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Beyrouth-Sud. Sans parti pris.
Des salves tirées en direction des cieux, sur le toit d’un immeuble décharné. Sous une chaleur urbaine, ces coups de feu, qui se sont révélés festifs, accompagnèrent mon entrée dans le quartier de Haret Hreik, fief d’un mouvement qui déchaîne les passions : le Hezbollah, littéralement « Parti de Dieu ». Des blocs de béton se dressent les uns derrière les autres. Certains portent encore les stigmates des guerres passées, d’autres, flambants neufs, côtoient des échoppes d’où exhale un parfum de café mêlé à celui de lessives bon marché.
À quelques pas de mon lieu de résidence, des voitures calcinées et une odeur rance de brûlé imprègnent ma peau. Quelques jours avant mon arrivée dans le quartier, un attentat avait blessé 53 personnes. Sur une étoffe blanche suspendue au-dessus d’une carcasse est inscrit en lettres rouges : « Vous nous attaquez, nous ne mourrons jamais ».
Chaque bloc de béton est un mirador aux entrailles secrètes. Les « soldats de Dieu » connaissent votre identité avant même que vous n’entriez dans leurs bastions, m’assure un voisin en ajoutant, avant d’aller à la mosquée : « Ici, vous ne risquez rien ». Le sentiment de sécurité y est effectivement élevé malgré le risque d’attentat qui plane comme une ombre. Le long des rues sont disséminés des hommes en civil à l’affut du corps étranger tentant de pénétrer cet organisme qu’est le Hezbollah. Ces hommes se confondent dans la population au point de rendre impossible la distinction entre un membre actif du parti et un membre passif, simple partisan ; le port du talkie-walkie, vissé à leur ceinture, les distinguent du citoyen lambda. Paradoxalement, cette visibilité les rend imperceptibles à une échelle plus globale. À ce sujet, un coiffeur me répond : « Voyez-vous un milicien porter les armes chez nous, dans les rues ? Pouvez-vous nous indiquer les lieux où s’entraînent ces hommes ? Non et non. Ils sont comme l’air, on sait qu’ils existent, mais impossible de les contenir à mains nues ».
Des Syriens aux bords de la rue dans l’attente d’un travail quelconque pour la journée.
Une rumeur circule selon laquelle deux bombes ont été désamorcées, dont l’une à côté de mon lieu de résidence. Le lendemain, vendredi saint. Les quartiers alors effervescents et palpitants sont quasiment vides. Les routes sont bloquées ; hormis les vélomoteurs bruyants et quelques voitures transportant des imams aux longues toges noires, personne ne peut accéder aux alentours de la mosquée principale du quartier : la mosquée Al-Qaem. En ce mois de ramadan et depuis l’implication du Hezbollah dans le conflit syrien, le prêche du vendredi revêt des tonalités tout aussi religieuses que politiques, devenant un vecteur d’information primordial pour les fidèles.
Dans le ballet chaotique de la circulation, de nombreuses voitures bondées aux plaques syriennes.
Contrairement à ce dont je m’imaginais, l’atmosphère de ces quartiers est loin d’être austère. Au café du coin, un homme mange une barre chocolatée sans être intimé par les membres du Hezbollah de se cacher de ceux qui jeûnent. Une femme aux pantalons courts moulants et aux talons aiguilles vert pomme traverse la rue, cheveux au vent. À ses côtés, une femme vêtue de noir et d’un voile marron rit à gorge déployée à une boutade qu’un ami lui raconte. « Nous sommes libanais et libres avant toute chose », me glisse le serveur qui insiste pour m’offrir le café. Minés par les guerres civiles et fratricides des années 1975-1990 ainsi que par l’intrusion d’Israël sur leur territoire, les Libanais n’ont de cesse d’afficher une joie de vivre permanente, en réponse aux tensions et au sang versé ; un dénominateur commun qui marque leur identité, toute confession confondue.
L’aile armée du Hezbollah est inscrite sur la liste terroriste de l’Union européenne. Aucune réaction dans les quartiers.
Aucun militaire libanais dans les quartiers du Hezbollah. Étrangement, on ne trouve également aucun militaire dans les quartiers palestiniens comme Sabra ou Chatila. Le taxi traverse la longue corniche qui serpente la côte, puis, comme un éclair, le décor urbain luxueux – œuvre du premier ministre assassiné en 2005, Rafic Hariri – laisse place aux abris de fortune et aux bâtiments construits à la hâte. « You, there, quick ! Never you alone », m’explique un chauffeur syrien dans un anglais approximatif qui a toutefois le mérite d’être clair. « Je suis une victime collatérale de ce conflit absurde. Je ne suis ni pour, ni contre Bachar Al-Assad », déclare-t-il en allumant une cigarette d’une main et conduisant de l’autre dans une circulation frénétique. « Dans ces quartiers palestiniens, il y a de tout. Je vous le dis, moi, si ça pète un jour entre pro- et anti-Bachar, ce sera dans ces quartiers palestiniens. Où est l’armée libanaise ? Vous la voyez ici ? Dès que le conflit finit, je repars en Syrie. Mais avant, je brûle mon taxi », ajoute-il en étouffant son rire dans la fumée de sa cigarette.
Une roquette est tombée aux abords du palais présidentiel à Baabda. Dans les parages pour une visite amicale, nous pensions entendre un feu d’artifice détonnant.
« L’attentat dans nos quartiers est un message clair de la part des rebelles syriens et de leurs acolytes : nous avertissons avant ramadan, nous punirons après ramadan », tente de m’expliquer un vieillard en arborant fièrement au-dessus de son bureau le portait de Hassan Nasrallah, le secrétaire général du Hezbollah, comme on en trouve par milliers aux bords des routes des quartiers. Le « Parti de Dieu » compte sur une ferveur populaire illimitée qui croît au fur et à mesure que ses ennemis se multiplient. Chaque martyr déchu sur le sol syrien semble accroître l’émulation des partisans, chaque contradiction au sein de l’Armée syrienne libre est une faille qui semble amplifier leur image de résistance et chaque attaque semble le fortifier. D’un autre côté, l’image est ternie par le soutien au pouvoir dictatorial de Bachar Al-Assad, et ses présumées implications dans des attentats ciblés décrédibilisent totalement le parti…un parti si complexe qu’il prend des allures de nation.
Le ramadan prend fin.
Julia Boutros, la sublime chanteuse chrétienne libanaise interprète en plein concert deux titres rendant hommage au mouvement de résistance Hezbollah.…