La rhétorique : une maîtrise du langage fondamentale pour communiquer ses idées. Dans cet article, suivez Hugo Houbart et partez à la découverte du pouvoir caché derrière un discours maîtrisé, auquel s’exercent régulièrement les membres du Club Genevois de Débat à l’Université de Genève.
Le débat mène à tout, et tout mène au débat. Une formulation courte, simple et répétitive. Une organisation en trois temps visant à appuyer les termes en vue de persuader mon lecteur. Une longue tirade justifiant ma stratégie. Ainsi vais-je tenter, par ce plaisant exercice de style, de présenter à vos yeux l’art de l’usage des mots. Ce qui fait la force de l’humanité c’est la communication. En ce sens, la plus formidable invention qui soit est sans aucun doute le langage. Mais en ces temps troublés d’incertitudes, nous nous perdons dans les mots. Partout autour de nous l’information jaillit et nous assaille. Par flux constants, nos esprits si dérisoires se perdent dans leur propre abondance. La technologie n’a pas simplement augmenté les échanges, elle a complexifié la société toute entière. Autrefois si rare, l’information est désormais omniprésente. L’enjeu pour l’homme moderne n’est plus de savoir mais de comprendre. L’importance n’est plus dans la connaissance mais dans son traitement. C’est en ce sens que nous agissons. Persuadés en nous-même que vous serez convaincus par la nécessité d’une forme qui a vaincu le fond. Partons ensemble du postulat qu’aujourd’hui nous pouvons affirmer : « le message c’est le médium1 ».
Autrefois si rare, l’information est désormais omniprésente. L’enjeu pour l’homme moderne n’est plus de savoir mais de comprendre.
Le pouvoir réside bien souvent dans les mots. Notre représentation du réel ne s’inscrit pas dans ce que nous voyons mais dans ce que nous pensons. Or, penser la réalité implique de la nommer. Derrière chaque mot se cache une image, un concept ou un sens. Celui qui en saisit la portée acquiert la maîtrise de son auditoire. A moins qu’à l’inverse, il ne se protège de ceux qui, partout, ont la parole et la mettent au service de leur propre volonté. Voilà bien le souhait qui est nôtre : convaincre ou persuader, argumenter ou manipuler, fonder ou former. Mais il réside dans ces luttes bien des usages, comme autant de batailles nécessaires à nos vies. S’agit-il d’un entretien d’embauche, d’un examen oral ou d’une pièce de théâtre ? C’est par la sacro-sainte maîtrise des mots que nous nous rendons seigneurs de ces épreuves quotidiennes.
Cependant, le discours ne s’arrête pas aux mots, et c’est aussi par votre corps que votre volonté s’exprime. Le geste est une parole, le regard est un livre. Faire comprendre sans bruit que chacun doit se taire tout en portant un œil sombre sur les récalcitrants : c’est aussi cela, la rhétorique. Car dans un monde de brouhaha, le silence rend puissant. Il y a quelque chose de mortel dans ce dernier, si bien que seuls ceux qui ont acquis suffisamment de confiance en eux-mêmes peuvent en exploiter la juste valeur. Ils laissent alors pleinement leur apparence traduire librement leurs pensées. Par leurs préjugés, les autres se reconnaissent en nous-même. Un procédé commode permettant à chacun de se libérer du besoin de réfléchir. S’il est humain de méprendre, il l’est plus encore de juger. Chacun se plaît à contempler ce qu’il veut voir. Comprenez donc ceci : maîtriser le silence c’est faire parler l’image, maîtriser l’image c’est faire parler le cœur, maîtriser le cœur c’est diriger les hommes.
C’est lorsque l’image féconde la parole que l’argument est au plus fort. Ainsi s’exprime la nuance entre signifiant et signifié, entre ce qui est dit et ce qui est vu, entre le mot et le corps. Car aussi pertinent que puisse être le propos, ce n’est que lorsqu’il est en adéquation avec celui qui l’énumère qu’il fait mouche. La parole n’a jamais été mieux servie que par la configuration des corps qui en sont les vecteurs. La persuasion devient alors raison : je dis ce que je montre ou je montre ce que je dis. Les préjugés qui nous affectent deviennent ainsi remarquables. S’il porte un costume, alors il est puissant. Si sa voix est grave, alors elle est sérieuse. S’ils restent droits, alors ils sont confiants. Le style vestimentaire, le ton, l’assurance : voilà des choses qui ne se disent pas mais se montrent. C’est alors que de vils instincts parcourent l’auditoire, qui attribue bien volontiers des qualités à des orateurs qui en sont pourtant dépourvus.
L’humanité est victime de sa propre conscience. Déterminés par notre histoire, nous ne pouvons que chavirer devant l’éloquence de celui ou celle qui emploie le bon mot au bon moment. Sommes-nous réellement libres de nos idées ? Peut-on s’affranchir des concepts ? Est-il préférable de rester dans l’ignorance ? Bien souvent, telles les chimères, nos pensées s’apparentent à des monstres traduisant nos désirs et nos peurs. La gloire de l’orateur, c’est de les maîtriser. La jalousie des novices vise à les rendre meilleurs tandis que l’orgueil des meilleurs les pousse à la faute. Ces valeurs, nous les partageons. Mais c’est avec conviction et bienveillance que nous nous faisons défenseurs de la parole nécessaire. Notre monde n’est-il pas dirigé par un fou qui, par ses bonnes plaisanteries et son usage soigné de la communication, a su se faire élire contre l’intelligence ? Connaître ne suffit plus, ce qu’il faut c’est exprimer. Mettre des mots sur l’horreur, l’oubli et l’injustice de telle manière que nous ressortions grandis de nos propres désastres. Pourquoi donc devrions-nous laisser à quelques démagogues le monopole narratif de notre propre histoire ? Trop nombreux sont ceux terrés dans le silence. Autant d’esprits dociles qui fuient la politique. Soyez pourtant certains que la politique, elle, ne vous fuit pas. Aussi longtemps que vous laisserez la parole à d’autres, vous leur offrirez les clés de votre servitude. Triste histoire que cette servitude qui reste volontaire2.
Ainsi s’achève cette brève plaidoirie. Le discours est épais mais le propos est dense. Vous reconnaîtrez quelques figures de style : répétions, hyperboles, métaphores et comparaisons. Mais avez-vous constaté la puissance du langage ? Ou comment les idées se pressent pour subvertir votre jugement et vous pousser à nos portes ? Soyez rhéteurs pour être libre ! Libre de saisir l’importance du monde des idées, libre de saisir la gloire de l’éloquence, libre de vous inscrire dans la politique de l’autruche. Qu’importe le contenu, exploitez le contenant. Ce n’est qu’à ce prix que ce monde s’ouvrira à vous et que votre jugement se verra sanctifié par votre maîtrise des bons mots. Discourir est un art qui requiert patience mais la félicité récompense la pratique. De Cicéron à Churchill, d’Alexandre à César, saisissez-vous de ce pouvoir qui vous revient de droit. Ressentez la bonne fortune et la grâce qui s’en émanent. Car ce talent est vôtre et nul ne peut le prendre.
_________________________________________________________________________________________
Références
1. MCLUHAN, Marshall, « Le média, c’est le médium », Pour comprendre les médias : les prolongements technologiques de l’homme, Tours : Mame, Paris : Ed. du Seuil, pp. 23-38, 1968.
2. LA BOETIE, Etienne, Discours de la servitude volontaire, Mille et une nuits, 1997.
Site internet du Club Genevois de Débat
Laisser un commentaire
Soyez le premier à laisser un commentaire