Société Le 30 avril 2017

La mafia partout en Suisse ? Guide pour démystifier le phénomène

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La mafia partout en Suisse ? Guide pour démystifier le phénomène

Quand on parle de mafia […], il convient de peser les mots, calibrer nos évaluations, discuter du contenu et non par coups de slogans. Costantino Visconti.

Photo : Alessandro Luppi

« La mafia è dappertutto » (Falso) !1 est le dernier ouvrage de Costantino Visconti, professeur de droit pénal à l’université de Palerme. L’auteur invite le lecteur à prendre de la distance vis-à-vis du discours public alimenté par toute une panoplie d’acteurs qui consciemment ou inconsciemment tend à souligner la toute-puissance et l’omniprésence des mafias italiennes. Comme nous le verrons, la presse, la littérature de dénonciation2 et parfois les autorités mêmes donnent une image biaisée du phénomène mafieux. Il faut ainsi chercher à éviter de tomber dans le sensationnalisme et l’alarmisme et combattre les idées reçues. Lorsque je parle de mafia avec les gens, il m’arrive souvent d’entendre « T’as vu toutes ces pizzerias ? Il y a sûrement des mafieux derrière ». Cette sorte de paranoïa se fonde certes sur des faits bien réels, mais nous amène à voir la mafia partout…

Ce guide, je l’espère, permettra au lecteur de se faire une idée plus objective de la portée du phénomène mafieux qui demeure, malgré toutes les enquêtes, très obscur et surtout en constante évolution.

 

‘Ndrangheta SA : une des multinationales les plus performantes au monde ?

La ‘Ndrangheta a engrangé autant d’argent que la Deutsche Bank et McDonald’s réunis […]. La mafia calabraise a généré un chiffre d’affaires de 53 milliards d’euros (64,7 milliards de francs) sur l’année 2013.3

« Ndrangheta spa. An italian mafia affiliate » est une série de six épisodes écrite et interprétée par Andrea di Marco et diffusée par Niente.tv; un nouveau portail web qui réunit des visages connus et inconnus de la scène satirique et humoristique italienne.

 

La mafia est un concept qui englobe toutes les organisations criminelles exerçant le contrôle politique du territoire et la socialisation totale de ses membres (voir mon article précédent). Je vais prendre comme exemple la ‘Ndrangheta, la mafia calabraise, car c’est celle qui, parmi les mafias italiennes, préoccupe le plus les autorités et la société civile suisse et dont on dispose de plus d’informations.

La ‘Ndrangheta est parfois définie comme la multinationale du crime la plus puissante du globe. Selon l’institut Demoskopika4, la ‘Ndrangheta SA a réalisé en 2013 53 milliards d’euros de chiffre d’affaires, ce qui représente 3,5% du PIB italien. La méthodologie ayant permis d’arriver à ce chiffre n’a pas été rendue publique et ainsi l’étude n’est pas vérifiable. L’importance du chiffre a cependant intéressé les médias du monde entier qui n’ont pas hésité à relayer la nouvelle. L’étude de Transcrime (Joint Research Centre on Transnational Crime)5  dirigée par le sociologue Ernesto Savona fournit quant à elle des estimations des recettes et des profits des mafias italiennes beaucoup plus modestes. Dans ce cas, il s’agit d’estimations fondées scientifiquement dont la méthodologie est transparente et vérifiable.6 Selon cette étude, les recettes cumulées par la ‘Ndrangheta sur le territoire italien s’élèveraient à un montant compris entre 2,6 et 4,3 milliards d’euros.7 Les recettes de toutes les organisations mafieuses italiennes totaliseraient un montant équivalent à 1,7% du PIB italien.8

Le fait de surestimer les recettes a un fort impact sur la perception de la ‘Ndrangheta dans notre société. L’idée principale qui est véhiculée laisserait imaginer que la mafia calabraise est un corps unitaire qui dispose d’une stratégie délibérée d’expansion comme n’importe quelle multinationale où les profits seraient partagés parmi les clans de Calabre, comme entre actionnaires. En réalité, l’organisation est formée d’individus, de familles, de clans distincts, etc. Chaque entité dégage un bénéfice pour son propre compte. Les inégalités économiques entre clans et même entre individus de la même cellule sont la règle ; à l’intérieur du même clan ou entre clans il peut y avoir des frictions et des jalousies qui dégénèrent parfois en meurtres et en guerre intestines (faide). La ’Ndrangheta, comme les autres mafias, se structure plutôt sur le modèle fédéraliste. Bien que les niveaux hiérarchiques supérieurs puissent intervenir afin de régler un différend, chaque clan est souverain et indépendant sur son propre territoire d’influence. En outre, un individu ou un petit groupe peut mener une affaire à l’insu du reste du clan.  Deux compartimentations coexistent, de surcroît, au sein d’une même cellule : la Sociétà maggiore (anciens) et la Società minore (jeunes) ; uniquement cette dernière doit rendre compte de ses activités économiques et criminelles à l’autre.

De plus – élément très important – les coûts que toutes les activités économiques illégales engendrent ne sont pas toujours comptabilisés9 ; en particulier, les coûts de production de la marchandise illégale, les « salaires » des personnes impliquées et les coûts liés au blanchiment d’argent. L’action répressive des autorités de poursuite pénale limite sensiblement la capacité d’un clan à se constituer un patrimoine. Les coûts sont très diversifiés : corruption, dépenses judiciaires, prévention de l’arrestation (cachette, système d’alarmes et de surveillance vidéo), saisie des biens mobiliers et immobiliers, soutien financier aux familles des mafieux arrêtés, etc. Par conséquent, toujours selon l’étude de Transcrime, les profits de la ‘Ndrangheta seraient compris entre un minimum de 274 et un maximum de 475 millions d’euros.10 Il est intéressant de constater que la Camorra, mafia originaire de la région Campania, précéderait la mafia calabraise dans ce classement spécifique. Cela remet fortement en question les idées reçues sur le phénomène mafieux italien.

En même temps, l’étude de Transcrime ne tient pas compte des biens patrimoniaux des clans, ce qui est légitime, étant donné que nous en connaissons l’existence seulement quand ils sont mis à jour par les enquêteurs. Par exemple, l’enquête Metropolis (2013) a révélé comment la ‘Ndrangheta blanchit l’argent provenant des trafics de stupéfiants : 450 millions d’euros, déposés dans une banque de Lugano, ont notamment été réinvestis dans 17 complexes touristiques sur la côte ionienne calabraise.11 Il est vrai que les clans ne disposent plus de ces biens immobiliers car ils ont été saisis ; toutefois, l’ordre de grandeur de cet investissement est impressionnant.

La thèse principale explique ces ressources financières faramineuses par le fait que « la ‘Ndrangheta détient le monopole du marché de la cocaïne en Europe et en Amérique du Nord. ».12 Or, dans un ouvrage intéressant, le sociologue suisse Claudio Besozzi13 remet en question l’idée selon laquelle une seule organisation puisse monopoliser un marché illégal. Ce sont les caractéristiques mêmes de tels marchés (violence pour régler les différends, risque de voir s’arrêter l’activité par l’instance de contrôle et manque de transparence par rapport au comportement des autres acteurs du marché) qui ne permettent pas à un seul acteur de s’imposer. Par exemple, dans le cadre de l’enquête Loptice de 2014, il a été démontré que le marché de la cocaïne de Milan – souvent considéré à tort comme monopolisé par la mafia calabraise – est caractérisé par une demande tellement forte qu’il arrive à absorber l’offre de plusieurs entrepreneurs du crime. La ‘Ndrangheta peut ainsi se permettre de partager le marché avec d’autres organisations, dans ce cas particulier avec une organisation criminelle balkanique spécialisée dans l’approvisionnement des grands opérateurs des marchés européens – dont la ‘Ndrangheta – directement depuis l’Amérique du Sud.

 

Les mafieux se sont-ils embourgeoisés ?  

« Mafiosi work subtly, they wear jackets and ties, don’t carry shotguns »…14 « La mafia d’aujourd’hui est en costume-cravate »…15 ; « Les cols blancs du narcotrafic ont quitté la robe de bergers de l’Aspromonte16 et grâce à une disponibilité d’argent illimitée ont colonisé le marché de la drogue. »17

Ce sont ces formules évoquant un code vestimentaire du passé rural et primitif des mafias (celui de Al Pacino lorsqu’il se cache en Sicile dans Le Parrain), opposées au look élégant des mafieux des centres urbains (Al Pacino à New York), qui font souvent surface dans le discours public. En réalité, le mafieux est plutôt un acteur du « monde du milieu » jouant le rôle de médiateur (souvent violent) entre le peuple et l’élite. Effectivement, la première forme de mafieux a été identifiée par les historiens en Sicile dans les gabellotti (gardiens armés et à cheval). Leur fonction consistait à protéger les terres des propriétaires fonciers des dégâts qu’eux mêmes produisaient ou menaçaient de produire et à surveiller strictement le travail des paysans.

Comme nous le verrons, la plupart des profils des affiliés de la ‘Ndrangheta appartient toujours à l’univers de la classe moyenne. À l’intérieur de la société mafieuse coexistent des inégalités économiques et sociales plus ou moins importantes, comme dans n’importe quelle société moderne. Les mafieux ne sont vraisemblablement pas de riches hommes d’affaires, fins connaisseurs des mécanismes sophistiqués de la haute finance. L’enquête Minotauro18 nous en livre un exemple emblématique : un affilié vient de recevoir une dote, en d’autres termes, un grade qui détermine la position au sein de la société mafieuse et auquel correspondent des pouvoirs et des responsabilités. Pour fêter l’événement il organise un dîner où deux membres de chaque clan de l’hinterland de Turin sont invités. Il s’en présentera plus que prévu, en le faisant dépenser, pour son malheur, presque la totalité de son salaire d’ouvrier (1200 euros).19

Effectivement, les mafieux exercent pour la plupart un métier peu qualifié. Et oui, il n’existe pas de métier de « mafieux à plein temps » comme on le voit dans les films. Le rapport Dalla Chiesa20 note que la majorité des emplois des ‘ndranghetistes nourrissent l’ « économie locale » – economia terrena –, dite aussi économie traditionnelle ou matérielle ; une économie fille de la « culture paysanne », dans la mesure où le mafieux tend à s’investir et à investir dans les « secteurs à faible technologie, caractérisés par la présence de petites et moyennes entreprises et par un lien étroit avec le territoire »21 ; en d’autres termes, dans les choses qu’on peut toucher avec les mains. Le secteur de l’immobilier, de la construction, de l’import-export, de la restauration (pas autant qu’on le pense !) y sont majoritairement représentés. Dans la liste des métiers du rapport précité, on trouve des maçons, beaucoup d’administrateurs de sociétés actives dans le secteur du terrassement et du bâtiment, des commerçants, des retraités et des personnes sans activité lucrative. Un conseiller fiscal, c’est vrai, mais de manière générale pas de cols blancs, traders, brokers, courtiers ni loups de Wall Street.

Les mafieux mettent souvent les sociétés légales qu’ils détiennent au service d’activités purement illégales, par exemple, une société d’import-export d’aliments, non seulement de couverture, qui de temps à autre transporte des stupéfiants ou des armes. Il y a néanmoins toute une panoplie de cols blancs – dite la zone grise (entrepreneurs, gestionnaires de patrimoines, politiciens, administrateurs publics, avocats, médecins, etc.) – et d’autres acteurs purement criminels qui ne sont pas formellement affiliés aux associations mafieuses, mais qui en empruntent la méthode et surtout qui sont indispensables à la reproduction et à l’enrichissement des mafias. Les clans leur sous-traitent une partie des activités comme par exemple toutes les étapes de courtage liées au commerce de cocaïne entre l’Amérique du Sud et centrale et l’Europe (négociation avec le producteur, stockage, logistique du transport, etc.).

De notre côté, nous connaissons le métier de quelques mafieux « suisses ». Parmi les membres d’un clan découvert à Frauenfeld figurent notamment un assureur, un négociant d’or, un employé communal, un chef de chantier, un agent fiduciaire, un homme de parti, un chauffeur de taxi, un chauffeur de bus, le propriétaire d’un garage et un retraité.22 Ainsi, comme l’affirme un représentant de premier plan du clan thurgovien, « pour la société [mafieuse] il n’y a pas besoin d’avoir fait l’université ». Il ajoute qu’il y aurait plusieurs chefs mafieux analphabètes.23 Du côté romand, deux membres d’un clan ‘ndranghetiste actif en Calabre et au Piémont, condamnés en 2014 par un tribunal calabrais pour association de type mafieux, se « cachaient » dans le Haut-Valais.24 L’un travaillait pour les remontées mécaniques de son village de résidence, l’autre était employé en tant qu’ouvrier auprès d’une entreprise de construction de Viège. Dans la même ville, un Calabrais résidant au Piémont a fondé son entreprise de construction. Les autorités italiennes le considèrent comme très proche du clan piémontais susmentionné. Accusé de corruption par les autorités suisses, il a écopé d’un mois de détention préventive en mars 2016. Au Tessin, un tueur à gage de la ‘Ndrangheta administrait un magasin de meubles. Il détenait en outre un bar et une société de conseil avec laquelle il arnaquait des banques tessinoises et slovènes.25 D’après la Regione, il aurait un diplôme en jurisprudence et sciences juridiques : voilà de quoi démontrer l’hétérogénéité de l’univers mafieux.

 

La mafia serait-elle partout en Suisse ?

« Je suis très inquiet de l’infiltration de la criminalité organisée au Tessin, elle est en train de littéralement dégrader le tissu économique tessinois. Si on ne fait rien, ils vont tout acheter. […] Que la ‘Ndrangheta soit implantée au Tessin est une évidence […]. »26

Ces paroles, exprimées par le président des polices municipales du canton du Tessin Dimitri Bossalini, sont un exemple révélateur de la façon dont les autorités participent à la création du mythe de l’ubiquité des mafias. Il est dépeint notamment un scénario catastrophique où les mafias seraient ancrées, enracinées sur le territoire de manière stable. Il est vrai que deux enquêtes (Quatur en 2002 pour la cosca Ferrazzo et Helvetia en 2010 pour la Société de Frauenfeld) ont mis à jour des éléments qui démontrent une présence de mafieux-résidents organisés en cellules sur le territoire helvétique ; je suis le premier à attirer l’attention sur ce point. Néanmoins, l’ancrage d’une mafia sur un territoire ne peut pas être considéré comme pleinement avéré en partant du simple constat que les mafieux réinvestissent leurs capitaux illicites dans l’immobilier ou dans la restauration (de la région). Les actions qui démontrent la présence stable d’une mafia sur un territoire sont autres, notamment l’extorsion généralisée, la corruption systématique d’agents publics afin d’accéder aux marchés publics, l’échange de voix avec des représentants politiques dans le but d’obtenir des services, l’emploi de la « méthode mafieuse » (intimidation, menace, agression), le financement d’institutions sportives, culturelles et religieuses locales afin d’entretenir un consensus social, etc. Malgré le fait qu’on a pu observer des cas allant dans ce sens, nous ne pouvons pas affirmer que ces phénomènes se reproduisent de manière systématique à l’intérieur de nos frontières.

Dans le cadre de mes recherches, j’ai pu identifier deux typologies de manifestation de la ‘Ndrangheta en Suisse : les manifestations épisodiques et les manifestations organiques. Les premières sont caractérisées par un mafieux ou un groupe qui de manière ponctuelle se rend en Suisse afin de conclure des affaires (stupéfiants, armes, blanchiment, escroquerie, etc.) ou pour d’autres raisons. Parmi celles-ci, on peut citer le fait de suivre de près un investissement, se donner rendez-vous pour planifier discrètement les trafics illicites et ainsi échapper à la surveillance des autorités italiennes, le travail frontalier et se cacher. Les manifestations organiques, en revanche, sont constituées par des affiliés, issus de la migration et durablement résidents en Suisse, organisés en structures (« cellules ») ancrées sur le territoire. C’est le cas de la cosca Ferrazzo de Lugano et de la Société de Frauenfeld. Ces manifestations sont celles qui ont le plus de chances d’évoluer vers les formes d’emprise sur le territoire que connaît l’Italie, dont les conséquences sont nocives, plus qu’un simple cas de blanchiment, pour la société ; perturbation du fonctionnement « correct » des mécanismes de marché, déstabilisation des institutions démocratiques, travaux publics approximatifs, climat d’insécurité dans lequel vit la population assujettie au contrôle mafieux, etc. Il faut aussi dire que nous disposons de très peu d’informations sur le comportement des mafieux en Suisse et que, sur la base de ce qu’on sait, il vaut mieux prendre des précautions plutôt que créer des fausses alarmes.

 

Le système suisse à l’épreuve de la mafia

Les mafias italiennes sont des institutions sociales, qui influencent et sont influencées par le contexte géographique, socio-économique, politique et institutionnel dans lequel elles se projettent. Les conditions contextuelles peuvent entraver comme faciliter la capacité d’un groupe mafieux à s’installer pleinement dans un contexte nouveau. Pourquoi les éléments mafieux précités sont-ils déficitaires ? D’un côté, le système politique suisse, jalonné par de nombreux veto points et veto players, découragerait la corruption directe du décideur ou du fonctionnaire, car ce dernier ne peut pas assurer le retour du service. En outre, les mafieux-migrants ne sont pas en mesure de mobiliser leur réseau familial et clientéliste, qu’ils ont par contre chez eux, afin d’accéder aux ressources politiques et administratives locales. Le processus d’accumulation du capital social et symbolique nécessaire afin d’infiltrer la politique, l’’administration et afin d’imposer le racket pourrait être à l’œuvre, mais aucun indice ne montre une systématicité de ces pratiques. Reste ouverte la question de savoir dans quelle mesure la marque de fabrique des mafias – le contrôle du territoire et son lot de violence – s’impose sur le territoire helvétique. La faible concentration de cellules mafieuses en Suisse pourrait expliquer le manque de concurrence violente entre celles-ci, alors que la faible priorité accordée à la poursuite de ce type de criminalité de la part des autorités helvétiques illustrerait l’absence d’homicides de représentants des institutions et de la société civile.

 

La marque mafia se vend bien

L’univers de la mafia est désormais parmi les produits les plus reconnaissables et exportés du Made in Italy. C’est ainsi qu’on parle de la « marque » mafia ; films, série tv, jeux vidéo, restaurants27, etc. Il est même arrivé que le nom de la mafia soit allégué par des personnes non affiliées à l’organisation mafieuse pour mener des actions délictueuses dans le but de faire pression sur la victime.28 Comme j’en ai discuté dans un précédent article, les mafias italiennes sont porteuses d’une série de caractéristiques précises qui s’éloignent sensiblement du stéréotype véhiculé. En Suisse, à l’heure actuelle, nous pouvons admettre que la ‘Ndrangheta ne reproduit que partiellement, heureusement, les comportements mafieux classiques qui sont observés systématiquement dans la péninsule. Je ne suis pas ici en train de minimiser un phénomène qui est sous les yeux de tout le monde. Dans le même temps, il ne faut pas oublier que si les médias relatent de plus en plus la présence de la mafia calabraise en Suisse, cela ne signifie pas pour autant qu’il y a plus de mafieux. Au contraire, il est le résultat de l’intensification de l’action antimafia, qui reste néanmoins balbutiante, tel que je l’explique dans un article publié dans la revue suisse de criminologie. Comme le dit Costantino Visconti, « quand on parle de mafia […], il convient de peser les mots, calibrer nos évaluations, discuter du contenu et non par coups de slogans […] [cela] exige seulement un travail honnête, stable, minutieux d’intelligence investigatrice et, en même temps, un effort d’analyse politique et sociale […]. »29 C’est ce procédé qui me permet de dire que la mafia n’est pas partout, n’est pas toute puissante et n’est pas invincible.

 


Références:

1. « La mafia est partout ». Faux ! ». Costantino Visconti, La mafia è dappertutto. Falso !, Laterza, Bari, 2016, p. 131

2. Ex. : Roberto Saviano – « ZeroZeroZero », Giuseppe Catozella – « Alveare », etc.

3. http://www.hebdo.ch/news/economie-finance/la-ndrangheta-engrang%C3%A9-autant-que-mcdonalds-et-deutsche-bank

4. http://www.hebdo.ch/news/economie-finance/la-ndrangheta-engrang%C3%A9-autant-que-mcdonalds-et-deutsche-bank

5. http://www.transcrime.it/about/

6. Il serait excessivement ambitieux de reporter ici la complexité de la méthodologie employée. Grosso modo, les chercheurs ont sélectionné neuf marchés illégaux typiques dans lesquels les organisations criminelles sont présentes (prostitution, armes, stupéfiants, contrefaction, jeu d’hasard, déchets, tabac, usure, extorsion). L’année de référence de chaque marché varie en fonction de la disponibilité des données. Il est cependant compris entre 2007 et 2013. Ensuite, se basant sur la littérature disponible, ils ont calculé la partie des marchés illégaux attribuable aux organisations mafieuses, qui évidemment, même en Italie, n’opèrent pas en situation de monopole. Finalement, le montant a été divisé entre les organisations mafieuses (‘ndrangheta, camorra, cosa nostra, sacra corona unita, autres) selon leur présence sur l’ensemble du territoire italien. In : Transcrime. 2013. “Progetto PON Sicurezza 2007-2013: Gli investimenti delle mafie. Rapporto Linea 1.” Milano: Ministero dell’Interno. www.investimentioc.it [PON 2013]

7. PON 2013, p. 78

8. Idem, p. 36

9. Pour une analyse objective des caractéristiques des marchés illégaux voir : Besozzi Claudio, Marchés illégaux : origines, structures, conséquences, P. Haupt, Bern, 2001, p. 214

10. Idem, p. 85

11. Arrêt du TPF BB.2013.97 du 17 septembre 2013

12. Catozzella Giuseppe, Alveare. Il dominio invisibile e spietato della ’ndrangheta del Nord, RCS Libri S.p.a, Milano, 2011, p. 170

13. Besozzi Claudio, Marchés illégaux : origines, structures, conséquences, P.Haupt, Bern, 2001, pp. 13-14

14. http://www.economist.com/news/europe/21565988-long-arm-organised-crime-stretches-milan-hands-over-city

15. http://www.ledevoir.com/societe/justice/359732/la-mafia-d-aujourd-hui-est-en-costume-cravate-dit-un-policier

16. Massif montagneux de la Calabre méridionale où – les premiers jours de septembre, en concomitance avec la fête patronale de la Madonna de la Montagne au Sanctuaire de Polsi (fraction de San Luca en province de Reggio de Calabre), qui selon la tradition représente la protectrice de tous les affiliés de la ‘Ndrangheta – se déroule le summit le plus important de l’organisation mafieuse calabraise. Dans cette contrée reculée, durant les années 1970, les mafieux cachaient les personnes enlevées en attendant la rançon. De manière générale, cette région est identifiée comme le berceau de la mafia agropastorale des origines.

17. Saviano Roberto, ZeroZeroZero, Feltrinelli, Milano, 2013, p. 243

18. Cette enquête, qui aboutit en 2011, a mis en lumière les activités des clans actifs au Piémont.

19. OCC (Ordinanza di custodia cautelare) opération Minotauro, pp.763-765

20. Ce rapport, édité sous la direction du sociologue Nando Dalla Chiesa et publié pour la commission parlementaire d’enquête sur le phénomène mafieux en 2015, se penche sur les activités économiques « légales » (ex : construction) des mafias installées dans le Nord de l’Italie. Dans la plupart des cas elles sont menées avec la méthode mafieuse (corruption, intimidation, menace). Dalla Chiesa Nando, Bedetti Martina, Cabras Federica, Meli Ilaria, Nicolini Roberto, Secondo rapporto trimestrale sulle aree settentrionali, per la presidenza della commissione parlamentare d’inchiesta sul fenomeno mafioso, Osservatorio sulla criminalità organizzata, Università per gli studi, Milano, 2015

21. Costantino Visconti, La mafia è dappertutto. Falso !, Laterza, Bari, 2016, p. 44 (citation du sociologue calabrais Rocco Sciarrone, professeur à l’université de Tourin).

22. Roselli M. et Tagliabue M., Quei bravi ragazzi di Frauenfeld [reportage vidéo], in : Gaggini G., Mafia in casa, Falò, RSI, 5.03.2015, http://www.tagesanzeiger.ch/schweiz/standard/die-mafiosi-von-nebenan/story/14724894

23. Ibidem, p. 126

24. http://www.illustre.ch/magazine/ndrangheta-la-retraite-des-mafieux-en-valais

25. http://www.laregione.ch/articolo/otto-anni-a-gennaro-pulice-killer-della-ndrangheta/38526

26. http://www.ilfattoquotidiano.it/2016/06/09/ndrangheta-in-svizzera-se-non-facciamo-qualcosa-in-ticino-si-comprera-tutto/2803134/

27. http://www.repubblica.it/cronaca/2016/10/20/news/ue_ristoranti_mafia_spagna-150179936/

28. http://www.tg1.rai.it/dl/tg1/2010/articoli/ContentItem-98e6d8f5-449d-4421-8f81-341d56333943.html, http://www.tgcom24.mediaset.it/cronaca/abruzzo/articoli/1004588/pescara-si-finge-mafioso-per-estorcere-un-posto-di-lavoro.shtml, http://www.ecodibergamo.it/stories/Cronaca/si-finge-mafioso-denunciato-300-mila-euro-o-ti-ammazzo_1038385_11/

29. Costantino Visconti, La mafia è dappertutto. Falso !, Laterza, Bari, 2016, XIV-XVI

 

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