Migrations Le 19 octobre 2016

Souviens-toi d’Idomeni

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Souviens-toi d’Idomeni

En mars, près de 15’000 migrants et réfugiés étaient coincés au nord de la Grèce après la décision macédonienne de fermer sa frontière. Des milliers d’enfants, de femmes et d’hommes ont vécu dans des conditions inhumaines dans ce camp sauvage jusqu’à son évacuation en mai. [Camille Pagella]

[Reportage photo en fin d’article]

Souviens-toi de ces dizaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants, qui, pendant près de trois mois, ont vécu dans des conditions proches de celles de leurs pays en guerre alors qu’ils étaient en Europe.

 

Dans leur exode long et difficile, ils pensaient avoir fait le plus dur en étant arrivés en Grèce. Après le bateau de la Turquie aux îles grecques, puis le ferry jusqu’au Pirée, le port d’Athènes, la route était toute tracée. Il fallait aller au nord. Rejoindre de la famille ou des amis en Allemagne, en Suède. Puis demander l’asile. Le 7 mars dernier, l’Europe a pourtant décidé de leur barrer la route. Pays après pays, les frontières fermaient et la route des Balkans s’amoindrissait, jusqu’à la décision macédonienne de fermer ses frontières.

La route des Balkans, empruntée par un million d’hommes et de femmes fuyant la guerre était définitivement morte, mais personne ne voulait y croire. Comment dire à ces femmes et ces hommes de s’arrêter ? Que l’horreur n’est pas encore derrière eux ? Alors les gens sont restés. Le village poste-frontière d’Idomeni est devenu un camp sauvage et des dizaines de milliers de personnes y ont vécu dans des conditions frisant l’horreur pendant près de trois mois. Nous avons laissé faire. Idomeni restera à jamais le symbole de l’incapacité de nos gouvernements à gérer cette crise des réfugiés.

 

Idomeni, cimetière d’espoir

La première fois que je suis allée à Idomeni, j’y ai rencontré Wajd sur le chemin de fer, une jeune Syrienne d’Idlib, qui voyageait avec toute sa famille. Elle tenait encore dans ses mains le numéro inscrit sur un carton qui aurait pu lui permettre de traverser la frontière. Nous étions à la mi-mars, la frontière était fermée depuis une semaine, mais l’espoir de son ouverture poussait les gens à rester. C’était le jour de l’accord entre l’Europe et la Turquie. À Idomeni, 15’000 personnes avaient les yeux rivés sur Bruxelles.

J’ai vu tellement d’espoir dans leurs yeux avant une déception immense. Le sort des habitants d’Idomeni n’avait pas été discuté. Wajd voulait continuer à espérer, elle et sa famille resteraient. « Ils ne peuvent pas nous laisser comme ça, non ? ». Et puis les rumeurs les plus folles ont commencé à circuler. Une ville allemande allait tous les accueillir, la frontière macédonienne allait bientôt ouvrir, il fallait patienter. Les déceptions s’enchaînaient, les unes après les autres. Idomeni était devenu un cimetière d’espoirs.

 

« Comme en Syrie »

Un mois plus tard, j’étais de retour dans le petit village grec. Le chaos était le même, heureusement, il ne pleuvait plus. La terre avait séché, mais ses habitants étaient toujours autant. Peu de toilettes, presque pas d’eau, des files de plusieurs heures pour un sandwich, de la nourriture avariée, des maladies, beaucoup de maladies. Un petit garçon avait contracté l’hépatite A. Médecins du Monde et Médecins sans Frontières se sont alors lancés dans une grande campagne de vaccination auprès des enfants du camp. L’hépatite A se contracte par l’ingurgitation d’aliments ou d’eau contaminée. Il est presque impossible de l’attraper en Grèce. Sauf si vous viviez à Idomeni.

Cette fois-ci, j’y ai rencontré Roshan et Media, un jeune couple kurde d’Alep, en Syrie. Eux aussi étaient à Idomeni depuis plus de deux mois. Roshan est diplômé de l’Université d’Alep en français et Media en anglais. Ils se sont mariés il y a tout juste huit mois. Dans l’impossibilité de faire une grande fête en Syrie, leurs familles respectives étant éparpillées dans tout le pays, Roshan a promis une célébration digne de ce nom à sa femme quand ils arriveraient en Europe. Ils sont en Europe. Media aimait plaisanter à ce sujet: « on pourrait faire la cérémonie ici, il y aurait 12’000 personnes à mon mariage et les caméras du monde entier braquées sur moi ». Mais si Media plaisantait, c’est surtout car elle était arrivée au bout de ce qu’elle pouvait endurer. « Ici c’est l’enfer, je n’ai pas connu pire endroit sur terre ».

Plusieurs bébés sont nés à Idomeni. Certains sont nés dans les tentes, car leurs mères avaient trop peur de rater l’ouverture de la frontière si elles étaient amenées à l’hôpital de Kilkis, à 25 kilomètres du camp. Alors oui, ces gens commençaient à devenir fous. Ces enfants n’étaient pas allés à l’école depuis des mois. Et leurs parents en pleuraient. Idomeni était un symbole, nous avions tourné le dos aux droits de l’Homme.

 

Coincés en Grèce

Aujourd’hui, Idomeni n’est plus. Le camp a été évacué. Mais ses anciens habitants sont toujours là, coincés en Grèce. Ils sont 57’000 et attendent toujours. Wajd et sa famille vivent dans le camp de Skaramagkas, dans la région d’Athènes. Roshan et Media sont, eux, du côté de Thessalonique. Certains ont réussi à passer en Allemagne au moyen de passeurs et ont rejoint leur famille, ils y ont demandé l’asile. Les réfugiés syriens et irakiens coincés en Grèce se sont enregistrés dans le programme européen de relocalisation. Ils iront quelque part, mais ils ne peuvent pas choisir où. Ils ont peur pour l’éducation de leurs enfants qui ne sont toujours pas retournés à l’école.

Tous sont encore là, adossés à ce mur que l’on appelle Europe. Tous attendant qu’il tombe, tous fuyant la guerre. Ils continuent à rêver leurs vies en France, en Allemagne, en Suisse ou en Belgique. Après plus de six mois d’attente en Grèce et des mois à venir, ils n’ont pas perdu foi en cette Europe. Je n’ai jamais osé leur dire que moi, oui.


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