Politique Le 8 mars 2014

Lettre ouverte à Monsieur Oskar Freysinger

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Lettre ouverte à Monsieur Oskar Freysinger

(Droits réservés)

Monsieur le conseiller d’État Oskar Freysinger,

Vous vous êtes construit depuis vos débuts en politique un personnage. Vous vous êtes façonné une image, comme les plus grands hommes d’État l’ont fait avant vous (François Mitterrand en est l’exemple le plus parlant). Il y a toutefois une différence entre ces personnalités et vous. Aujourd’hui, votre objectif est atteint en Valais: devenir conseiller d’État. Pour en arriver là, il vous a fallu des années. Années où vous avez sciemment combattu les gouvernements qui se sont succédé, que ce soit en Valais ou au Palais fédéral, pour vous faire remarquer. Vous n’avez jamais lésiné sur les moyens: provocations, propos limites, mises en scène patiemment étudiées, etc. Je ne suis pas l’un de vos admirateurs, mais je vous reconnais toutefois un sens très développé de la théâtralité. En vérité, vous êtes un homme de scène. Vous vous êtes créé un personnage, disais-je plus haut, de toute pièce. Il vous a fallu lui donner une identité, des traits facilement reconnaissables. Votre personnage, c’est-à-dire vous, devait être l’objet de toutes les polémiques. Avec habileté, vos combats politiques ont souvent eu l’effet escompté: faire parler de vous. Toujours plus. À tel point qu’aujourd’hui, toute la Suisse romande vous connaît, et probablement pouvez-vous en dire autant du côté de la Suisse alémanique.

Oui, vous avez un indéniable talent pour vous draper d’une auréole de popularité. Vous cherchez l’extrême: être adoré ou détesté. Et toutes ces années durant, ce rôle vous a admirablement bien convenu. Quand vous avez défendu l’interdiction des minarets – faisant d’un monument quasiment inexistant en Suisse un problème national –, ou lorsque vous militiez pour le renvoi des criminels étrangers, vous n’avez jamais reculé devant les méthodes à utiliser pour créer le buzz, pour susciter l’indignation des uns et l’admiration des autres. Ces autres qui constituent votre électorat, en grande partie. Vous êtes un homme d’une grande intelligence. Cela aussi, mon honnêteté intellectuelle me force à le reconnaître. Je vois dans vos choix politiques et dans vos communications publiques un machiavélisme d’une rare finesse. Vous êtes quelqu’un de cultivé, vous lisez beaucoup, écrivez avec une certaine aisance, jouez même de la musique. Et pourtant, quand il s’agit de dire la vérité à vos (é)lecteurs, notamment sur le renvoi des criminels étrangers, vous singez le parfait imbécile. Vous faites celui qui ne sait pas. Celui qui, dans sa montagne, ignore qu’on ne peut pas expulser les criminels étrangers sans accords de réadmission avec les pays concernés. Que de nombreux traités internationaux rendent l’application du texte de l’UDC particulièrement problématique. Mais ça, je le sais et vous le savez, cela n’a qu’un objectif: plaire à votre public cible.

Une fois encore, vous êtes un homme de théâtre tout en étant un excellent publiciste. Tous vos propos sont destinés à ceux qui vont consommer «l’image» Oskar Freysinger. Comme un slogan sur un paquet de biscuits, vous devez attirer l’œil de vos potentiels électeurs. Ceux qui glisseront, le moment venu, votre nom dans l’urne. Et vous atteignez votre but avec brio. Laissez-moi vous concéder encore cette qualité. Vous êtes, à mon avis, de ceux qui peuvent faire contracter à un aveugle une assurance au cas où ses lunettes de vue viendraient à se casser. Pour beaucoup, c’est un défaut. J’y vois pour ma part une compétence rare et profitable. Pour autant qu’on l’use avec une certaine éthique. Un certain sens du bien commun. Or, c’est là, Monsieur le conseiller d’État, que le bât blesse. Vous usez de vos talents à des fins peu louables. Vous allez dire à un journaliste quelque chose qui fera assurément le buzz. Lui, naturellement, s’empressera de le publier et de le relayer. Il fait son travail. Pendant quelques heures, voire quelques jours, vous laissez monter la mayonnaise. Puis vous prenez votre caméra ou votre plume pour démentir les propos qui vous sont attribués. Les journalistes, auxquels vous tentez d’apprendre leur travail, sont en réalité vos jouets. Et en même temps, malgré eux, ils sont vos plus grands alliés.

Que seriez-vous sans les scandales médiatiques liés à vos propos sur le génocide arménien? Sur les étrangers? Les sans-papiers et j’en passe? Sans les caméras ou les journaux, vous ne seriez au fond qu’Oskar Freysinger, enseignant valaisan de son état, publiant quelques poèmes et livres pamphlétaires contre la société comme elle va en Suisse. Mais caméras, micros et stylos sont braqués sur vous. Vous le savez, comme lorsque vous faites venir Le Matin Dimanche dans votre chambre et lui montrez votre fusil. Ou lorsque vous invitez dans votre cave des journalistes suisses alémaniques pour leur montrer un drapeau du IIe Reich, feignant penser qu’il n’est pas question de connotation avec le nazisme puisqu’il représentait le symbole de l’empereur allemand Guillaume II. Encore une fois, vous jouez avec les limites. Vous provoquez en gardant toujours une carte dans votre manche pour vous tirer d’un mauvais tour. Comme un bon prestidigitateur, vous n’abattez jamais tout votre jeu sur la table. C’est habile et cela démontre votre sens de l’analyse et de l’élaboration de stratégie politique. C’est dommage que vous en usiez à des fins proprement personnelles, plutôt que d’en faire bénéficier le canton du Valais et ses habitants qui le méritent.

Maintenant que vous êtes devenu conseiller d’État, vous n’avez pas su opérer la transition entre le personnage d’Oskar Freysinger dans l’opposition et l’Oskar Freysinger ayant enfilé le costume de ministre. Ce n’est plus ici pour moi le signe de vos compétences et de votre intelligence. Non, malheureusement, j’y vois plutôt ce qui devait arriver: vous ne pouvez plus changer de casquette. Et vos adversaires politiques, en Valais, vous le font payer. Ont-ils raison? S’ils font tout pour vous faire craquer, je pencherais pour le non. Mais après tant d’années à jouer vous-même cette partition, comment leur en vouloir? Ils ne font, à vrai dire, que de vous rendre la monnaie de votre pièce. Aviez-vous seulement pensé vous en sortir sans devenir l’homme à abattre? Que vous pourriez prendre les rênes d’un département et ne plus subir les feux croisés de ceux qui, au fil du temps, sont devenus des ennemis plus que des adversaires politiques? En homme cultivé que vous êtes, vous avez dû lire Le Prince de Nicolas Machiavel. Peut-être même figure-t-il sur votre table de chevet. Une somme pour toute personne souhaitant faire de la politique et pour qui la fin justifie les moyens. Oui, mais voilà, vous commettez les mêmes erreurs que César Borgia, le fils du Pape Alexandre VI. À trop vouloir utiliser toutes les méthodes à votre disposition, vous avez minimisé l’importance de l’opposition que vous avez suscitée. Vous étiez probablement trop occupé à compter le nombre de vos fidèles.

C’est cette erreur qui a également conduit César Borgia à la mort misérable qu’il a connue. Grand stratège, il rêvait continuellement d’augmenter son pouvoir, sans se fixer un but final sur lequel s’appuyer et s’arrêter lorsqu’il serait atteint. C’est l’une des leçons que donne Baltasar Graciàn dans son ouvrage L’Homme de cour, que vous avez peut-être lu vous-même. Ce qui vous a permis d’accéder à la fonction de conseiller d’État vous a aussi mis dans la position de faiblesse qui est la vôtre aujourd’hui. Vos budgets, selon vos dires, sont sans cesse réduits. Vous répétez à l’envi que vous ne pouvez pas travailler dans ces conditions. N’est-ce pas vous qui avez voulu en arriver-là? N’est-ce pas votre comportement qui vous a rendu si populaire et si détesté à la fois? Ce qui vous a manqué, en devenant conseiller d’État, c’est du bon sens politique, c’est le respect des institutions suisses. La collégialité est l’un des principes fondamentaux de nos exécutifs multicolores. Vous faites encore et toujours cavalier seul, comme si vous ne pouviez compter sur autrui pour avancer et remporter des victoires. Vous vous êtes mépris sur l’importance d’afficher une bonne volonté une fois à l’exécutif. Cela vous coûte déjà, et ça n’est pas prêt de cesser. Plus vous gémirez, et plus vous ferez le bonheur de vos ennemis.

C’est dommage que le Valais soit le théâtre d’une telle pièce. Vous aviez (et avez encore) tout pour bien faire. Il a pourtant fallu que vous vous complaisiez dans votre rôle d’électron libre, de sniper. Vous étiez un parlementaire hors pair, vous êtes devenu un gouvernant médiocre. Vous faites probablement du bon travail avec les moyens qui sont à votre disposition. Mais votre communication est désastreuse. C’est ce qui finira par vous perdre, car les Valaisans ne sont pas dupes. Vous avez obtenu votre siège à l’usure, n’oubliez pas que vos ennemis ont maintenant la force de frappe pour vous en déloger, si vous ne décidez pas de mettre un terme aux guerres de tranchées. Si vous ne changez pas d’optique, vous creusez votre propre tombe politique. Et l’épitaphe est déjà toute trouvée: ci-gît Oskar Freysinger, prisonnier entre les quatre planches de son propre personnage. Il est l’heure pour vous de retirer vos habits de clown et d’enfiler le costume que les Valaisans vous ont octroyé.

Avec l’assurance de mes sentiments dévoués,

Grégoire Barbey

Commentaires

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david

L'auteur de cet amalgame devrait mieux gérer ces sentiments avant de parler au nom des valaisans.

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Victoria

Superbe lettre! magnifique analyse et tonalité qui change de l'agressivité habituelle utilisée contre Freysinger

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david

L’auteur de cet amalgame devrait mieux gérer ces sentiments avant de parler au nom des valaisans.

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Victoria

Superbe lettre! magnifique analyse et tonalité qui change de l’agressivité habituelle utilisée contre Freysinger

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chente fou

super!!!!

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