui le joker parfait.

 

Retrouvez d’autres analyses footballistiques de Valentin Schnorhk sur son blog « Sauter le verrou ».

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Suisse-Brésil: Comment la Suisse a fait déjouer Neymar et le Brésil

Suisse-Serbie: Faire craquer le solide bloc serbe, mode d’emploi helvétique

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