Sport Le 28 mars 2013

Pourquoi toujours opposer Federer et Nadal ? Faisons la paix autour des valeurs !

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Pourquoi toujours opposer Federer et Nadal ? Faisons la paix autour des valeurs !

© Cj/Cal Sport Media/ZUMAPRESS.com

Après sept mois loin des courts, Rafael Nadal marque un retour prodigieux. Une finale et trois tournois remportés, battant au passage Roger Federer, son éternel rival. Dans un réflexe nationaliste primaire, je décide de généreusement partager mon extase avec tous les Federiens notoires présents dans mon entourage. Appels, SMS, messages Facebook, tweets, tout y passe ! Chaque échange me procure un plaisir intense. Une jouissance que je pense pouvoir prolonger à souhait sur ma terre d’adoption helvétique, terrain de chasse infini où les Federiens sont bien évidemment légion. Porté par l’euphorie, je pousse l’effronterie jusqu’à envisager l’écriture d’un article. Sept longs mois qu’ils annoncent la fin de carrière de Rafael Nadal ! Mon Rafa ! Les anti-Nadal méritent bien ça, après tout. Très sobrement intitulé « Le retour du numéro un », je me lance avec excitation dans la rédaction d’un brûlot qui ne manquera pas de faire polémique auprès des pro-Federer.

« Après sept mois loin des courts, Rafael Nadal marque un retour prodigieux. Une finale et trois tournois remportés, battant au passage Roger Federer, son éternel rival. Rival ? Pas vraiment, quand on sait que… »

Mais voilà. La raison met fin à cette frénésie jubilatoire. La plume s’essouffle, elle tombe. Je déchire non sans regret cette feuille déjà abondamment noircie. Il me faut recommencer.

Je réalise en effet très vite que mon propos manque d’originalité, mais aussi et surtout de consistance. Il est si facile, si évident, d’opposer Rafael Nadal et Roger Federer1. Le gaucher contre le droitier, le défenseur contre l’attaquant, le travailleur contre le talentueux, le vaillant guerrier contre le génie divin, l’Espagnol au sang bouillant contre le Suisse de nature modérée. Une opposition de style, de tempérament, constituant une asymétrie parfaite, glorifiée à foison par les médias. Des positions extrêmes que les fanatiques des deux bords ne cessent de polariser dans les cafés et sur la toile. Malgré une amitié apparente liant nos deux monstres sacrés du tennis mondial, rarement un duel sportif n’aura cristallisé autant d’émotions, de passions, voire de haine. « Nadal le dopé », « Federer le vaniteux », trouve-t-on régulièrement sur les réseaux sociaux et autres YouTube, où les tenants des deux paradigmes, retranchés dans leurs certitudes, s’affrontent férocement. Tout semble donc les séparer, ou plutôt tous semblent donc les séparer…

Et pourtant.

À mon sens, Federer et Nadal se retrouvent sur l’essentiel. Ils partagent un système de valeurs, transcendant le simple domaine du sport, qui pourrait être résumé comme suit : travail acharné et continu ; culture de l’effort, du sacrifice et du dépassement de soi ; quête perpétuelle de perfectionnement face aux victoires comme aux échecs ; ambition insatiable, compatible avec une humilité sincère et un fair-play exemplaire. Loin de moi l’idée de vouloir les déifier. Ils sont humains et donc eux aussi sujets aux égarements propres à notre condition. Il me semble toutefois important de relever que cette éthique de vie est consubstantielle à leur extraordinaire réussite. En d’autres termes, au-delà du talent inné de l’un ou du patrimoine physique favorable de l’autre, ce sont précisément ces valeurs qui font la différence entre un champion et une légende, entre celui dont tout le monde parle aujourd’hui et celui dont tout le monde se souviendra demain.

Aujourd’hui, nos sociétés occidentales contemporaines sont en perte de vitesse, en déclin relatif, en manque de repères, en crise de valeurs. Flétris par une surabondance matérielle, beaucoup attendent que la vie les gâte sans daigner l’apprivoiser. Assez révélateur de notre époque, nos héros sont ceux de l’immédiateté, de la superficialité, de la télé réalité. Nabila, et son déjà cultissime « allô », n’est que la fidèle ambassadrice d’une frange substantielle de la jeunesse actuelle. Cette dernière est littéralement perdue, noyée dans la « sur-connexion ». Toujours plus, plus vite ! Et qu’importe l’indigestion ! Empêtrés dans notre vérité et arrogants face à l’Autre, nous ne réfléchissons que sporadiquement de manière critique sur nous-mêmes. La remise en question, rimant pourtant avec progression, semble inconciliable avec notre orgueil, notre suprématie prétendue. Au fond, c’est toujours un peu la faute de quelqu’un ou de quelque chose d’autre. N’est-ce pas ?

Mais quel lien avec nos deux virtuoses des courts ? Dans un tel contexte, on ne saurait suffisamment souligner la centralité de l’exemple, ces boussoles indiquant le chemin vers la vertu aux sociétés égarées. Il appartient bien sûr à chacun de trouver ses propres modèles, illustres ou anonymes d’ailleurs. Il n’en demeure pas moins que le caractère exceptionnel du parcours sportif et humain de Roger Federer et Rafael Nadal est une invitation permanente à tous s’inspirer des valeurs qu’ils véhiculent. Travail, sacrifice, ambition, humilité et fair-play, ils nous offrent indubitablement les clés pour relever les défis du XXIème siècle avec succès.

 


1 Pour des analyses de qualité à propos de la rivalité entre Roger Federer et Rafael Nadal, retrouvez les écrits de Yannick Cochennec, rédacteur en chef adjoint de Tennis Magazine de 1997 à 2007. Un exemple ici.

Commentaires

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Victor Santos Rodriguez

Cher Neseao, Je te remercie très sincèrement d’avoir pris la peine de me lire et d’avoir laissé un commentaire. Je…

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Victor Santos Rodriguez

Salut Fabri­zio ! Merci infi­ni­ment pour ce paral­lèle très élogieux ☺ Cette riche cita­tion m’a fait beau­coup réflé­chir. J’espère pou­voir…

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Victor Santos Rodriguez

Salut Fabrizio ! Merci infiniment pour ce parallèle très élogieux ☺ Cette riche citation m’a fait beaucoup réfléchir. J’espère pouvoir…

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Neseao

J’aime ton idée d’extraire les valeurs de ces deux sportifs d’exception, démontrant ainsi que ces derniers sont de vrais exemples à suivre, l’un comme l’autre.
Toutefois, nous savons bien que le sport d’élite est une compétition, une histoire d’un gagnant et d’un perdant. Le bonheur de l’un fait le malheur de l’autre. Il est donc indéniable que la rivalité soit une composante du sport. Et c’est bien ce qui fait la beauté de celui-ci!
Il est donc légitime, à mon humble avis, que les gens opposent sans cesse nos deux stars du tennis. On trouve cela dans d’autres sport comme le football (le « travailleur » Cristiano Ronaldo et le « génie » Lionel Messi). Il faut simplement ne pas tomber dans l’excès. Nous ne sommes pas obligé d’idolâtrer l’un, et discriminer l’autre. Tous sont de grands champions.

En bon Federien que je suis, j’essaie tant bien que mal de me détacher de mon « réflexe natio­na­liste pri­maire », mais je ne peux comparer Roger à Rafa. Mais bon, ça, nous pourrions en parler des heures autour d’un café… 😉

Bravo pour l’écriture, très agréable à lire.

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Victor Santos Rodriguez

Cher Neseao,

Je te remercie très sincèrement d’avoir pris la peine de me lire et d’avoir laissé un commentaire.

Je partage tout à fait ton avis s’agissant de la légitimité et la pertinence de l’opposition, la comparaison. J’apprécie tout particulièrement ton analogie avec la rivalité Cristiano Ronaldo / Lionel Messi. Je la trouve très juste sur le plan sportif.

Avec cet article, comme tu l’as très bien compris, je désirais simplement sortir quelque peu des sentiers battus, en cherchant à réconcilier symboliquement Rafael Nadal et Roger Federer, et davantage encore leurs supporteurs respectifs, sur le plan des valeurs.

Un grand merci également pour ta remarque à propos de l’écriture ; elle me remplit de motivation pour continuer.

Bien à toi,

Victor SR.

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Fabrizio

Il y a 48 ans qui sépare les explications de Sartre sur « l’enfer, c’est les autres » et le texte de Victor Santos. Mais ce problème reste d’actualité, malheureusement.

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Victor Santos Rodriguez

Salut Fabri­zio ! Merci infi­ni­ment pour ce paral­lèle très élogieux ☺ Cette riche cita­tion m’a fait beau­coup réflé­chir. J’espère pou­voir m’en ins­pi­rer pour un pro­chain texte. Ami­ca­le­ment, Vic­tor SR.

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Fabrizio

 » Aujourd’hui, nos socié­tés occi­den­tales contem­po­raines sont en perte de vitesse, en déclin rela­tif, en manque de repères, en crise de valeurs. Flé­tris par une sur­abon­dance maté­rielle, beau­coup attendent que la vie les gâte sans dai­gner l’apprivoiser. Assez révé­la­teur de notre époque, nos héros sont ceux de l’immédiateté, de la super­fi­cia­lité, de la télé réa­lité… »

le texte de Victor Santos Rodriguez me fais fortement penser à celui de J-P Sartre quand il s’explique sur sa citation « l’enfer c’est les autres » car dans les deux textes il y a ce lien de la crise d’identité et du jugement d’autrui.

« L’enfer, c’est les autres » par Jean-Paul Sartre

Extrait du CD « Huis clos » et de « L’Existentialisme est un humanisme

« … Je veux dire que si les rapports avec autrui sont tordus, viciés, alors l’autre ne peut être que l’enfer. Pourquoi ? Parce que les autres sont, au fond, ce qu’il y a de plus important en nous-mêmes, pour notre propre connaissance de nous-mêmes. Quand nous pensons sur nous, quand nous essayons de nous connaître, au fond nous usons des connaissances que les autres ont déjà sur nous, nous nous jugeons avec les moyens que les autres ont, nous ont donné, de nous juger. Quoi que je dise sur moi, toujours le jugement d’autrui entre dedans. Quoi que je sente de moi, le jugement d’autrui entre dedans. Ce qui veut dire que, si mes rapports sont mauvais, je me mets dans la totale dépendance d’autrui et alors, en effet, je suis en enfer. Et il existe une quantité de gens dans le monde qui sont en enfer parce qu’ils dépendent trop du jugement d’autrui. Mais cela ne veut nullement dire qu’on ne puisse avoir d’autres rapports avec les autres, ça marque simplement l’importance capitale de tous les autres pour chacun de nous…. »

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Victor Santos Rodriguez

Salut Fabrizio ! Merci infiniment pour ce parallèle très élogieux ☺ Cette riche citation m’a fait beaucoup réfléchir. J’espère pouvoir m’en inspirer pour un prochain texte. Amicalement, Victor SR.

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Tania

Bravo Victor!

Quelle clarté et fluidité! Tu arrives à mettre en lien et à tirer des conclusions réalistes de deux phénomènes que rien ne semble réunir! Tu invites à penser au-delà d’un simple nationalisme sportif, des simples idées-reçues et à se remettre constamment en question! Bravo, vraiment! Et merci 🙂

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Victor Santos Rodriguez

Salut Tania ! Je te remercie pour tes gentils mots. Très heureux que l’article ainsi que ma démarche t’aient plu. Tes encouragements sont très précieux. Bien à toi, Victor SR.

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