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Après sept mois loin des courts, Rafael Nadal marque un retour prodigieux. Une finale et trois tournois remportés, battant au passage Roger Federer, son éternel rival. Dans un réflexe nationaliste primaire, je décide de généreusement partager mon extase avec tous les Federiens notoires présents dans mon entourage. Appels, SMS, messages Facebook, tweets, tout y passe ! Chaque échange me procure un plaisir intense. Une jouissance que je pense pouvoir prolonger à souhait sur ma terre d’adoption helvétique, terrain de chasse infini où les Federiens sont bien évidemment légion. Porté par l’euphorie, je pousse l’effronterie jusqu’à envisager l’écriture d’un article. Sept longs mois qu’ils annoncent la fin de carrière de Rafael Nadal ! Mon Rafa ! Les anti-Nadal méritent bien ça, après tout. Très sobrement intitulé « Le retour du numéro un », je me lance avec excitation dans la rédaction d’un brûlot qui ne manquera pas de faire polémique auprès des pro-Federer.
« Après sept mois loin des courts, Rafael Nadal marque un retour prodigieux. Une finale et trois tournois remportés, battant au passage Roger Federer, son éternel rival. Rival ? Pas vraiment, quand on sait que… »
Mais voilà. La raison met fin à cette frénésie jubilatoire. La plume s’essouffle, elle tombe. Je déchire non sans regret cette feuille déjà abondamment noircie. Il me faut recommencer.
Je réalise en effet très vite que mon propos manque d’originalité, mais aussi et surtout de consistance. Il est si facile, si évident, d’opposer Rafael Nadal et Roger Federer1. Le gaucher contre le droitier, le défenseur contre l’attaquant, le travailleur contre le talentueux, le vaillant guerrier contre le génie divin, l’Espagnol au sang bouillant contre le Suisse de nature modérée. Une opposition de style, de tempérament, constituant une asymétrie parfaite, glorifiée à foison par les médias. Des positions extrêmes que les fanatiques des deux bords ne cessent de polariser dans les cafés et sur la toile. Malgré une amitié apparente liant nos deux monstres sacrés du tennis mondial, rarement un duel sportif n’aura cristallisé autant d’émotions, de passions, voire de haine. « Nadal le dopé », « Federer le vaniteux », trouve-t-on régulièrement sur les réseaux sociaux et autres YouTube, où les tenants des deux paradigmes, retranchés dans leurs certitudes, s’affrontent férocement. Tout semble donc les séparer, ou plutôt tous semblent donc les séparer…
Et pourtant.
À mon sens, Federer et Nadal se retrouvent sur l’essentiel. Ils partagent un système de valeurs, transcendant le simple domaine du sport, qui pourrait être résumé comme suit : travail acharné et continu ; culture de l’effort, du sacrifice et du dépassement de soi ; quête perpétuelle de perfectionnement face aux victoires comme aux échecs ; ambition insatiable, compatible avec une humilité sincère et un fair-play exemplaire. Loin de moi l’idée de vouloir les déifier. Ils sont humains et donc eux aussi sujets aux égarements propres à notre condition. Il me semble toutefois important de relever que cette éthique de vie est consubstantielle à leur extraordinaire réussite. En d’autres termes, au-delà du talent inné de l’un ou du patrimoine physique favorable de l’autre, ce sont précisément ces valeurs qui font la différence entre un champion et une légende, entre celui dont tout le monde parle aujourd’hui et celui dont tout le monde se souviendra demain.
Aujourd’hui, nos sociétés occidentales contemporaines sont en perte de vitesse, en déclin relatif, en manque de repères, en crise de valeurs. Flétris par une surabondance matérielle, beaucoup attendent que la vie les gâte sans daigner l’apprivoiser. Assez révélateur de notre époque, nos héros sont ceux de l’immédiateté, de la superficialité, de la télé réalité. Nabila, et son déjà cultissime « allô », n’est que la fidèle ambassadrice d’une frange substantielle de la jeunesse actuelle. Cette dernière est littéralement perdue, noyée dans la « sur-connexion ». Toujours plus, plus vite ! Et qu’importe l’indigestion ! Empêtrés dans notre vérité et arrogants face à l’Autre, nous ne réfléchissons que sporadiquement de manière critique sur nous-mêmes. La remise en question, rimant pourtant avec progression, semble inconciliable avec notre orgueil, notre suprématie prétendue. Au fond, c’est toujours un peu la faute de quelqu’un ou de quelque chose d’autre. N’est-ce pas ?
Mais quel lien avec nos deux virtuoses des courts ? Dans un tel contexte, on ne saurait suffisamment souligner la centralité de l’exemple, ces boussoles indiquant le chemin vers la vertu aux sociétés égarées. Il appartient bien sûr à chacun de trouver ses propres modèles, illustres ou anonymes d’ailleurs. Il n’en demeure pas moins que le caractère exceptionnel du parcours sportif et humain de Roger Federer et Rafael Nadal est une invitation permanente à tous s’inspirer des valeurs qu’ils véhiculent. Travail, sacrifice, ambition, humilité et fair-play, ils nous offrent indubitablement les clés pour relever les défis du XXIème siècle avec succès.
Cher Neseao, Je te remercie très sincèrement d’avoir pris la peine de me lire et d’avoir laissé un commentaire. Je…