Société Le 7 novembre 2012

Le jus d’orange: bon pour la santé, dommageable pour la planète

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Le jus d’orange: bon pour la santé, dommageable pour la planète

Les jus d’orange. Illustration des rayonnages et linéaires d’un supermarché. FRANCE -2005. DURAND FLORENCE/SIPA

Quand nous rentrons dans un supermarché faire nos courses, nous choisissons pour la plupart des produits qui paraissent alléchants, sans prendre garde à leur impact environnemental. Certes, nous tentons de choisir des produits frais de saison et qui ne proviennent pas de l’autre côté de la planète. Mais lorsqu’il s’agit de produits agrégés, qui regroupent plusieurs ingrédients différents, l’opération s’avère plus compliquée et nous abandonnons la réflexion écologique. Pourtant, si nous disposions d’informations plus abondantes, nous réaliserions peut-être plus significativement notre empreinte environnementale.

Dans les années 90, l’Institut Wuppertal s’est intéressé à la production du jus d’orange en Europe, plus précisément en Allemagne, car c’est le pays européen qui consomme le plus de cette boisson vitaminée (un habitant consomme en moyenne 21 litres de jus d’orange par année). En remontant toute la chaîne de production, les scientifiques ont découvert que boire un verre de jus d’orange a des conséquences environnementales alarmantes.1

Pour comprendre les origines du jus d’orange, il faut remonter jusqu’au Brésil, d’où proviennent 80% des oranges nécessaires à la boisson matinale. Plus précisément, c’est dans la périphérie de Sao Paolo que se trouve la plus grande orangerie du pays. Chaque jour, les agriculteurs brésiliens arrosent leurs orangers et plusieurs fois par année, ils disséminent des pesticides et fertilisants afin de favoriser la pousse d’un maximum de fruits par arbre. Mais ces gestes qui servent les intérêts économiques du producteur desservent la planète en déséquilibrant les cycles biologiques. Une fois que les oranges sont arrivées à maturation, des ouvriers s’occupent de les cueillir et des les acheminer au port de Sao Paolo pour qu’elles y soient triées, emballées et prêtes à l’exportation.

Dans le cas d’un jus d’orange à base de concentré, les oranges ne sont pas directement exportées vers l’Europe, car cela reviendrait trop cher pour les industriels. Ces derniers, pour maximiser leur profit, n’expédient que le produit à la plus grande valeur ajoutée, soit le concentré seul, environ 8% de la masse originale du fruit. Les oranges sont donc préalablement acheminées vers des sites de pressage, à 80 km des plantations, pour être préalablement vidées de leur eau.

Cette étape nécessite beaucoup de pétrole, car il faut chauffer les fruits à des températures élevées pour arriver à évaporer leur eau. Selon l’étude de Suren Erkman, 8.1 kg de pétrole sont requis par tonne de jus d’orange dans cette opération. Avec un peu plus de 81 millions d’habitants en Allemagne, chacun buvant 21 litres de jus d’orange par an, cela équivaut à 13 millions de tonnes de pétrole consommées par année ! 2

Une fois le concentré obtenu, il est transféré dans des tonneaux embarqués à bord de bateaux frigorifiques. Ces derniers parcourent 12’000 km pour atterrir au port de Rotterdam. Cette avant dernière étape nécessite à nouveau d’utiliser du pétrole : d’une part pour maintenir le jus d’orange au frais, d’autre part pour assurer le transport. Enfin, les différents revendeurs achètent la quantité de jus d’orange concentré souhaitée et repartent en camions jusqu’à leurs succursales. Là-bas, ils doivent encore traiter le produit acheté pour qu’il devienne vendable. C’est-à-dire qu’ils rajoutent de l’eau au concentré pour en faire un jus d’orange consommable.

Si l’on comptabilise la quantité totale d’eau qui a été nécessaire à la production du jus d’orange – irrigation des terres, vaporisation, dilution – elle équivaut à 22 verres d’eau pour un verre de jus d’orange ! Quand on sait que pas moins d’un milliard d’êtres humains n’ont pas accès à de l’eau potable, acheter du jus d’orange devient quasi-criminel.3

Malheureusement, le jus d’orange à base de concentré n’est qu’un exemple parmi tant d’autres de produits qui nuisent à notre environnement. La solution serait-elle alors de bannir tous les biens de consommation qui ont parcouru plus de X kilomètres ? Je ne pense pas. Cela résulterait seulement dans la création d’un marché noir alimentaire, avec des prix exorbitants et des produits sans plus aucun contrôle de qualité.

Une autre proposition serait de favoriser la production locale des aliments que nous consommons régulièrement. Mais là encore, il n’est pas sûr que cela bénéficie à l’environnement. Reprenons le cas du jus d’orange, par exemple. L’Espagne, 5ème producteur mondial d’oranges, serait probablement le candidat le plus disposé à produire du jus d’orange. Seulement, sa production annuelle d’oranges s’élève à 2.7 millions de tonnes par année contre 10 millions de tonnes à Sao Paolo.4 Pour satisfaire la demande européenne à la fois en oranges et en boissons vitaminées, l’Espagne serait contrainte d’investir massivement dans de nouvelles infrastructures (serres, tunnels, tracteurs, etc.), de réquisitionner de nouvelles terres agricoles et d’augmenter ses ressources en eau. Il serait également probable qu’elle augmente la quantité de produits chimiques utilisée – pesticide, fertilisant, engrais – pour atteindre un rendement optimal de ses orangers. Cette alternative n’est donc certainement pas une solution pour l’environnement.

Dès lors, force est de constater que le remède repose dans les mains du consommateur. En effet, en choisissant ses produits de manière plus réfléchie, il fait un pas pour la nature. Ceci est d’autant plus significatif lorsqu’il est accompagné par les autres acheteurs. Toutefois, pour parvenir à instaurer une consommation responsable, les autorités doivent montrer le bon exemple, mais surtout, agir afin que l’information soit disponible. Une base de donnée avec l’impact environnemental de chaque bien de consommation devrait être mise en ligne. Cela permettrait aux citoyens de se rendre compte plus concrètement des effets qu’ont leurs achats sur l’environnement et ainsi, les encourager à changer leurs habitudes.

 

 

1 ERKMAN, Suren, Vers une écologie industrielle, comment mettre en pratique le développement durable dans une société hyper-industrielle, Editions Charles Léopold Mayer, 2004, Paris, pp. 77 – 79

2http://www.statistiques-mondiales.com/allemagne.htm

3The Water Project, Water Scarcity: The Importance of Water & Access, http://thewaterproject.org/water_scarcity.php, 30.12.2012

4URBINA, Loreto, “A New « OPEC » Energy Source: Biofuel from Brazilian Orange Peels”, in AMERICA ECONOMIA, 13.01.2012, www.worldcrunch.com/new-opec-energy-source-biofuel-brazilian-orange-peels/tech-science/a-new-opec-energy-source-biofuel-from-brazilian-orange-peels/c4s4482/#.UI_yrIVzqG8

 

Commentaires

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Catherine-port

Merci de m'avoir tout appris sur le circuit du jus d'orange. Cependant, vous dites "bon pour la santé"...mais c'est ce…

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Nadia Belahbib

Bonjour Loïc, Merci pour votre contribution. Selon moi, nous pouvons tenter de compenser pour les externalités négatives de plusieurs manières.…

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Loïc

Merci pour votre article. Comment compenser les externalités économiques, sociales et environnementales, qu’elles soient négatives, comme décrite dans votre article,…

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Catherine-port

Merci de m’avoir tout appris sur le circuit du jus d’orange. Cependant, vous dites « bon pour la santé »…mais c’est ce qu’on veut nous faire croire, n’est-ce-pas? Des oranges traitées, concentrées, réfrigérées, vides…Maintenant je comprends pourquoi le jus frais a un gout aussi différent. Question santé, il est prouvé que faire absorber brusquement à notre estomac du jus de fruit en aussi grande quantité est un peu…contre nature! Bref, chacun devrait pouvoir savourer une orange juteuse, sucrée et sans traitements…

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Pascal

Merci pour cet article!

Ce qu’on peut dire du jus d’orange, on peut le dire d’une multitude d’autres produits. Il reste très difficile dans un supermarché, d’imaginer l’impact écologique de chaque produit que l’on consomme.

S’il est bien sûr souhaitable que chacun y soit plus attentif; il n’y aura pas d’effet tangible tant que ce « coût écologique » sera reflété dans le prix des biens de consommations que l’on achète. Une taxe C02, s’il était possible de l’appliquer de manière internationale, permettrait d’aller dans cette direction.

Ce article m’inspire encore une remarque, c’est qu’il faut faire attention aux simplifications trompeuses pour appuyer un propos qui n’a pas besoin de l’être. Concernant la problématique de l’eau par exemple, son problème n’est pas la quantité, mais sa répartition et sa qualité. L’eau utilisée pour la production du jus d’orange n’aurait pas pu être utilisée pour assouvir la soif du milliard d’être humains sans accès à de l’eau potable; rien de criminel donc…

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Nadia Belahbib

Bonjour Pascal,

Tout d’abord, j’aimerais vous remercier pour vos commentaires. Cela fait toujours plaisir d’amorcer le débat.

Premièrement, je suis d’accord avec vous qu’il faille agir rapidement pour protéger notre planète. Malheureusement, en temps de crise, les questions environnementales sont souvent reléguées au second plan. C’est pourquoi je reste persuadée que seul le consommateur peut avoir un impact significatif pour l’environnemental.

Par contre, je suis fermement opposée à la taxe CO2, car je pense qu’elle pénaliserait les clients les plus pauvres. En effet, les produits « petits prix » sont souvent les plus néfastes écologiquement. Donc si l’on rajoute une telle taxe, les produits de cette gamme deviendront plus chers et les clients les plus démunis en seront les premières victimes.

Quant à la question de l’eau, je soutiens que si l’on continue à consommer des biens sans se soucier de leurs impacts environnemental et social, on pourra nous en tenir responsable. Je crois qu’il est aujourd’hui nécessaire de prendre nos responsabilités et de forcer notre gouvernement à agir plus significativement pour la planète.

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Loïc

Merci pour votre article.

Comment compenser les externalités économiques, sociales et environnementales, qu’elles soient négatives, comme décrite dans votre article, ou positives ?

Quelles solutions les pouvoirs publics peuvent-ils mettre en place (taxes, subventions, barrières douanières, normes de production,…), sans pénaliser, comme dit dans votre commentaire, les plus démunis ?

Ou alors, est-ce que le marché peut se réguler lui-même, en partie grâce à la seule responsabilisation des consommateurs ? Et, si oui, est-ce que consommer « mieux » est un remède suffisant ? Est-ce que dans notre société de consommation l’idée de consommer moins et pour la majeure partie seulement ce qui peut être produit localement, est totalement utopique ?

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Nadia Belahbib

Bonjour Loïc,

Merci pour votre contribution.

Selon moi, nous pouvons tenter de compenser pour les externalités négatives de plusieurs manières. Premièrement, il faudrait que les producteurs investissent dans des infrastructures moins gourmandes en matières premières. Il faudrait également qu’ils procèdent à des « Life Cycle Analysis » de leurs produits pour qu’ils puissent cibler plus efficacement les processus les plus nocifs pour l’environnement. Enfin, il faudrait que soit ajouté l’impact environnemental (ex. tonnes de CO2 émises) aux indications figurant sur les produits vendus en supermarchés. La transparence est la clé du changement!

D’ailleurs, cette dernière étape peut très bien être effectuée par les États. En effet, ils peuvent changer la législation actuelle. Toutefois, sans un mouvement généralisé, cette idée ne pourra pas se concrétiser à mon avis. L’influence des milieux agroalimentaires est trop importante…
Certes, d’autres solutions existent, mais tant que l’on ne troque pas la logique économique à la logique environnemental, nous progresseront lentement.

Enfin, je pense effectivement que le choix du consommateur peut avoir un impact significatif sur le marché. Notre économie fonctionne essentiellement selon les lois de l’offre et de la demande. Donc si notre société décide de consommer moins d’aliments dommageable pour la planète, l’offre se réduira naturellement. A mon avis, changer nos habitudes alimentaires est l’une des étapes les plus accessibles et par conséquent, ne relève pas d’une utopie.

Par contre, une responsabilisation du client n’est de loin pas suffisant pour constituer un remède en soi. L’économie doit changer et ne plus encourager la production en masse mais la fonctionnalité. C’est-à-dire qu’il faudrait que l’on nous vende un produit selon la fonction qu’il remplit et non selon le profit que l’on peut en tirer.

Voilà ce que je pense en quelques lignes, mais il est clair que des recherches plus approfondies sont nécessaires.

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