L'encrier Le 30 juin 2018

Pourquoi les champions nous fascinent-ils?

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Pourquoi les champions nous fascinent-ils?

« The Ball », Giuseppe Ceccardi (Flickr)

Alors que la Coupe du monde de football bat son plein, un geste a particulièrement marqué Guillaume Claude. Saurez-vous le reconnaître? Indice: son auteur est un joueur portugais.


 

Quatre-vingt-septième minute. Fauché à l’orée des seize mètres, le joueur se laisse choir sur la pelouse. Une poignée de secondes plus tard, la merveille apparaît.

Souffle apaisé, regard incandescent, le champion ne tremblera pas, il le sait. Ce geste, il l’a fait et refait des milliers de fois sur le terrain d’entraînement.

Son short est rajusté. Lui aussi connaît son poste. Il ne gênera pas son maître et dansera la rythmique dictée tel l’archet filant droit sur les cordes tendues d’un violon. Il sera le prolongement de la volonté du Maestro.

Au pays, des millions de personnes sont campées devant leur téléviseur. Tous le savent, des champions comme lui, il y en a un seul par génération. Alors quand la grâce a touché votre bout de terre et fait naître le prodige sous vos cieux, pour rien au monde vous ne manqueriez sa fantastique geste hebdomadaire.

Cela fait plus de quinze années qu’il opère. Comme virtuose, il joue sa partition et éblouit les capitales européennes. Chacune de ses apparitions est un récital.

Dans les rêves des gosses, sur les encarts publicitaires de nos villes, à la télévision, dans nos journaux, sa silhouette s’agite. Nous savons ce qu’il vaut. Ses gestes, on les a vus cent fois parfaitement exécutés.

Mais ce soir-là, c’est différent. Les secondes qui, l’instant d’avant, gambadaient sur le cadran semblent s’être soudain accordées pour se travestir en minutes. De lourdes minutes qui cloueraient chacun de nous sur place alors que le champion, lui, investit cet espace-temps. C’est le sien. Là il est à son aise. Chacun a refait mentalement le geste. Cela paraît jouable mais personne ne voudrait être à sa place. La pesante réalité qui tous nous paralyserait n’a sur lui point d’impact. Son temps et son espace à lui sont dans une autre dimension. Celle des rêves.

Le champion s’élance. Trois petits pas sur la pointe des pieds. Durant la course, il garde son buste légèrement en avant. La peur peut-être de voir le ballon prendre la tangente et s’envoler vers une destination inconnue. Maîtrise et équilibre, tout ici est question de mesure. En chef d’orchestre, il coordonne chaque partie de son corps. Son buste restera donc incliné, ses jambes seront tendues.

Du bout du pied, juste à l’intérieur, il frappe le ballon. La trajectoire est parfaite. Le ballon est un aéronef dont le pilote a coordonné d’un coup de savate le point de chute. La parabole dessinée par l’objet semble avoir été dessinée par le plus fin des ingénieurs. La sphère de cuir monte, atteint son zénith au-dessus du mur formé par les adversaires et pique ensuite du nez pour retomber dans les filets.

Dans sa cage, le cerbère ne parvient à saisir la mesure jouée. Cette partition exécutée par le magnifique soliste, jamais il ne la comprendra. Ils ne sont pas du même monde.

Dans un nuage de bruits et de sourires, le ténor peut savourer son triomphe et s’en aller caracoler devant ses admirateurs.

On peut le voir et le revoir sous tous les angles offerts par la technique moderne, le geste est l’œuvre d’un artiste. On a cette certitude : c’est le geste qu’il fallait faire. Comme on aurait pu dire : « c’est ainsi qu’on doit représenter la joie, la peur ou la tristesse » à l’écoute d’un morceau envoûtant ou lorsque l’on dit « voici donc ce qu’est parler d’amour, voici comment raconter une bonne histoire » en reposant un roman jugé parfait. Il n’y a que comme cela qu’on devrait parler. Il n’y avait que cet air-là qu’il fallait jouer.

Il n’y a pas là une virgule à changer. Tout se tient. Douze syllabes, césure, rythme et style : tout est parfait. « J’aurais pu le faire », serions-nous presque orgueilleusement tentés de dire.

C’est là où réside la magie qui actionne les muscles des champions. Les heures passées à répéter leurs gestes et leur science les ont élevés au rang d’artiste. Comme les auteurs dont le style si léger fait oublier les mois de souffrance passés sur le manuscrit, les grands champions rendent banal l’extraordinaire.

On dira alors : « si je dois jouer au tennis, c’est ainsi que je dois m’exécuter » et « si je veux m’essayer à la course, c’est comme lui que je dois le faire ». Comme on aurait pu dire : « si j’ écris, c’est à la manière d’untel que je le ferais ».

Les champions nous font rêver, le mot n’est pas trop fort. On a cette impression de naturel lorsqu’on les voit aller. On bouge comme eux, on gagne comme eux, on est eux. Et puis, le réveil sonne…

Commentaires

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Claude-Velan

Magnifique article très bien construit, la comparaison du footballeur et du musicien excellente. Bravo!

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Claude-Velan

Magnifique article très bien construit, la comparaison du footballeur et du musicien excellente. Bravo!

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