Depuis 1971, les femmes suisses peuvent voter et être élues. Mais comment leur permettre d’assurer leur mandat sur la durée, et inclure tout jeune parent dans nos instances politiques ? Retrouvez dans cet article quelques éléments de réponse par Julie Frossard, conseillère municipale Ensemble à Gauche en Ville de Genève.
Il y a cinquante ans, le 7 février 1971, les femmes suisses obtenaient enfin le droit de vote et d’éligibilité. Cette possibilité d’être élue est une avancée historique, mais elle pose aussi deux questions fondamentales, toujours d’actualité. Tout d’abord, quels moyens sont mis en oeuvre pour que les parlements soient représentatifs de la population, notamment des femmes et des jeunes parents ? Et qu’est-il fait, une fois l’élection passée, pour permettre aux femmes d’assurer leur mandat politique dans la durée ?
En effet, force est de constater que le système politique tend encore aujourd’hui à privilégier les élu.e.s dont les dispositions sont favorables en termes de souplesse, tant dans l’organisation de leur vie familiale que professionnelle. L’organisation structurelle du Conseil municipal de la ville de Genève caractérise foncièrement cet état de fait : l’ensemble des séances – plénières, commissions, caucus, assemblées – se concentre essentiellement sur des horaires de soirée et en semaine, dès 17h30, à l’heure même où la prise en charge des enfants atteint son point culminant. Retour de l’école ou de la crèche, devoirs et cours extra-scolaires, confection du repas et toilette, mise en pyjama et coucher… sont autant de responsabilités parentales du quotidien qui se cumulent à l’activité professionnelle exercée durant la journée.
En 2018, la responsabilité des tâches domestiques et de soins aux enfants au sein d’un ménage revient majoritairement aux femmes, tandis que dans 86% des familles monoparentales, les enfants vivent avec leur mère.
Communément surnommée la double journée de travail, la charge des responsabilités professionnelles, éducatives et domestiques qui se succèdent invariablement incombe encore aujourd’hui majoritairement aux femmes, les astreignant ainsi à gérer la pénible multiplication de leur charge de travail quotidienne. Le travail parlementaire en ville de Genève, de par ses horaires, ne se soustrait pas à l’étau de ces impondérables professionnel et domestique.
Sur la base des statistiques établies par l’Office fédéral de la statistique en 2018, il ressort que la responsabilité des tâches domestiques et de soins aux enfants au sein d’un ménage revient majoritairement aux femmes, tandis que dans 86% des familles monoparentales, les enfants vivent avec leur mère.
Prendre en compte l’évolution de la société
Si les fonctions politiques étaient autrefois occupées par les hommes, selon une organisation conçue de toutes pièces par ces Messieurs, qui oeuvraient le soir après leur journée de travail, leurs enfants étant systématiquement gardés par leur épouse et conjointe, les rôles sont heureusement moins genrés aujourd’hui. On rappellera qu’en Suisse, le droit de vote et d’éligibilité était accordé aux femmes il y a tout juste cinquante ans. Et que, depuis, c’est à un rythme d’escargot qu’a évolué la représentation des femmes en politique. Aujourd’hui, la législature en cours du Conseil municipal genevois compte autant de femmes que d’hommes : pour la toute première fois, la parité est atteinte au sein d’un parlement d’une grande ville suisse. Or, l’organisation structurelle du Conseil municipal n’a pas été révisée ni réformée et, dans ce sens, elle ne prend pas en compte les évolutions de la société, notamment l’émancipation professionnelle et politique des femmes. Il incombe donc aux organes législatifs, parmi d’autres, d’adapter leur structure organisationnelle en considérant les nouvelles conjonctures sociétales, afin de renforcer, toujours davantage, une représentation égalitaire et inclusive des membres de la société civile.
L’organisation structurelle du Conseil municipal n’a pas été révisée ni réformée et, dans ce sens, elle ne prend pas en compte les évolutions de la société, notamment l’émancipation professionnelle et politique des femmes.
De surcroît, au-delà de la question des femmes et des jeunes parents, les horaires actuels du Conseil municipal genevois réduisent sérieusement l’accès au parlement de tous les travailleurs dont le rythme professionnel s’inscrit hors des horaires traditionnels de bureau ou qui ne bénéficient pas de flexibilité dans le cadre de leur activité salariale.
Au lendemain des mouvements #metoo, #balancetonporc et de la grève des femmes, réunissant en son sein pas moins de 75’000 femmes à Genève le 14 juin 2019, la représentation égalitaire des femmes et des hommes en politique ne peut plus être réduite à une utopie !
Concilier engagements politiques avec sa vie familiale et professionnelle
Fort de ces constats, le groupe Ensemble à Gauche a déposé un projet de résolution lors de la session plénière des 19 et 20 janvier 2021 du Conseil municipal genevois, « De la nécessité de pouvoir concilier ses engagements politiques avec sa vie familiale et professionnelle ». Par celui-ci, le parti demande d’initier en urgence un débat constructif autour de la réforme de l’organisation structurelle du Parlement, notamment dans l’inclusion plus favorable des jeunes parents, des femmes, des travailleuses et travailleurs au sein du travail parlementaire.
Parmi les propositions, l’instauration d’élu.e.s suppléants, à l’instar du Grand Conseil, permettrait de favoriser, du moins partiellement, la représentation des parents, des femmes et plus généralement des travailleuses et travailleurs. Relevons qu’encore à ce jour, un.e conseiller.ère municipal.e bénéficiant d’un congé maternité ou paternité n’a pas la possibilité d’être remplacé.e. Il en va de même pour tout.e élu.e qui doit s’absenter temporairement, pour une raison ou pour une autre.
La tenue des plénières et des commissions pendant la journée permettrait par exemple une conciliation plus harmonieuse entre vie de famille et vie professionnelle. La fonction de conseiller.ère municipal.e constitue l’équivalent d’un temps partiel, pour une moyenne d’un taux de 25%. En ce sens, le statut des élu.e.s devrait nécessairement être défendu auprès de leur employeur et inscrit dans le Code des obligations, à l’instar du service militaire et du service civil, l’Assurance perte de gain (APG) remboursant l’employeur à hauteur de 80%, voire à 100% de son salaire dans ce cadre.
Accepté en plénière à une courte majorité, le projet a été envoyé à la commission du règlement. Qui plus est, dans le même temps, un projet de loi (PL12584), actuellement à l’étude des affaires communales, régionales et internationales (CACRI), propose de modifier la loi sur l’administration des communes (LAC) et d’introduire des membres suppléants dans les conseils municipaux de tout le canton.
Enfin, comme le démontre l’étude menée sur les démissions au Conseil municipal (Sciarini et Maye, 2020), qui suggère des mesures similaires d’amélioration des horaires, « il est vraisemblable que le problème d’incompatibilité se pose avant tout en amont des élections, au niveau du recrutement des candidats et, plus encore, des candidates ». Preuve qu’il y a encore beaucoup à faire pour assurer une représentation égalitaire de la population au sein de nos instances politiques, avant et après l’élection.
Références
UNIGE, Faculté des Sciences de la Société, Les démissions dans les Conseils municipaux et les exécutifs communaux, Prof. Pascal Sciarini et Simon Maye, Rapport final, 20 novembre 2020.
Office fédéral de la statistique, 2018, Activité professionnelles, tâches domestiques et familiales.
Office fédéral de la statistique, Enquête sur les revenus et les charges de ménages en Suisse (Statistics on Income and Living Conditions, SILC), OFS.
CARITAS, la situation des familles monoparentales.
L’utopie d’un parlement représentatif, TDG, 22 juin 2020, Théo Allegrezza : https://www.tdg.ch/lutopie-dun-parlement-representatif-253932332578
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