Coups de coeur Le 22 février 2016

South Park « Le Bâton de la Vérité » : L’adaptation béton

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South Park « Le Bâton de la Vérité » : L’adaptation béton

Crédit photo: BagoGames (CC BY 2.0)

Les films ou séries à succès engendrent souvent de mauvaises adaptations en jeux vidéo. Faisant fi de ce constat répandu et vérifié, « South Park : Le Bâton de la Vérité » a su tirer son épingle du jeu. Non seulement la série ET le film constituent de véritables coups de maître, mais cette adaptation (disponible sur PS3, PC et Xbox 360) se hisse elle aussi au rang des incontournables. Coup d’œil sur une industrie moribonde puis retour sur l’univers « South Park », avant d’acclamer un des jeux vidéo de l’année 2014, tous genres confondus.


De déboires en échecs

Depuis longtemps, une pensée négative traverse l’inconscient collectif des gamers. Elle renvoie aux adaptations ratées d’œuvres télévisuelles ou cinématographiques. Ces œuvres ont beau avoir affolé les compteurs sur leur support respectif, elles n’en deviennent pas moins des jeux vidéo de faible qualité. En cause, l’appel de la rentabilité qui pousse l’industrie à manger à tous les râteliers. Comme quoi, gros chiffres au box-office ou audiences TV élevées ne riment pas forcément avec vidéo ludiques réussites. Et ce, qu’importent les époques, les genres (SF, comédie ou autres) et les plateformes (PC, consoles, arcade).

Chicken Run, Saw, Fight Club, Jaws, Jurassic Park, The Matrix, Toy Story, Home Alone, Transformers, Bienvenue chez les Ch’tis ou, concernant les séries, Lost, NCIS, Urgences, Prison Break, Les Experts : autant d’exemples pour autant de jeux mal réalisés et souvent bâclés. Avec comme incidence, dans les pires cas, d’assister à l’adaptation de plusieurs jeux de la même franchise sur des supports différents. L’appât du gain, une fois de plus. À titre d’exemple, on peut citer la quadrilogie Alien déclinée 15 fois en 32 ans, sur pas moins de treize machines différentes (de l’Atari à la Playstation3). Ou les deux films Ghostbusters déclinés dix fois sur quinze machines différentes, de 1984 à 2009. Moins spectaculaires mais tout aussi moyennes, les adaptations « multiplateformes »1 des deux premiers Parrain. La faute à qui ? Aux studios de développement délégués pour effectuer les portages ? Aux budgets serrés ? Ou aux délais impartis ?  Si la réponse paraît claire pour les « commandes de studios »2, elle tient peut-être davantage d’un mélange des trois dans les autres cas.

Même du côté des grosses licences plus ou moins récentes, le constat est mitigé. Les franchises Lord of the Rings, Star Wars et James Bond, avec respectivement 18, 55 (!) et 19 jeux, ont généré des titres inégaux. Certains franchement mauvais, d’autres considérés aujourd’hui comme des classiques3. Des adaptations excellentes4 existent néanmoins, mais semblent tout de même valider la tendance générale. Heureusement, South Park : Le Bâton de la Vérité appartient à cette catégorie d’exceptions. Mais South Park, de quoi s’agit-il ?


Le génial cauchemar américain

L’univers « South Park » renvoie avant tout  à une série d’animation américaine diffusée depuis le 13 août 1997 et un long-métrage sorti en 1999. Les deux reprenant à l’identique les personnages et les éléments clés qui firent son succès, les paragraphes ci-dessous s’attardent sur la série.

Créée par Trey Parker et Matt Stone, la série met en scène quatre enfants : Stan Marsh, Kyle Broflovski, Eric Cartman et Kenny McCormick, auxquels d’autres viendront s’ajouter au fil des épisodes. Tous fréquentent l’école primaire de South Park, une ville imaginaire du Colorado. Des évènements loufoques rythment leurs aventures et empruntent allégrement à différents genres : science-fiction, fantastique, thriller, entre autres. L’épisode 1, nommé « Cartman a une sonde anale », réalisé en Stop Motion avec du papier découpé, donne le ton. Dans celui-ci, des visiteurs aliens placent une sonde dans l’anus d’Eric Cartman, ce que l’intéressé niera en bloc jusqu’au dénouement.

Le contraste entre l’univers enfantin (personnages principaux, dessins simplifiés, animation sommaire5) et le public adulte visé (violence graphique, humour gras, vulgarité) pose les premiers jalons de la provocation, mais pas seulement. Débordante d’imagination et férocement drôle, la série acquerra petit à petit ses lettres de noblesse. D’abord choquante, elle évoluera vers la satire sociale en traitant des sujets sensibles ou tabous tels que la sexualité, les minorités, le racisme ou la religion. Toujours avec une irrévérence habilement dosée. Cette dernière est laissée en partie aux bons soins d’Eric Cartman, sûrement un des personnages les plus odieux jamais créés. De ceux que l’on déteste adorer. Les thèmes traités jusqu’à l’absurde font généralement écho à l’actualité locale ou internationale.

Souvent critique envers les mœurs américaines (starification, puritanisme, surconsommation), SP devient subversive lorsqu’elle aborde la religion – voire carrément polémique quand elle y fait figurer la Sainte Vierge saignant du rectum (l’épisode Bloody Marry) –, dévoile des informations réservées exclusivement aux importants contributeurs monétaires de l’église de Scientologie (Trapped in the Closet) ou représente le prophète Mahomet (les épisodes 200 et 201). Reconduite jusqu’en 2019, la série devrait s’arrêter après vingt-trois saisons. Actuellement en cours de diffusion, la dix-neuvième analyse de façon subtile et fine les travers actuels de la société américaine (notamment le politiquement correct, le narcissisme ou la gentrification).

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Le serment du gentleman: « ne jamais péter sur les couilles de quelqu’un »

Après la série et le film, place au jeu vidéo ! Même contexte, mêmes personnages. La différence concerne une sombre guerre entre humains et elfes noirs qui constitue le fil rouge du Bâton de la Vérité. Un jeu de rôle « grandeur nature » en somme, auquel se livrent les enfants. Le joueur incarne « Le nouveau», que Cartman s’empresse de rebaptiser « Douchebag » (connard) pour toute la durée du jeu. Premier tour de force, la transposition géniale dans le monde « réel ». Dans l’univers des enfants, un artefact magique est un vulgaire bâton, le « Grand Sorcier » Eric Cartman porte une cape et un chapeau, tandis que son « royaume » s’étend dans… le jardin de sa maison. Ainsi, un chat dans le bac à sable représente les « écuries » du royaume, la piscine gonflable « le bassin des visions », un caillou « le rocher de la folie », etc. Rires garantis.

L’autre atout concerne la jouabilité empruntée aux RPG (Role Playing Game) joués sur consoles ou ordinateurs. Le principe repose sur la création d’un personnage et son amélioration. Grâce aux combats ou à la résolution de quêtes, le joueur accumule progressivement l’expérience nécessaire à l’augmentation du niveau de son personnage, sachant qu’il part du niveau un. Passer les niveaux permet également de sélectionner des compétences jusque-là bloquées (invocations, pouvoirs, sorts) et de s’équiper d’objets ou d’armes de plus en plus puissants. Ces mécanismes s’intègrent particulièrement bien au jeu et servent une histoire beaucoup plus complexe. Un joyeux bordel cohérent, devrait-on dire, fidèle à l’esprit South Park. Évidemment, les références à la série sont légion. On y croisera en vrac : Al Gore, Jésus-Christ, la CIA, les visiteurs aliens, les hommes crabes ou encore les gnomes voleurs de slip. Fait assez rare pour être souligné, le jeu étonne par sa créativité, qui s’amplifie au fil des heures. Par exemple, ce dernier affiche des graphismes rétro lors d’une mission au Canada, pour appuyer le point de vue des deux réalisateurs au sujet de ce pays, souvent tourné en ridicule dans la série.

SP3

 

À l’instar de la promesse capitale déclamée dans le jeu par Cartman, faisant ici office d’intertitre, l’humour gras fait partie intégrante du Bâton de la Vérité. Et c’est tant mieux ! Trey Parker et Matt Stone ne pourraient pas revendiquer la paternité du jeu s’il n’existait pas d’attaques magiques à coups de pets dévastateurs ou si le caca du personnage principal ne servait pas à annuler certaines malédictions ennemies. La provocation est également de mise : pour prendre part à la bataille qui déchire les deux camps susmentionnés, le joueur choisit une « classe de personnage » au début du jeu. Au nombre de quatre, elles se déclinent comme telles : Guerrier, Voleur, Mage ou… Juif. Clin d’œil à l’antisémitisme carabiné de Cartman.

Dézinguer des vaches-nazies, désamorcer une bombe dans un anus, trouver tous les SDF de la ville : autant de missions réjouissantes qui raviront les fans. Ils pourront compter sur une cinquantaine d’heures de jeu hautement addictives et extrêmement drôles. Les autres passeront peut-être leur chemin devant tant de puérilité. Néanmoins, entre vannes graveleuses, déchainements scatologiques et démembrements en règle subsistent toujours différents niveaux de lecture bienvenus. Enfin, dernière bonne nouvelle, une suite nommée The fractured but whole sortira en 2016. Le titre joue sur le double sens de la prononciation. Littéralement « Le fracturé mais entier » devient « Le trou du cul fracturé » (The fractured butt hole). Ça promet.

 


1 Une adaptation simultanée sur plusieurs consoles à la fois. Il s’agit ici des consoles de salon de la génération précédente (Playstation 2 & 3, Xbox & Xbox 360, Wii, Playstation portable).

2 Les jeux vidéo promotionnels par exemple, chargés d’accompagner la sortie d’un film, souffrent souvent de délais très courts.

3 Star Wars: Dark Forces, Star Wars: KOTOR, Goldeneye.

4 Gremlins 2, Aladin, The Adams Family sur SNES ou The Chronicles of Riddick : Escape from Butcher Bay sur Xbox. Du côté des séries, certaines adaptations de Buffy contre les vampires (!), The Walking Dead et Games of Thrones s’en tirent bien.

5 Le trailer (en VF) du film utilisera l’aspect général de South Park pour tourner en dérision les grosses productions en images de synthèse : http://www.dailymotion.com/video/xb84xy_south-park-le-film-bande-annonce-vf_fun

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